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Peut-on n'avoir aucune religion ?

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« Si on résonne en terme de nécessité vitale, il va d e soi que la religion n'est pas nécessaire à la vie, il serait plus judicieux d e se demander si le fait religieux est en lui-même éliminable, si la religion en elle-même ne comporterait pas des caractères universels, intemporels quasi intrinsèque à la nature humaine ou si au contraire la religion est purement conventionnelle, historique, rectifiable.

Toute entreprise visant à supprimer une religion ou la religion n'est-elle pas vouée à l'échec en visant à remplacer une religion par une autre ? 1) L'homme peut vivre sans religion, c'est même une condition du bonheur. L'Essence du christianisme de Feuerbach marque un jalon important, tant théologiquement que philosophiquement, dans l'élaboration d'une anthropologie qui voit le jour au XIXe siècle dans la postérité de Hegel.

Contrairement aux réductions de Dieu et de la religion opérées par certains représentants des Lumières, Ludwig Feuerbach (1804-1872) cherche à comprendre le sens du phénomène religieux.

L'athéisme est un humanisme.

Plus exactement, le véritable humanisme se fonde sur la réappropriation de ce que l'homme avait imaginairement projeté en Dieu.

La philosophie est une théologie déguisée.

L'absolu n'est rien d'autre que l'homme, et ce dernier ne pourra trouver son salut que s'il consent à faire d e lui-même l'idéal qu'il cherche « La conscience d e Dieu est la conscience d e soi d e l'homme, la connaissance de Dieu est la connaissance de soi d e l'homme.

À partir d e son Dieu tu connais l'homme, et inversement à partir de l'homme, son Dieu : les deux ne font qu'un.

» Telle est « l'essence de la religion en général ».

Ce postulat va guider les recherches de Feuerbach qui radicalise dans un sens humaniste les thèses d e Hegel au point de faire d e l'Absolu l'humanité elle-même (ce qui lui vaudra les sévères remontrances d e M a x Stirner dans L'Unique et sa propriété, en 1845).

Connaissance, volonté, amour constituent les prédicats de l'homme, que, incapable de les réaliser par lui-même, il va projeter hors de lui dans un être supérieur qu'il appelle Dieu.

Ce processus, qui consiste à expulser sa propre essence irréalisable dans le monde fini, constitue au sens propre l'aliénation.

Celle-ci n'est pas seulement imputable au christianisme ou à la religion en général, mais aussi à la spéculation - terme sous lequel Feuerbach englobe aussi bien Jakob Boehme, Schelling que Hegel.

C'est bien entendu ce dernier qui est tout particulièrement visé : Feuerbach lui reproche d'opérer une identification abusive entre philosophie et théologie.

La spéculation hégélienne « n'est que le développement conséquent, l'accomplissement d'une vérité religieuse.

» C'est donc le sol même de la philosophie dans son versant spéculatif qui doit être modifié. C'est du niveau sensible le plus matériel qu'il faut partir, et l'aliénation apparaîtra alors non comme enrichissement mais comme appauvrissement. 2) Ce qu'est l'incroyance. Croire, c'est tenir pour vraie une proposition.

Du point de vue psychologique, l'action de tenir pour vrai peut se manifester diversement, par des conduites ou des déclarations.

Logiquement, il y a deux façons (au moins) de nier une croyance : « ne pas croire » ou « croire que ne ...

pas ».

En outre, la phrase « Je crois en Dieu » est l'expression d'une confiance globale qui, pour ne pas rester une simple effusion, doit inclure un « Je crois que Dieu existe ».

Mais la phrase « Dieu existe » n'a que les apparences d'une proposition existentielle, car on ne peut pas désigner un quelque chose qui aurait pour prédicat « être-Dieu ».

Le « Je crois » n'est pas éliminable par une démonstration ostensive, mais il doit être rendu raisonnablement acceptable par des arguments (tels que l'ordre du m o n d e ou les événements d e l'histoire sainte, etc.).

Alors, que nie l'incroyant ? Il nie la crédibilité de ces arguments.

Sa négation porte essentiellement sur les motifs de crédibilité.

L'incroyant ne nie pas que les traditions religieuses puissent être porteuses de valeurs authentiques dont les êtres divins sont le symbole et qui méritent de passer dans l'héritage commun, mais il nie que l'on puisse prendre au sens littéral les jugements de réalité qui définissent la croyance comme telle.

On peut suspendre son jugement, mais, par définition, celui qui suspend son jugement ne croit pas. O n appelle « agnostique » celui qui pense que Dieu est inconnaissable.

Mais on peut être un agnostique croyant comme Kant, Kierkegaard, Karl Barth et un grand nombre de théologiens contemporains.

Ou bien l'on peut être un agnostique incroyant.

L'ignorance ne dispense pas de l'alternative, bien que l'aveu d'ignorance « Je n'en sais rien » soit la façon la plus modeste de ne pas croire.

L'incroyant ne prétend pas connaître les secrets de l'Univers.

Le problème qui se pose à lui est un problème de crédibilité.

Ce problème se pose à propos d e telle proposition ou de telle autre.

L'examen des raisons qui supportent telle ou telle assertion exige d e tous la même honnêteté intellectuelle.

Quels q u e soient les avantages, intérieurs ou extérieurs, d'une profession d e foi, on n'a pas le droit, moralement, de s'y engager si l'on n'est pas à même d'en rendre raison publiquement. 3)La religion comme élément difficilement éliminable. Aussi bien les civilisations d e la religion spécifiée, d e la religion instituée hors des autres institutions sont-elles responsables d e la marginalisation progressive des religions.

En délimitant le sacré, elles l'ont limité.

Elles ont d'ailleurs bien fait de laïciser la plupart des activités de l'homme, car l'autonomie va de pair avec la maîtrise : il n'y a pas de transcendance à invoquer là où l'immanence suffit et se suffit (le judéo-christianisme a lui-même désacralisé la nature).

Mais elles ont encouragé moins une religion radicale qu'une religion qui œuvre à part, qui fonctionne en marge ou à l'écart, qui apporte le « supplément d'âme » dont les technicismes auraient besoin à titre de complément.

Comme les technicismes n'éprouvent nullement ce besoin, comme une religion surajoutée n'est plus le fondement du social, mais son accompagnement, son ornement, l'idée a germé que la religion est affaire de conscience individuelle, non de vie en commun, non d'équilibre ou de régulation sociale.

Au terme de cette évolution, on aura une société purement profane et un mysticisme d'ordre privé, un sacré résiduel .

Ou plutôt, s'il est vrai que l'intuition archaïque contenait, parmi des éléments contestables, des éléments fondamentaux, à la fois fondés et fondateurs, on devrait avoir, avec la régression de religions devenues marginales, une réinvention du sacré social, du sacré comme social.

Il semble bien en effet que ni le fait du rite, c'est-à-dire du geste symbolique, ni le fait de croire, c'est-à-dire de professer des valeurs qui engagent au-delà des raisons qu'on en donne, ne soient éliminables.

Toute société s'instaure et persévère en s'exaltant, en se fêtant elle-même (elle s e remémore, elle se commémore), et plus encore en s e dépassant, en s e soulevant au-dessus d'elle-même.

Il est donc improbable que la fourniture religieuse vienne à manquer, puisqu'elle est prise directement du dynamisme social : la société n'en manquerait qu'en se manquant à elle-même.

Cette estimation était celle de Durkheim, dès 1912. Il voyait dans la religion « quelque chose d'éternel qui est destiné à survivre à tous les symboles particuliers dans lesquels la pensée religieuse s'est successivement enveloppée ».

Il ne pouvait ni prédire ni prescrire la religion de l'avenir, car, écrivait-il, « nous traversons une phase de transition et de médiocrité morale ».

Il conjecturait seulement que la religion perdrait sa fonction spéculative, mais que la science ne nierait pas la religion, car : « Comment la science pourrait-elle nier une réalité ? » Sur un point il restait confus : il n'admettait comme transcendance que le dépassement des individus dans la fusion sociale, dans une « conscience de consciences », alors que les libertés personnelles sont capables de contester même la société qui les nourrit, même l'ordre qui les associe et qui les porte.

Mais il considérait l'ensemble supra- individuel comme un « système d e forces agissantes », comme une « vie » qui connaîtrait encore des « heures d'effervescence créatrice » d'où surgiraient de « nouveaux idéaux », de « nouvelles formules », un « culte vivant ». Conclusion. La religion a été jugée aliénante par un certain nombre de philosophes dits « du soupçon » notamment Feuerbach, Marx, Nietzsche, Freud qui ont critiqué la religion comme étant une illusion que l'homme se créait lui-même pour supporter sa faiblesse.

Mais cette illusion estelle éliminable ? Ce phénomène mondiale et universelle qu'est la religion, repose certainement sur une nécessité intérieure propre à l'homme qu'il convient de restreindre, de contrôler pour éviter les débordements de la superstition et de l'intolérance.. »

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