Peut-on vivre sans conscience ?
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Introduction
Il paraît difficile à première vue d'envis ager une vie sans conscience, tant celle-ci nous apparaît spontanément comme un phénomène naturel de notre
existence.
A insi, l'absence de conscience, qu'elle soit biologique (c as d'inconscience, de coma…) ou morale (incons cience comme irres ponsabilité) entraîne
de graves désordres dans le fonctionnement de la vie humaine, à des niveaux différents .
Faut-il en conclure que la vie humaine biologique et existentielle
nécessite en elle-même l'apparition de la conscience ? Et cette nécessité de la conscience se limite-t-elle à notre vie organique, ou s'impose-t-elle aussi
au niveau moral pour justifier la possibilité d'une vie bonne pour l'homme ?
I La conscience comme nécessité naturelle : Freud et Husserl
- Freud : la conscience doit être décrite comme un instrument fondamental qui régule notre rapport psychique au monde extérieur.
Dans L'Interprétation des
rêves, Freud proprose une description du psychisme humain organisé selon trois strates : l'inconscient, le pré-c onscient et le conscient.
Le conscient s'y
place comme une sélection formée et organisée de l'énergie psychique libre qui est celle de notre inconsc ient.
En d'autres termes, notre vie humaine serait
invivable sans le filtre de la c onscience, qui permet de structurer l'énergie ps ychique : sans elle, nous n'aurions pas cette familiarité au monde qui nous
permet d'y vivre.
La conscience est une nécessité naturelle positive qui permet notre vie humaine.
- Husserl dans ses Méditations cartésiennes pousse la nécessité de la conscience plus loin, en en faisant la structure a priori de l'existence : c'est-à-dire
que la conscience représente le moyen fondamental par lequel se constitue l'existence humaine, en donnant à l'homme la conscience de soi, et de façon
associée la conscience du monde extérieur, cette conscience ne sert plus un accès à la connais sance de Dieu comme chez D escartes.
O n ne peut donc
vivre une existence humaine sans cons cience : c'est celle-ci qui fonde notre epérience quotidienne.
II La conscience comme moyen de vivre une vie pleinement humaine : Merleau-Ponty et Kant
- M erleau-P onty explore aussi le rôle la conscience comme optimisation de notre rapport au monde.
Sur un plan non plus
psycho-somatique (conscience provenant biologiquement du corps) comme c hez Freud, mais existentiel, M erleau-P onty
montre que notre conscience provient de notre relation pratique, corporelle, en mouvement, à notre monde.
La consc ience
est l'expression de cette relation : elle nous permet d'optimiser celle-ci, de nous orienter correctement dans le monde, de
penser nos actions, d'être capables de projets (Phénoménologie de la perception).
Merleau-Ponty va donc plus loin
qu'Husserl : la conscience n'est pas seulement ce qui permet une existence humaine, mais ce qui offre aussi la pos sibilité
de maîtris er notre rapport au monde, et de parfaire la nature de notre existence.
- Kant a établi cette dimension foncièrement pratique de la conscience dans la Critique de la raison pratique : la conscience
est toujours en pris e avec un divers empirique du monde qu'elle doit unifier dans une morale universelle.
La conscience
sert donc ici à déterminer le bien et le mal : elle est la forme même du service, du "devoir" qui es t pour Kant la formule de
l'impératif moral.
La conscience sert donc à mener une vie morale, c ar elle est elle-même ce qui fonde ce "service", ce
"devoir" c omme moyen universel de réalisation de la vie pleinement humaine.
Dès lors , le rapport complémentaire entre
Husserl et M erleau-P onty, ou entre la c onscienc e comme structure et comme optimisation de notre vie, se voit
synthétisé chez Kant : toute conscienc e structurelle a pour tâche de se rendre conscience morale d'une vie bonne.
III Une vie plus intense sans conscience ? Bergson et Nietzsche
- Nietzsche : la conscience est cependant susceptible d'effets néfastes sur la vie humaine.
Pour Nietzsche, ces effets ne
sont pas c ontingents : la conscience a pour fonc tion de venir renouveler le jeu des volontés inconscientes qui constituent
l'existence de l'homme.
La conscience ne vaut rien en elle-même : l'état cons cient n'est utile que par son rapport critique
à l'incons cience.
C e qui fait dire à Nietzsche que la conscience en soi, prise sans son apport critique, n'es t qu'un effet de
surface négligeable provenant de l'inconscient fondamental.
Dans Le gai savoir, il en conclue que notre puissance de vie pourrait très bien s'épanouir sans la
conscience, voire même de meilleure façon.
Nietzsche est l'un des premiers à avoir conduit une critique systématique et totale de la conscience ainsi que de ses
valeurs psychologiques (sous son aspect réflexif de la conscience de soi) et morales.
La conscience est une formation
dérivée, dépendante de forces beaucoup plus profondes, et ne se préoccupe que de l'inessentiel et du futile.
Elle n'apparaît
d'abord que dans le cadre du rapport entre dominants et dominés, et répond à la faibless e humaine du bes oin de
communication.
Un solitaire ou une bête de proie s'en dispensent aisément.
La conscience est d'abord langage, et celui-ci
ne répond qu'à notre besoin d'autrui et de dialogue.
On peut admettre que l'homme pense toujours, mais il est néanmoins
rarement conscient : il n'a à l'être que dans le c adre étroit et inessentiel de la communication de ses propres pensées.
Il
n'y a donc pas lieu de diviniser la conscience, is sue d'une faiblesse du M oi incapable de supporter sa solitude.
Issue de la
promiscuité et de l'instinct grégaire, elle est bête, plate, vulgaire, capable de n'exprimer que des généralités, marque du
troupeau.
Le Moi individuel, au contraire, se définit et se saisit par des forces beaucoup plus intimes, profondes, riches et féc ondes
qui échappent à cette cons cience qui n'est que faiblesse pour autrui.
L e véritable Soi est muet, profond, grave et
silencieux.
Son ess ence est la force vitale, la volonté de puissance, venue d'un fond obscur et chaotique, aux antipodes de
la clarté futile de notre consc ience.
C elle-ci ne serait que la surfac e, précaire dans son immobilité et son repos, d'un fond
abyssal inconnu qui en serait la vérité.
Pur produit social et moral du "tu dois", la conscience est une aliénation et une
servitude, l'erreur de chacun sur soi.
- Bergson : possibilité d'un mode de vie qui ne dépend pas de la conscience.
La conscience réflexive n'est pas le seul
mode légitime de rapport au monde : l'intuition immédiate est un autre rapport, qui permet, de plus, de sais ir un mode
d'être du monde plus fondamental, relevant du devenir, du mouvement, du temps (La pensée et le mouvant).
C e modèle de
vie en question est celui de l'artiste, qui ne donne plus à la conscience une valeur suprême pour l'existence, mais
recherche l'exploration de ses possibilités inconscientes de vie.
Conclusion
- V ivre au sens strict sans conscience n'est pas possible, ne serait-ce que par la nécessité naturelle (existentielle et biologique) de la structure de la
conscience.
- C ependant, une vie pleinement humaine est pos sible sans la consc ience, ou du moins en relativisant son rôle, de manière à présenter la prise de
conscience comme un pouvoir critique indispensable, mais l'évidence et l'universalité de la cons cience comme une illusion de l'esprit humain.
- V ivre sans conscience est donc le but que doit chercher toute conscience légitime, qui doit s'effacer une fois son rôle critique rempli face au dynamisme
fondamental de l'inconscient, pour ne pas risquer de devenir une conscience sans « vivre »..
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