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Peut-on vaincre le temps ?

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« Poser le temps comme adversaire qu'il conviendrait de vaincre, c'est insister sur différents aspects du devenir qui viendraient contrecarrer notre vouloir.

D'une part, la mort viendra mettre un terme, que l'on considèrera parfois comme prématuré, à nos projets : la finitude de l'existence humaine nous impose ainsi une limite à laquelle l'homme a souvent tenté de se soustraire.

Mais n'est-ce pas là une lutte vaine ? Malgré l'hubris (« démesure » en grec) inhérent à tout rêve d'immortalité, ne peut-on voir dans un autre aspect du temps, celui qui concerne l'oubli du passé et l'histoire, la preuve que ce combat n'est pas forcément voué à l'échec ? Cependant, si l'histoire peut être considérée comme moyen de se protéger contre le passage du temps, jamais elle ne nous permettra de faire que ce qui a fait ne l'ait pas été.

Faut-il alors rassembler ces divers aspects du temps en interrogeant les rapports possibles entre la subjectivité (le « on » dont on questionnera aussi le référent) et le caractère à la fois nécessaire et contingent du devenir ? Première partie - Si nous considérons le temps en tant qu'adversaire qu'il s'agit de vaincre, c'est sans doute d'abord en raison du caractère fini de l'existence humaine, qui aboutit inéluctablement à la mort.

Or, n'est-il pas vain de vouloir résister contre ce qui appartient proprement à la fatalité ? Comment en effet croire que l'homme puisse pouvoir accéder à l'immortalité ? - Le caractère démesuré d'une telle ambition n'a pas nuit à sa popularité. Pourtant, au-delà du désir d'immortalité que l'on retrouve jusqu'à aujourd'hui (cryogénie, etc.), n'est-il pas concevable que l'on puisse vaincre le caractère mortifère du temps, à condition de ne pas restreindre ce « on » au sujet individuel et personnel ? Cf.

discours de Diotime dans Le Banquet (206c – 212b) de Platon : chez un être vivant, l'immortalité réside dans la procréation. Mais le désir d'immortalité est aussi ce qui pousse à la recherche de la gloire, à l'enfantement d'œuvres poétiques, à « l'ordonnance des cités et des domaines », enfin, à la contemplation de l'Idée éternelle et immuable de Beauté elle-même, et du Bien en soi.

Vaincre le temps, pour Platon, c'est ainsi progresser des plaisirs sensibles au plaisir suprême de la contemplation des Idées ; et c'est ainsi qu'il argumente en faveur de l'immortalité de l'âme dans le Phédon.

L'homme mortel participe à l'immortalité par le processus de restauration décrit dans Le Banquet (207d-e) qui s'oppose à l'oubli (ibid. 208a-b ; cf.

aussi introduction au Phédon par Monique Dixsaut, GF Flammarion, 1991, p.20) - Le temps menace cependant les œuvres humaines de l'oubli et de la ruine. L'invention de l'histoire est ainsi une autre façon de conjurer ce risque.

Cf. l'incipit des Enquêtes (Historie) d'Hérodote : « Hérodote d'Halicarnasse présente ici les résultats de son enquête, afin que le temps n'abolisse pas les travaux des hommes et que les grands exploits accomplis soit par les Grecs, soit par les barbares, ne tombent pas dans l'oubli.

» Seconde partie - Par l'invention de l'histoire, les Grecs manifestent la prise de conscience de la liberté de l'homme face au destin, et de la possibilité d'influer sur les événements.

Ainsi, Thucydide décrit-il les causes véritables de la guerre entre Spartes et Athènes, laquelle ne résidait pas dans la rivalité entre les deux cités qui suivait la constitution de la Ligue de Délos, mais « dans l'expansion athénienne.

» (Histoire de la guerre du Péloponnèse, I, 23, p.707 éd.

La Pléiade). C'est dire que la guerre eut pu être évitée.

Mais si l'action peut permettre d'échapper à la contingence du devenir, fondant ainsi la nécessité de la délibération selon Aristote (Ethique à Nicomaque, VI), l'homme ne peut rien contre l'irréversibilité du temps : « il y a une seule chose dont Dieu lui-même est privé, c'est de faire que ce qui a été fait ne l'ait pas été » (Eth.

Nic., VI, 2).

Si l'homme peut comprendre les causes historiques de l'enchaînement des événements, il ne peut agir que dans le présent. - Cette incapacité d'agir sur le passé est ce qui fonde, selon Nietzsche, le ressentiment : « Ceci seul est la vengeance : le ressentiment par laquelle la volonté en veut au temps et à son « c'était ».

» (Ainsi parlait Zarathoustra, II, « De la rédemption »).

Il faut, dit Nietzsche, transformer le « c'était » en « ainsi je le veux », c'est-à-dire transformer la contingence en nécessité.

C'est là l'objet de la pensée de l'Eternel Retour (cf.

Gai savoir § 341 ; Ainsi parlait Zarathoustra, « De la rédemption », « De la vision et de l'énigme », « Le convalescent » ; et Par-delà bien et mal, § 56).

Il faut « Imprimer au devenir le caractère de l'être » dit aussi Nietzsche (Fragment posthume 7 [54], dans le tome XII des Œuvres posthumes de Nietzsche, automne 1885-automne 1887, Gallimard). La pensée de l'Eternel Retour brise aussi l'identité du sujet, lequel devient « tous les noms de l'histoire » (cf.

à ce propos Deleuze & Guattari, L'Anti-Œdipe, p.28).

Ce n'est donc pas un « je » qui surmonte le ressentiment, mais bien un « nous » ou un « on ».. »

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