PEUT-ON FONDER LE DROIT SUR LA FORCE ?
Extrait du document
«
• Fonder c'est bâtir, instituer, créer.
C'est la marque de l'homme.
Car ce qui distingue la construction humaine de la
construction animale, c'est, disait Marx, que l'homme a dans la tête ce qu'il construit avant de le réaliser.
• Le droit, c'est l'ensemble des règles sociales considérées comme justes (directus, en latin = droit), c'est ce qui est
permis et exigible par conformité à une règle précise formulée par la loi.
Mais c'est sans doute avant tout, et il
s'agira de cela dans ce sujet, ce qui constitue le fondement des droits de l'homme vivant en société, des règles
régissant les rapports humains.
• La force c'est la contrainte physique extérieure, c'est la violence.
On s'incline devant la force ou on la combat.
La
force appartient autant à l'animal qu'à l'homme.
Il semble donc y avoir dans les termes de l'énoncé un paradoxe
droit-force : la force est un fait, un constat, le droit est une élaboration de la raison.
INTRODUCTION
L'homme, disait Aristote, est « un animal politique », c'est-à-dire un animal civique qui vit par nature dans la Cité
(polis, en grec – terme difficilement traduisible car ce n'est pas la cité = ville.
C'est plutôt l'État mais à une échelle
réduite.
Athènes, du temps des Grecs antiques était une Cité, au même titre que Thèbes, Sparte).
L'homme n'est
homme que lorsqu'il vit en société.
Là seulement il peut développer toutes ses facultés.
Mais sur quoi fonder
l'association des hommes ? sur la violence ? Que vaudra alors cette association fondée sur la force qui ne contient
par définition aucune détermination morale par laquelle le pouvoir qu'un homme exerce sur un autre se maintient et
se perpétue ? Que la force se fasse appeler droit ne change pas sa nature.
La raison, qui est le contraire de la
force, assurerait-elle mieux le pacte d'association ?
I.
Fonder le droit sur la force ?
• C'est la position de Hobbes (cf.
Léviathan) qui s'oppose à la tradition aristotélicienne de l'homme naturellement
social.
A l'état de nature « l'homme est un loup pour l'homme », c'est l'état de guerre permanente.
Voilà comment vit
l'homme avant de s'associer avec les autres hommes.
Cette association permet à l'homme d'échapper à la peur
constante de la mort, à cet état d'insécurité qui règne naturellement.
Mais à l'état de nature, j'ai le droit de faire
tout ce que ma force me permet.
Comment alors obéir ? suivre des lois ?
• Le droit sera fondé sur la force : « La force prime le droit.
» Comment ? Hobbes distingue droit de nature et loi de
nature.
Le droit de nature est « La liberté qu'a chacun d'user comme il le veut
de son pouvoir propre, pour la préservation de sa propre nature, autrement
dit de sa propre vie.
» Une loi de nature est un précepte, une règle générale,
découverte par la raison, par laquelle il est interdit aux gens de faire ce qui
mène à la destruction de leur vie.
On leur enlève le moyen de la préserver, et
d'omettre ce par quoi ils pensent qu'ils peuvent être le mieux préservés » !
(Léviathan).
• « Le droit consiste de faire une chose ou de s'en abstenir, alors que la loi
vous détermine, et vous lie à l'un ou à l'autre ; de sorte que la loi et le droit
diffèrent exactement comme l'obligation et la liberté qui ne sauraient
coexister sur un seul et même point.
» (Idem).
Il n'y a donc qu'un seul moyen d'échapper à la solitude, à la misère, à la mort,
lots de l'état de nature : le contrat, par lequel chacun renonce à tous ses
droits qu'il remet dans les mains d'un seul qui aura alors tous les pouvoirs.
Les
citoyens sont liés par contrat mais pas le souverain.
Son pouvoir est absolu,
unique, indivisible.
Sa légitimité repose sur la force, sur sa toute-puissance.
Il
est au-dessus des lois qu'il fait.
• C'est seulement parce que le souverain est omnipotent qu'il peut accomplir
rationnellement sa fonction : l'ordre et la paix.
Pour échapper à l'état de
guerre permanente, un seul moyen pour Hobbes : un souverain et un état
tout-puissants.
« L'État a pour but de fabriquer l'homme qui ne se crée qu'artificiellement » écrit Raymond Polin.
«
Let us make man » : faisons l'homme.
Telle est la finalité de l'État, produit de l'art humain, qui arrache l'homme à son
animalité.
II.
« La force ne fait pas droit »
• C'est Rousseau qui répond à Hobbes dans un célèbre passage du Contrat social : « Le plus fort n'est jamais assez
fort pour être toujours le maître, s'il ne transforme sa force en droit et l'obéissance en devoir.
De là le droit du plus
fort ; droit pris ironiquement en apparence, et réellement établi en principe.
Mais ne nous expliquera-t-on jamais ce
mot ? La force est une puissance physique ; je ne vois point quelle moralité peut résulter de ses effets.
Céder à la
force est un acte de nécessité, non de volonté ; c'est tout au plus un acte de prudence.
En quel sens pourra-ce
être un devoir ?
Supposons un moment ce prétendu droit.
Je dis qu'il n'en résulte qu'un galimatias inexplicable.
Car, sitôt que c'est la
force qui fait droit, l'effet change avec la cause ; toute force qui surmonte la première succède à son droit.
Sitôt
qu'on peut désobéir impunément on le peut légitimement, et puisque le plus fort a toujours raison, il ne s'agit que de
faire en sorte qu'on soit le plus fort.
Or, qu'est-ce qu'un droit qui périt quand la force cesse ? S'il faut obéir par
force, on n'a pas besoin d'obéir par devoir, et si l'on n'est plus forcé d'obéir on n'y est plus obligé.
On voit donc que.
»
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