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Peut-on tout traduire ?

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« Il faut distinguer deux exigences dans l'activité de traduction.

La première exigence peut porter le traducteur à vouloir trouver dans la langue d'accueil (langue B dans ce devoir) un équivalent parfait du signifiant prélevé dans la langue de départ (langue A).

La seconde, plus modeste, consiste à considérer la traduction comme une activité de translation, ou la solution proposée dans la langue B est représentée comme contingente, subjective, une possibilité parmi d'autres, de plus historiquement datée. Si nous nous demandons si l'on peut tout traduire, alors il faut bien préciser quelle exigence est la notre : nous tendrons à montrer que l'on peut tout traduire (au premier sens du terme que nous venons de donner) dans le cas du langage courant, non du langage littéraire (qui est écart, variation par rapport à ce dernier) ; et nous tendrons à montrer que l'on peut tout traduire sans restriction, dès lors que l'on fait le deuil d'une conception trop exigeante de la traduction.

Traduire, c'est toujours donner une réponse possible, et non résoudre définitivement un problème. Enfin, nous prendrons garde à l'ambigüité du terme « tout » dans ce sujet : il faudra voir ce que l'on entend par là, langage courant ou littéraire, émotions personnelles et vécus intérieurs que l'artiste s'efforce lui aussi de « traduire » à travers le médium qui lui est propre. I. Tout traduire : un défi possible à relever pour l'usage commun de la langue a. La dualité du signe linguistique, condition de possibilité de la traduction Pour le linguiste Saussure, le signe linguistique est une entité double qui unit un concept et une image acoustique : le signifié et le signifiant.

Tout traduire paraît donc une ambition facile à atteindre, puisqu'il semble que la traduction n'est que l'effort pour trouver dans la langue B le signifiant équivalent à celui que l'on prélève dans la langue A.

Dès que l'on reste à un niveau de langue basique, il semble aisé de tout traduire.

« Kate est ma sœur » est un équivalent parfait de « Kate is my sister ». b. Traductions du langage courant et traductions du langage littéraire Mais les choses se compliquent dans le cas du langage littéraire.

Traduire un grand auteur, c'est moins donner un équivalent des signifiants de la langue A dans la langue B que de rendre le plus exactement possible les signifiés maniés par cet auteur.

Que l'on pense au cas difficile de la poésie, où les assonances et les allitérations font partie intégrante du signifié manipulé par l'auteur.

« Traduttore, traditore » dit un adage italien bien connu, nous portant à croire que l'on ne peut tout traduire. II. Les difficultés irréductibles de l'activité de traduction a. L'intraduisible singularité de la langue Dans chaque langue, il existe des expressions qui paraissent extrêmement étranges aux locuteurs d'une autre langue, et qui sont pour le moins difficiles à traduire.

Pensons à l'expression anglaise : « It's raining cats and dogs ».

Celle-ci n'a qu'un équivalent imparfait dan l'expression française : « il pleut des cordes ».

Par conséquent, tout ne peut se traduire d'une langue à l'autre, puisqu'il est impossible de trouver un équivalent exact pour des expressions qui font le charme et la singularité d'une langue. b. L'intraduisible métaphysique de la langue Lorsqu'un enfant apprend à parler, il intègre des symboles qui structurent la vision du monde propre à la culture du groupe auquel il appartient.

En ce sens, chaque langue correspond à une certaine façon de s'approprier le réel et de l'organiser.

Comme l'écrit le linguiste Emile Benveniste : « nous pensons un univers que notre langage a d'abord modelé ».

Par conséquent, il est impossible de tout traduire, dans la mesure où chaque langue est inséparable d'une métaphysique latente qu'elle a créée, et qui ne peut se transmettre intacte dans une autre langue (qui a formé sa propre conception de l'univers).

Pensons à la distinction en espagnol entre ser (l'essence) et estar (la contingence), totalement absente dans l'équivalent français: le verbe être. III.

Tout traduire : une exigence à toujours conserver a. Le labeur incessant de la traduction littéraire Une traduction ne se doit pas d'être fidèle aux mots, elle est toujours une “translation”, une interprétation, une chose différente, un reflet fidèle à l'esprit de l'œuvre, mais un reflet seulement.

Une fois définie de cette manière, nous pouvons considérer la traduction comme un effort exigeant pour fournir un équivalent le moins imparfait possible d'une langue dans une autre.

Par conséquent, on peut tout traduire, dès lors que l'on fait le deuil de la traduction conçue comme la quête d'une équivalence absolue, pour la considérer comme un travail de translation. Ce travail est incessant, car chaque nouvelle époque appelle une nouvelle traduction des œuvres classiques.

Pensons aux traductions incessantes du chef d'œuvre de James Joyce : Ulysse. b. L'exigence vitale de la traduction Dans « L'écriture ou la vie » l'écrivain Georges Semprun s'élève contre la notion d'intraduisible.

Pour un artiste, rien n'est intraduisible, c'est-à-dire que rien ne peut échapper à sa puissance d'expression de ses sentiments intérieurs.

L'intraduisible, c'est l'échec d'un artiste médiocre, non la limite intrinsèque de l'activité artistique.

Par conséquent, dans le cas d'un artiste, on peut dire que tout est traduisible, s'il en a les qualités et l'exigence nécessaires. Conclusion : Il est possible de tout traduire, dès lors que l'on se contente de trouver un équivalent d'une parole appartenant à un niveau de langue courant dans une autre.

En revanche, il faut faire le deuil d'une exigence de perfection dans la traduction, dès lors que l'on s'attache à donner un équivalent de la singularité ou de la métaphysique latente d'une langue. Les limites à l'activité traductrice sont les plus importantes dans le cas des productions artistiques : traductions littéraires, et extériorisations de vécus intérieurs.

Mais l'exigence indispensable à ces deux pratiques font de la possibilité absolue de tout traduire, non une entreprise vouée à l'échec, mais une quête d'absolue à toujours renouveler.. »

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