Peut-on faire confiance en l'intuition
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«
Introduction.
— Comme l'homme du vulgaire, le savant, qui observe le monde pour le connaître et le comprendre, procède
de deux façons : par intuition, il atteint directement l'objet qu'il cherche à connaître ; par raisonnement, il explicite les
connaissances impliquées dans les données de l'intuition.
Lorsque le raisonnement est logiquement correct, la conclusion est aussi certaine que les prémisses d'où elle est déduite.
Mais quelle confiance peut-on avoir en l'intuition ?
C'est à cette question que nous nous proposons de répondre après avoir précisé la nature de l'intuition.
I.
— NATURE DE L'INTUITION
Tandis que la pensée discursive atteint un objet de connaissance indirectement, dans ses causes, dans ses effets ou dans
ses signes, la pensée intuitive l'atteint directement, sans intermédiaire.
Mais il y a plusieurs sortes d'intuition.
A.
Nous pouvons appeler intuition empirique la connaissance immédiate d'un phénomène : soit externe (intuition sensible
obtenue par l'intermédiaire des sens) ; soit interne (intuition psychologique ou par la conscience qui me fait connaître les
sentiments et les pensées qui se passent en moi) .
B.
L'intuition rationnelle ou intellectuelle consiste dans la perception de rapports entre les données des sens ou de la
conscience.
Les animaux, qui ont des intuitions empiriques, n'ont pas d'intuitions rationnelles.
Ainsi ils perçoivent comme
l'homme les lignes formant un polygone régulier : ils ne perçoivent pas dans cette figure la régularité résultant du rapport
des lignes entre elles.
Ils perçoivent des choses semblables, mais non leur ressemblance, car on ne les voit pas s'étonner
comme l'enfant au spectacle des objets d'une ressemblance frappante.
Ils ne s'étonnent pas quand ils sont témoins d'un
événement dont l'antécédent est invisible, car, dans leur esprit, il n'y a pas de liaison nécessaire entre l'idée de
commencement et celle de cause.
C.
Au sens le plus usuel, on entend par intuition l'intuition divinatrice, par laquelle un esprit cultivé ou expérimenté
découvre la solution d'un problème avant de pouvoir démontrer rationnellement qu'elle est juste.
Ce mode de pensée
joue un rôle capital : a) aussi bien dans la vie pratique (c'est sur des intuitions de ce genre que se fonde la confiance ou la
défiance que nous inspirent nos semblables) que b) dans la recherche scientifique (l'hypothèse du savant est une donnée
de l'intuition divinatrice).
Ces trois sortes d'intuition semblent bien réaliser la notion d'intuition en général : connaissance d'un objet de pensée en
lui-même.
Mais n'est-ce pas une illusion ?
II.
- LA CONFIANCE QU'ELLE MÉRITE
Le problème a son importance, car la réponse à faire à la question principale que nous nous sommes posée dépend de la
réponse qu'on lui donnera.
Seule, la véritable intuition mérite une absolue confiance.
En effet, l'erreur peut se glisser dans l'intervalle qui sépare la
chose signifiée du signe par laquelle nous parvenons jusqu'à elle ; au contraire, quand la chose elle-même est donnée
directement, il n'y a pas d'erreur possible.
A.
Méritent une confiance absolue parce qu'intuitions véritables : l'intuition empirique et l'intuition rationnelle, conçues
comme nous les avons définies.
L'intuition empirique nous fait connaître les phénomènes, c'est-à-dire les impressions et les représentations que les
choses font sur nous.
De ces impressions et de ces représentations, nous n'avons aucune raison de douter.
Sans doute, il peut y avoir des illusions : je puis croire qu'une cloche sonne alors qu'il y a le silence le plus absolu ; un
amputé souffre à son pied qui n'existe plus.
Aussi bien ne disons-nous pas que l'intuition empirique nous fait connaître des
choses : elle ne nous fait connaître que des phénomènes ou des représentations des choses.
Il est bien vrai, dans les
exemples cités, que j'ai l'impression d'une cloche qui sonne, de froid aux pieds...
Un kantien nous dira peut-être que toute intuition empirique est erronée,
puisqu'elle nous représente les choses dans l'espace et dans le temps qui, d'après
Kant, n'existent pas.
Mais, ici encore, il reste vrai que si les choses elles-mêmes, qui
dépassent la possibilité de l'intuition empirique, sont hors de l'espace et du temps,
leur représentation s'étale effectivement pour nous dans la durée et dans
l'étendue.
L'intuition rationnelle, qui nous fait percevoir, non pas l'existence de phénomènes
réels ou de choses, mais l'existence de rapports, mérite aussi une confiance
absolue.
S'il s'agit de rapports de fait (j'ai devant moi un livre), la certitude de cette
intuition est du même ordre que celle de la réalité des phénomènes en rapport
(dans l'exemple donné, la réalité de la représentation du livre).
Pour les rapports de
droit (le tout est plus grand que la partie) , cette intuition se présente avec une
évidence qui ne laisse place à aucun doute, et si nous voulons la mettre
systématiquement en doute, nous constatons que nous devons renoncer à penser..
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