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Peut-on traiter les faits humains comme des choses sans pour autant considérer l'homme comme une chose ?

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« Introduction C o m m e l'écrit Durkheim dans les Règles de la méthode sociologique, un des impératifs de la démarche sociologique est : « Les faits sociaux doivent être traités comme des choses.

» Cette exigence scientifique pourrait s'appliquer à l'ensemble des sciences humaines : psychologie, anthropologie, psychanalyse.

Il s'agirait dès lors de traiter l'ensemble des faits humains comme des choses.

Que signifie un tel impératif ? II manifeste l'idée qu'une science, ayant pour objet l'homme, doit s'efforcer d'expliquer ses conduites.

Elle doit rapporter les actes humains à u n ensemble de déterminations qui ne relèvent pas d e l'individu lui-même (les déterminants sociaux, inconscients...).

Elle implique que les faits humains (la société, le langage, la vie psychique) soient régis par des lois qui opèrent en l'homme plutôt que l'homme n'agit sur elles.

Une science de l'homme doit ainsi traiter les faits humains comme des entités sans vie, sans conscience et sans liberté : bref, comme des choses.

Or cette démarche paraît réduire l'homme lui-même à une chose.

C'est, d'un point de vue moral, une grave conséquence : elle autorise le traitement d e l'homme lui-même comme u n e chose, sans égard à la personne humaine.

Le problème est donc le suivant : la démarche scientifique, appliquée aux faits humains, paraît impliquer un regard nécessairement réducteur sur l'homme en général, regard qui la porte à nier la liberté humaine. 1.

La science traite les faits humains comme des choses A.

Une exigence nécessaire La démarche scientifique, lorsqu'elle s'applique aux faits humains, est guidée par une exigence nécessaire d'explication.

En effet, elle ne peut supposer qu'un fait humain demeure inexplicable : elle doit au contraire postuler que tout phénomène observé obéit à d e s lois nécessaires. Dès lors, toute science s'appliquant aux faits humains s e situe dans une perspective déterministe : elle s'efforce d e rapporter un fait observé à sa cause.

Ainsi Freud pose-t-il le principe du déterminisme psychique un fait psychique quelconque est toujours déterminé par une causalité inconsciente, que la psychanalyse doit s'efforcer de découvrir.

Aussi la science retire-t-elle toute spontanéité, toute liberté, toute volonté aux faits qu'elle observe.

Traiter les faits humains comme des choses constitue un impératif nécessaire de la démarche scientifique, dont aucune science de l'homme ne semble pouvoir se passer. B.

Un principe universel ? Toute la question est de savoir si cette exigence, nécessaire à la science, induit une doctrine générale réduisant l'homme lui-même à une chose. La démarche scientifique est en effet localisée à certains faits.

Elle intègre ces faits dans un système de lois visant à les expliquer.

Ainsi la psychanalyse freudienne rapporte-t-elle les faits psychiques à des lois d e l'inconscient.

Cette démarche implique-t-elle pour autant un point d e vue universel sur la nature humaine, qui réduise l'homme à une chose ? La science, lorsqu'elle s'applique aux faits humains, peut difficilement éviter d'étendre son point d e vue localisé à l'homme en général.

Le principe d'une explication scientifique des actes humains doit en effet s'appliquer à tout fait observé : il doit donc s'appliquer à toutes les conduites humaines.

Un déterminisme local (concernant l'inconscient, les déterminants sociaux...) conduit à un déterminisme global.

C'est l'homme tout entier qui devient chose. Les sciences humaines sont ainsi conduites à transformer en proposition théorique universelle une démarche localisée à certains faits expérimentaux.

Elle passe d'une chosification des faits humains à une chosification de l'homme lui-même. C.

L'homme considéré comme une chose O n remarquera que les doctrines philosophiques posant une intelligibilité totale du réel obéissent effectivement à cette exigence de connaissance.

Elles l'érigent en principe universel.

Pensons à Épicure : son atomisme réduit l'homme à un assemblage de corpuscules, à une chose composée de choses.

Il donne néanmoins une explication à l'ensemble des phénomènes naturels et humains. Nous pouvons appeler matérialisme cette attitude.

Elle postule une explication possible de tous les faits humains, m a i s conduit corrélativement à considérer l'homme comme une chose d e la nature parmi d'autres. 2.

Les faits humains comme objets n'impliquent pas l'homme comme chose Le matérialisme constitue l'aboutissement de la démarche scientifique : il explique intégralement les actes humains, mais en les plaçant sur le même plan que les choses.

Est-il pourtant intrinsèquement lié à cette démarche ? N'y a-t-il pas place pour une science de l'homme qui soit compatible avec la liberté humaine ? A.

Les faits humains ne sont que des objets de science Un sociologue comme Durkheim nous met en garde : l'attitude consistant à « traiter les faits sociaux comme des choses » est strictement scientifique, et ne doit pas être exportée à d'autres domaines.

« Notre règle n'implique aucune conception métaphysique, aucune spéculation sur le fond des êtres.

Ce qu'elle réclame, c'est que le sociologue se mette dans l'état d'esprit où sont physiciens, chimistes, physiologistes, quand ils s'engagent dans une région encore inexplorée de leur domaine scientifique.

» Cette distinction permet de mesurer la différence qui sépare « faire de l'homme une chose » et « traiter les faits humains comme des choses ».

L'attitude scientifique dans les sciences humaines n'implique aucun postulat ontologique concernant la nature de l'homme.

Elle est une posture mentale.

Elle évite néanmoins de transformer de simples objets de science en choses réelles. Les sciences d e l'homme peuvent ainsi prendre les faits humains pour objet, ou faire comme s'ils étaient des choses, sans faire réellement de l'homme une chose. B.

Conciliation de l'exigence scientifique et de l'exigence éthique Dès lors, il est possible d e concilier une exigence scientifique d'intelligibilité du réel et une exigence éthique qui enjoint d e ne pas considérer l'homme comme une chose.

Considérer l'homme comme une personne et non comme une chose est en effet un impératif moral, sans lequel la liberté humaine est niée. Cette conciliation se fonde sur une idée kantienne : la science n'a pas affaire aux choses en soi, mais à des objets qu'elle construit à partir de données tirées de l'expérience.

La science, lorsqu'elle s'applique aux faits humains, ne considère pas l'homme tel qu'il est en lui-même, mais tel qu'il nous apparaît dans le champ de l'expérience.

II est dès lors possible de traiter les faits humains comme des choses sans pour autant considérer l'homme en lui-même comme une chose. L'humanité d e l'homme n'est donc pas un fait d'expérience, susceptible d'une investigation scientifique.

Elle correspond au principe universel et nécessaire d e la liberté d e l'homme, qui doit guider notre attitude morale.

Elle enjoint d e considérer autrui comme une personne et non comme une chose.

Elle n'est donc pas incompatible avec l'explication scientifique des faits humains.. »

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