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Peut-on désirer autre que l'impossible?

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« Introduction « Désirer » vient du latin « desiderare », qui signifie « regretter une étoile disparue ».

Son étymologie indique donc le caractère impossible ou inaccessible de l'objet désiré : on ne désire que ce qu'on ne peut avoir.

Faut-il ici donner raison à l'étymologie ? Une telle conception du désir ne repose-t-elle pas sur des présupposés concernant la nature de l'imaginaire et sur l'être du temps ? N'est-ce pas assigner une fonction essentiellement stérile au désir que de le concevoir comme pure représentation imaginaire, nécessairement séparée de toute réalité possible ? Première partie - Le désir semble en effet se nourrir de l'impossible.

Contrairement au besoin, qui est de l'ordre de la nature (manger, respirer, etc.), le désir ne peut être satisfait, car il n'a pas d'objet fixe.

Il est essentiellement manque, car on ne désire que ce que l'on a pas (cf.

Platon, Le Banquet).

Or, sitôt qu'un désir semble assouvi, l'homme se rend compte que l'objet qu'il vient d'acquérir ne suffit pas à combler son désir : « Le désir, de sa nature, est souffrance ; la satisfaction engendre bien vite la satiété ; le but était illusoire ; la possession lui enlève son attrait ; le désir renaît sous une forme nouvelle, et avec lui, le besoin ; sinon, c'est le dégoût, le vide, l'ennui, ennemis plus rudes encore que le besoin » (Schopenhauer, Le monde comme volonté et comme représentation, IV, §57, p.396, PUF, 1966). - Cette représentation du désir comme manque conduit inévitablement, comme l'indique Schopenhauer, à faire du bonheur, que tous les hommes désirent comme le Souverain bien (cf.

Aristote, Ethique à Nicomaque, livre I), quelque chose d e l'ordre d e l'impossible.

Le désir serait nécessairement désir de l'impossible, en ce qu'il serait une quête impossible de stabilité : « C'est pourquoi je place au premier rang, à titre de penchant universel de tout le genre humain, un désir inquiet d'acquérir puissance après puissance, désir qui ne cesse seulement qu'à la mort.

Et la cause de cela (…) [c'est] qu'on ne peut garantir la puissance et les moyens de vivre bien dont on dispose dans le présent, sans en acquérir plus.

» (Hobbes, Léviathan, livre I, chap.

XI). - Ainsi, c'est cette versatilité du désir ou plutôt de l'objet du désir qui justifie qu'on le qualifie d'insatiable (Hobbes), non pas parce qu'il ne toucherait jamais son objet, mais parce que sitôt touché, celui-ci cesse d'être désirable : le désir se nourrit ainsi de l'inaccessible.

Est-ce à dire que l'on ne peut que désirer l'impossible ? Q u e signifie ici « impossible » ? Ne peut-on affirmer simultanément que l'impossible soit désirable et que le désir ne soit pas qu'un pur fantasme imaginaire, délié de tout contact avec la réalité et le possible ? Seconde partie - En critiquant la spatialisation du temps, Bergson critique aussi la notion d' « impossible » : si la philosophie doit penser « la nouveauté radicale et l'imprévisibilité » (p.10 de l'introduction de 1934 à La Pensée et le mouvant), il faut alors dire que ce qui était hier impossible est devenu aujourd'hui possible en m ê m e temps que réel.

Si on envisage la durée « comme une évolution créatrice, il y a création perpétuelle de possibilité et non pas seulement de réalité » : le possible ne préexiste pas à sa réalisation, comme le montre Bergson à partir de l'exemple de la symphonie ( op.

cit.) : ce que l'on concevait encore hier comme impossible devient aujourd'hui rétroactivement possible, puisque réel, et il est impossible de dire aujourd'hui comment sera la symphonie du futur, puisque celle-ci ne préexiste pas, en tant que possible, à sa réalisation. - Le désir comme l'impossible sont ainsi inextricablement liés au temps, et la conception que l'on s'en fait dépendra d e notre pensée du temps.

Envisager le temps comme « durée », création imprévisible de nouveautés, c'est dire qu'on ne pourra jamais décréter d e manière définitive ce qui est d e l'ordre du possible et ce qui est impossible.

Dès lors, si le désir paraît toujours utopique, irréalisable, désir de quelque chose d'impossible, cet aspect irrationnel du désir se dissout sitôt que ce que l'on a désiré s'est réalisé.

Certains, tel Schopenhauer, qui souligne que le désir est une tendance impossible à assouvir parce que toujours renouvelée, déclarent alors que le désir est toujours désir d e quelque chose d'impossible.

Mais comment soutenir cela si ce qu'on a pu désirer s'est aujourd'hui réalisé ? - En fait, le désir n'est désir d e quelque chose d'impossible que si on le situe du côté de l'imaginaire, qu'on oppose ensuite au réel.

On le représente ainsi, comme le fait la psychanalyse selon la critique de Deleuze, comme pure représentation de fantasme, alors qu'il est en fait production collective de réel : « Le réel n'est pas impossible, dans le réel au contraire tout est possible, tout devient possible (…) Les révolutionnaires, les artistes et les voyants se contentent d'être objectifs, rien qu'objectifs : ils savent que le désir étreint la vie avec une puissance productrice, et la reproduit d'une façon d'autant plus intense qu'il a peu de besoin.

Et tant pis pour ceux qui croient que c'est facile à dire, ou que c'est une idée dans les livres.

» (Deleuze et Guattari, L'Anti-Œdipe, p.35) Loin d'être désir de quelque chose d'impossible, le désir est au contraire, pour Deleuze, création de nouveaux possibles, comme la durée bergsonienne est évolution créatrice. Conclusion Si on ne peut désirer autre chose que l'impossible, cela ne peut avoir d'autre sens que de dire que ce que l'on désire actuellement, on le croit inaccessible ; on ne peut donc qu'imaginer l'obtention de cet objet du désir.

Le bonheur, qui est ce que tous les hommes désirent bien qu'ils cherchent à l'acquérir de diverses manières, est ainsi, selon Kant, un « idéal de l'imagination » (Fondements de la métaphysique des mœurs, II, p.132 trad.

Delbos, éd.

Delagrave).

Mais que le désirable soit de l'ordre de l'imaginaire n'induit pas qu'il soit pur fantasme, désir irréaliste d e quelque chose d'impossible : selon Deleuze, le désir est en effet une puissance productrice de réel, et non pas simplement une représentation fantasmatique de l'inconscient comme il le serait pour Freud.

Or, si l'on pourrait dire, pour paraphraser Deleuze, que si le temps est la mise en crise du désir, en ce que ce qui est désiré cesse de l'être sitôt qu'on l'acquiert, le devenir est aussi ce qui fait devenir possible ce qui hier encore ne l'était pas : devenir et désir sont tous deux productions de possibles.

L'événement – et le désir est d e l'ordre de l'événement – est ainsi « ouverture d e possible », c'est « un état instable qui ouvre d e nouveau champ d e possibles » (cf.

Deleuze, « Mai 68 n'a pas eu lieu », texte n°32 de Deux régimes de fous, éd.

de Minuit, 2003 p.215-217).. »

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