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Peut-on forcer quelqu'un à être libre ?

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« Problématique: Si, être libre, c'est n'être ni esclave ni prisonnier, alors on peut très bien forcer quelqu'un à être libre : il suffit de lui retirer sa condition d'esclave ou de prisonnier (de lui ouvrir les portes de la prison ou de lui retirer ses chaînes), et il sera bien obligé d'être libre (même s'il commet des délits pour retourner en prison, il faudra bien qu'il fasse usage de sa liberté pour commettre des crimes).

Autrement dit, chaque fois que la liberté peut être assimilée à une situation matérielle (ou "sensible" et non "suprasensible", un pouvoir immatériel), alors on peut agir dessus.

La question devient alors : être libre, est-ce que c'est une condition matérielle ? Et, dans le cas contraire, est-ce qu'on peut agir sur quelque chose d'immatériel, quelque chose d'intangible (=qu'on ne peut pas toucher au sens physique) ? Forcer, c'est faire céder quelqu'un par la force ou la contrainte.

Qu'est-ce que cela implique qu'on "fasse céder", par la contrainte, quelqu'un ? Que l'homme a une volonté qui lui est propre, qui est la sienne et qui n'est pas la nôtre, autrement dit cela implique que l'homme soit, en un sens métaphysique, libre.

On ne peut jamais forcer quelqu'un à être libre que s'il est déjà libre en un autre sens. Forcer quelqu'un à faire quoi que ce soit, c'est nier sa liberté.

Pourtant, on peut parfois aider une personne vers un progrès dont elle n'est pas consciente.

Il s'agit alors d'une perte de liberté provisoire, qui peut cependant donner lieu à des abus, faute d'une réflexion morale sur la légitimité d'une telle action. La liberté peut être définie de deux manières 1) négativement comme le fait de ne pas subir de contrainte externe de la part d'un autre qui limiterait notre pouvoir d'action 2) positivement, comme la capacité de se déterminer soimême à prendre un parti plutôt qu'un autre.

Or si l'on prétendait forcer quelqu'un à être libre, cela signifierait qu'il serait contraint de l'extérieur à l'être et que donc le premier sens de la liberté ne pourrait pas être respecté.

Mais la liberté au premier sens est une condition de possibilité de la liberté entendue au second sens, car quelqu'un qui est forcé de faire quelque chose ne saurait se déterminer librement à le faire.

On comprend donc que l'expression « forcer quelqu'un à être libre » semble être un oxymore, c'est-à-dire être contradictoire dans les termes.

Pourtant si l'on ne peut forcer quelqu'un à être libre, on peut l'aider à devenir libre, en exerçant sur lui une contrainte momentanée durant laquelle l'individu ne sera pas libre, mais au terme de laquelle il deviendra libre.

C'est d'ailleurs ce que vise toute éducation digne de ce nom.

En effet on peut considérer qu'un enfant n'est pas libre au sens plein du terme, au sens où il n'a ni les moyens de subvenir à ses besoins, ni une idée claire de ce à quoi il aspire profondément.

L'éducation vise à permettre à l'individu de savoir à quelle genre de vie il aspire, en lui donnant les moyens intellectuels qui lui permettront de penser sa vie, et fournit également les moyens d'être financièrement autonome.

Mais si forcer quelqu'un à devenir libre suppose d'exercer sur lui une contrainte momentanée, cette contrainte ne peut pas être totale, et doit toujours en appeler à la liberté du sujet à venir.

En ce sens la contrainte doit toujours s'effacer à terme en faveur d'un accompagnement, d'un guidage, qui en appelle à la responsabilité du sujet. I.

La société permet à l'homme de se construire comme sujet libre, mais elle exerce pour ce faire une contrainte temporaire sur lui, donc elle le force à devenir libre. Ce qui fait que l'homme est un être libre, c'est que contrairement à l'animal, il est capable de guider sa conduite selon certains principes, notamment moraux.

Or on peut se demander d'où lui vient cette capacité. Dans La généalogie de la morale, II, Nietzsche considère que la société opère sur l'homme un travail d'éducation, à travers la pratique des échanges.

En effet en rentrant dans le jeu des échanges sociaux, l'homme découvre qu'il doit tenir sa parole, car s'il ne la tient pas il est puni pour cela.

Nietzsche prend l'exemple de la dette.

Un homme qui contracte une dette mais qui refuse de la payer ensuite, sera soumis à des sanctions très dures dans les toutes sociétés archaïques, qui peuvent aller jusqu'à des châtiments corporels sévères.

Il s'agit donc dans un premier temps d'un véritable travail de dressage, identique à celui qu'on effectuerait sur une bête.

Mais vient un temps où l'homme a intégré le fait qu'il doit tenir sa parole, et où il est capable de le faire.

Or si cette capacité sert les autres, qui savent que l'homme est devenu fiable, elle élève aussi l'homme lui-même au rang de sujet de sa vie, car cet homme pourra se promettre des choses à lui-même, et les tenir.

Dans cette perspective l'homme tire sa liberté de la contrainte qu'exerce d'abord sur lui la société, puisque être libre ce n'est pas faire n'importe quoi, mais faire ce que l'on a décidé de faire.

On comprend donc que si l'on ne peut pas forcer quelqu'un à être libre au sens où lorsque l'on exerce une contrainte sur un être il n'est pas libre, on peut néanmoins forcer un être à devenir libre.

Toute entreprise d'éducation consiste à viser la liberté du sujet comme une fin à atteindre, mais utilise pour ce faire à titre de moyen une contrainte exercée sur l'enfant en devenir. II.

On peut forcer quelqu'un à être libre lorsqu'il ne comprend pas lui-même le sens de sa propre liberté, mais cela comporte toujours le danger d'un abus d'autorité. Avec Nietzsche nous avons vu que l'on peut en un sens forcer quelqu'un à devenir libre.

Mais lorsque l'on a affaire à un sujet constitué, peut-on le forcer à être libre.

La possibilité doit être ici interrogée en un sens moral, c'est-à-dire qu'il s'agit de répondre à la question de savoir s'il est légitime de le faire.

Or il semble qu'il soit légitime. »

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