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Peut-on parler de tournants de l'histoire ?

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« Termes du sujet: HISTOIRE: Ce mot désigne soit le devenir, l'évolution des individus et des sociétés (allemand Geschichte), soit l'étude scientifique de ce devenir (allemand Historie). Introduction Le problème philosophique fondamental posé par l'histoire est de savoir si elle a un sens et une cohérence, si elle s'avance vers une fin, un but, ou si elle n'est qu'une suite incohérente et absurde d'événements.

Et c'est bien, en dernière analyse, ce problème qui se pose quand on demande si l'on peut parler de « tournants de l'histoire ».

Car dire qu'il y a « tournants », c'est dire qu'il y a changements de direction, donc que l'histoire est, même temporairement, même provisoirement, orientée, donc qu'elle possède, au moins à un moment donné, un certain sens.

Dans ces conditions, il convient de nous demander non pas s'il est légitime du point de vue des faits de parler de tournants de l'histoire, mais quelles interprétations des faits, quelles lectures de l'histoire implique le fait de parler de « tournants ».

Peut-il en effet réellement exister des tournants de l'histoire si l'on considère que celle-ci se réduit à un chaos d'événements ? à une simple succession de faits, de changements dépourvus de liens entre eux, sans rationalité, dus au seul hasard ? Pour qu'il y ait « tournants » de l'histoire, il faut d'abord que l'on pose une histoire.

Mais peut-il également exister de tels tournants si l'on avance que l'histoire possède une fin préétablie ? Les tournants illusoires d'une histoire entièrement déterminée L'histoire comme « moira » L'homme contemple les événements passés qui forment une suite douloureuse de guerres, de massacres, d'empires qui s'élèvent pour disparaître bientôt.

Ces événements qui lui apparaissent aussi injustifiés qu'inévitables, il pourra les attribuer au destin compris comme une force aveugle et funeste, incompréhensible et irrationnelle, aux arrêts irrévocables.

C'est la Moïra des Grecs, la « Fille de la nuit » d'Hésiode.

De là un sentiment tragique de l'histoire, puisque l'homme ne peut que s'élever contre l'absurdité et l'injustice d'un tel destin, tout en sachant qu'il ne peut y échapper, que sa révolte sera inutile, que sa cause est juste et qu'il sera pourtant vaincu. Si l'on partage une telle conception, on voit mal en quel sens l'on pourrait parler de véritables tournants de l'histoire : ses prétendus tournants né sont en réalités que des , sinuosités qui mènent, malgré d'apparents changements de direction, vers la fin préfixée et inéluctable : les illusoires « tournants » de la guerre de Troie, par exemple, où chaque fois la victoire semble changer de camps, ne sont des tournants que pour les protagonistes, semblables à des acteurs qui ignoreraient le dénouement de la pièce qu'ils jouent, de simples ruses d'auteur pour soutenir l'attention des spectateurs ; mais la pièce et son dénouement sont déjà entièrement écrits. L'histoire comme « eïmarmenê ». Si je vois dans l'histoire un destin conçu comme moira, c'est que je cherche, et échoue, à expliquer dans une perspective morale les faits historiques : l'histoire n'a alors, d'un point de vue éthique, aucun sens.

Mais je peux considérer les phénomènes historiques du seul point de vue de la causalité : tout événement doit avoir une ou plusieurs causes dont il est l'effet.

L'histoire sera alors saisie, ainsi que chez les stoïciens, comme un destin qui n'est plus moira mais éïmarmenê : le destin est un ordre, un enchaînement de causes, une loi résultant de la nature des choses, de l'ordonnancement même du cosmos ; il est, selon les termes de Chrysippe, l'un des pères du stoïcisme ancien, « une disposition du tout depuis l'éternité, de chaque chose, suivant et accompagnant chaque autre chose, disposition qui est inviolable », disposition donc à laquelle les hommes ne peuvent pas échapper. Cependant, en même temps que j'abandonne toute velléité de modifier le cours des choses, d'y échapper, en reconnaissant la puissance du destin, je renonce à donner une finalité à l'histoire des hommes autre que la production même de cet ordre avec lequel se confond le destin.

Ce dernier est à lui-même sa propre fin et, immuable, il ne peut que se reproduire éternellement.

C'est pourquoi les stoïciens soutenaient l'idée d'un éternel retour et d'une périodique « conflagration », fin d'une histoire qui s'ouvre sur son propre recommencement.

Dans ces conditions, voir dans l'histoire un destin, éïmarmenê, c'est nier au fond que l'histoire existe, et qu'elle puisse donc connaître de réels « tournants » : tous ses tournants ne sont que le cours normal et nécessaire des choses et jamais ce cours ne change de direction. Du destin à la Providence. Je ne puis donc, sous peine de la nier, considérer l'histoire comme un destin qui ne serait qu'un pur « noeud de causes ».

Il faut que j'attribue à ce destin une finalité, un but en vue duquel il ordonne l'histoire en lui conférant du même coup un sens.

Cette fin de l'histoire constitue alors un ordre à venir, qui remplacera de manière irréversible l'ordre présent du monde humain et, par conséquent, du cosmos tout entier, ce dernier se trouvant d'ailleurs modifié au fur et à mesure de l'avancement de l'histoire.

Cette conception téléologique me fait saisir le destin non plus comme eïmarmenê, mais comme pronoïa, comme providence, expression d'une Intelligence supérieure.

Telle est l'appréhension chrétienne de l'histoire qui voit cette fin dans l'établissement de l'Église universelle (cf. Bossuet, Discours sur l'histoire universelle, 3e partie) ou de la «Jérusalem céleste » (cf.

Saint Augustin, La Cité de Dieu, XV-XIX), état de paix parfaite où les hommes seront unis pour jouir de Dieu.

Les hommes peuvent-ils échapper à cette providence qui mène l'histoire ? L'histoire peut-elle connaître des tournants qui la détourneraient de sa fin initialement prévue ? Si dans la conception théologique de l'histoire la notion de providence a été substituée à celle de destin, c'est assurément avant tout afin de sauver la liberté des hommes: Dieu gouvernerait l'histoire sans la déterminer absolument.

Mais comment concilier la volonté et la prescience divines, manifestée par les prophéties, avec la liberté humaine? On voit dès lors que si l'on peut parler de «tournants de l'histoire », il ne peut s'agir, encore une fois, de changements effectifs et définitifs de direction: de tels tournants ne peuvent qu'être soit des changements provisoires, marques de la liberté des hommes en tant qu'ils se détournent de Dieu ou s'opposent à sa volonté, soit des étapes essentielles de cette marche commune de l'humanité vers sa fin prévue par Dieu.. »

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