Pourquoi démontrer ?
Extrait du document
«
Démontrer est l'acte par lequel nous procédons à une démonstration, c'est-à-dire, l'acte par lequel nous prouvons la vérité d'un fait,
d'une donnée scientifique.
Nous nous demanderons donc si la finalité de la démonstration est l'établissement d'une vérité pérenne ou la production d'une adhésion
momentanée chez autrui.
I.
La finalité de la démonstration est uniquement l'établissement de la vérité
a.
Démontrer pour établir une vérité durable
A première vue, la première et véritable finalité de cette activité de l'esprit qui traite un problème pour lui donner une solution
véridique, la démonstration, est bien d'établir une vérité qui soit durable et reproductible, une vérité accessible à tous.
En effet, le
propre d'une démonstration est de pouvoir être reproduite par tout un chacun : pensons au théorème de Thalès, qui établit une vérité
que nous pouvons tous nous approprier.
On démontre donc pour établir et faire partager une vérité.
b.
Démontrer pour faire appel à la raison et non aux sens
Il semble que l'on démontre pour établir une vérité, et non pour convaincre autrui.
Convaincre, c'est faire en sorte d'emporter
l'adhésion de quelqu'un en faisant appel à sa raison, certes, mais également d'arguments d'autorité: le but de l'acte de convaincre est
de rallier l'autre à son propre avis, plutôt que de lui faire partager une vérité.
Certes, la vérité est le moyen le plus généralement
retenu, car elle a une vertu persuasive inégalée : on convainc mieux quelqu'un en lui disant quelque chose de vrai, ou qui à le
caractère du vrai (vraisemblable) qu'en pariant de lui faire accroire des choses inexactes.
Mais ce n'est justement qu'à titre de moyen,
et non en vertu d'une révérence due à la vérité, qu'on emploie celle-ci pour convaincre.
La démonstration, elle, ne s'occupe que ‘établir
une vérité.
II.
Mais la démonstration s'avère incapable d'établir une vérité durable…
a.
Toute démonstration est soumise à la réfutation
Cependant, nous nous demanderons si la démonstration est bel et bien capable de produire un discours visant à établir une vérité
d'ordre scientifique.
En effet, la vérité des sciences est elle-même problématique, et, plus précisément, fluctuante et toujours
susceptible d'être remise en question.
Pour Karl Popper, une hypothèse scientifique n'en est une que si elle est réfutable : tant que les
résultats des tests expérimentaux sont conformes aux prédictions de la théorie, on dit que celle-ci est corroborée par l'expérience.
Dans le cas inverse, elle est falsifiée par l'expérience.
Est scientifique tout ce qui peut être falsifié.
À la lumière de cette théorie, nous
pouvons donc dire que l'effort de démonstration peut paraître inutile, dans la mesure où il n'établit pas une vérité pérenne, mais une
vérité soumise à la réfutation.
b.
Toute démonstration est soumise à la possibilité d'un changement de l'ordre de la nature
La thèse de Popper repose sur le problème de la causalité tel qu'il est exposé par Hume dans l'Enquête sur l'entendement humain.
Pour
ce philosophe, la causalité n'est pas une loi inaltérable régissant les phénomènes, mais une simple régularité à l'œuvre dans la
succession de ces derniers.
Nous ignorons toujours si l'ordre actuel du monde ne va pas changer.
Nous n'avons donc devant nous que
des récurrences causales, non des enchainements réglés par une loi inaltérable.
Par conséquent, une démonstration est incapable
d'établir une vérité durable : nous pouvons toujours établir une vérité actuellement valable, pour un temps donné dont nous ne
connaissons pas à l'avance la durée.
III.
On ne démontre pas pour convaincre, mais la conviction est le seul effet véritable que peut produire une
démonstration
a.
Démontrer pour convaincre est un détournement de la fonction démonstrative
Certes, il semble que la démonstration qui se donne pour but la conviction d'autrui est une démonstration falsifiée, travestie, qui trahit
sa finalité propre.
En effet, démontrer suppose de plier son discours aux seules normes du vrai, à le conformer à la logique ; lorsque
nous voulons convaincre en démontrant, nous perdons de vue cette attention scrupuleuse à la vérité et à la logique pour nous soucier
de l'effet produit sur notre interlocuteur, pour chercher à emporter une adhésion raisonnée, certes, mais qui ne nous écarte pas moins
de la finalité propre de la démonstration.
b.
La conviction d'autrui, à un moment donné, s'avère la seule fonction de la démonstration
Mais dans la mesure où nous avons montré dans la précédente partie (II,b) qu'il était possible que les lois régissant actuellement notre
monde se modifient, qu'il était possible que ce que nous prenons pour un ordre inaltérable ne soit qu'un agencement conjoncturel,
alors nous dirons que la conviction d'autrui devient la seule fonction de la démonstration.
En effet, par la démonstration nous
emportons la conviction d'autrui en rendant raison d'un problème donné dans l'ordre actuel du monde ; mais établir durablement la
vérité, nous ne le pouvons pas.
Conclusion :
A première vue, l'unique finalité de la démonstration est d'établir une vérité.
Mais dans la mesure où la démonstration ne s'avère pas
capable d'établir une vérité durable, mais uniquement de dire le vrai à un moment donné, pour un ordre transitoire du monde, alors la
conviction d'autrui s'avère la seule finalité possible de la démonstration..
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