Peut-on décider d'être heureux?
Extrait du document
«
Le bonheur est un désir universel.
Personne en effet, ne peut souhaiter son propre malheur."Tous les hommes
aspirent à la vie heureuse et au bonheur, c'est là une chose manifeste." Aristote, La Politique, 384-322 av.
J-C.
Pourtant il est compliqué de définir explicitement ce qu'est le bonheur.
Si l'on remonte à l'étymologie du terme, on se
rend compte qu'il est lié au hasard, à la chance.
En effet, le bonheur est "bon heur", qui vient du latin augurium qui
signifie "augure", "chance".
Le bonheur serait alors quelque chose qui arrive, qui advient, sans qu'on s'y attende.
Comment alors peut-on décider d'être heureux, si nous n'avons pas la maîtrise de celui-ci, s'il nous échappe ? Peuton néanmoins faciliter, produire son surgissement ?
Le bonheur, comme Bien, peut être produit
Pour les philosophes antiques, le bonheur se confond avec le Bien, avec la vie vertueuse, fondée sur l'exercice de la
raison.
Il est donc complètement dissocié du plaisir et est à relier avec les décisions vertueuses de l'individu.
Le
bonheur est alors soustrait au hasard et peut être produit.
Pour les Stoïciens, le bonheur correspond à l'absence de troubles( ataraxie), qui est une mise en accord de nos
désirs avec l'ordre du monde " Ne désire pas que les choses adviennent comme tu le désires, mais désire qu'elles
arrivent comme elles arrivent, ainsi tu jouiras de la paix intérieure" (Manuel D'Épictète).
« Puisque l'homme libre est celui à qui tout arrive comme il le désire, me dit un
fou, je veux aussi que tout m'arrive comme il me plaît.
- Eh ! mon ami, la folie
et la liberté ne se trouvent jamais ensemble.
La liberté est une chose non
seulement très belle, mais très raisonnable et il n'y a rien de plus absurde ni
de plus déraisonnable que de former des désirs téméraires et de vouloir que
les choses arrivent comme nous les avons pensées.
Quand j'ai le nom de Dion
à écrire, il faut que je l'écrive, non pas comme je veux, mais tel qu'il est, sans
y changer une seule lettre.
Il est de même dans tous les arts et dans toutes
les
sciences.
Et tu veux que sur la plus grande et la plus importante de toutes
les choses, je veux dire la liberté, on voie régner le caprice et la fantaisie.
Non, mon ami : la liberté consiste à vouloir que les choses arrivent, non
comme il te plaît, mais comme elles arrivent.
»
Épictète, Entretiens, trad.
J.
Souillé, Les Belles Lettres.
Ce que défend ce texte:
Ce que ne voit pas le « fou », selon Épictète, concerne le fait que les
événements n'arrivent jamais « comme nous les avons pensés », et que nous
ne pouvons jamais les modifier pour les soumettre à nos désirs, car ils ne font
que déployer un destin qui nous dépasse.
Pour illustrer cette thèse, Épictète utilise une comparaison: « Quand j'ai le nom de Dion à écrire, il faut que je
l'écrive, non pas comme je veux, mais tel qu'il est, sans y changer une seule lettre.
» L'ordre de ces lettres est
semblable à l'ordre des événements qui « écrivent » le cours de mon existence.
De même qu'il est impossible de
changer une lettre (car c'est nécessairement avec celles-là que s'écrit le nom de Dion), il est de même impossible
de changer le cours des événements de ma vie, car c'est nécessairement avec ceux-là qu'elle se déploie.
Bien écrire et respecter la bonne orthographe des noms est chose importante.
Mais il est encore plus important de
bien vivre, c'est-à-dire de se soumettre à ce que nous dit notre raison, en respectant le cours de notre destinée,
par une adhésion pleine et entière à la nécessité qu'elle déroule.
Or c'est ce que ne comprennent pas ceux qui
veulent que tout arrive comme il leur plaît.
Ils respectent sans problème l'orthographe des noms et se refusent à la
modifier à leur fantaisie.
Toutefois, « sur la chose [...] la plus importante de toutes les choses », leur liberté, ils
n'hésitent pas à vouloir faire régner cette fantaisie, en essayant de changer les événements au gré de leur bon
vouloir.
On peut toutefois se demander ici si l'analogie avec les lettres du nom de Dion n'est pas trompeuse.
Car, lorsque j'ai
ce nom à écrire, je peux bien commettre une erreur et en
donner une mauvaise orthographe.
Doit-on dire alors que je peux aussi, volontairement ou non, m'opposer à ma
destinée et écrire une « mauvaise page » de mon histoire, contraire à celle qui était prévue ? Si c'est le cas,
comment peut-on concevoir à la fois la nécessité du destin et cette possibilité de lui échapper ?
En réalité, cette difficulté apparente souligne plutôt les limites de cette comparaison.
Les hommes ne peuvent pas
changer les « lettres » de leur destin, mais ils peuvent modifier leur attitude d'esprit vis-à-vis de ce qui arrive.
Cette
attitude, Épictète l'appelle « faire un bon usage de ses représentations », c'est-à-dire reconnaître ce qui dans
l'existence ne dépend pas de nous (tous les événements de la vie) et ce qui seul en dépend (le fait d'accepter ou
non ce qui arrive).
Le sage qui ajuste son jugement à la nécessité ne connaîtra alors plus les tourments de ceux qui croyaient plier les
événements à leur volonté.
Au lieu de se lamenter contre ce qui lui arrive il sera dans cette paix intérieure que
suscite la conscience de participer par notre vie à la vie divine.
En effet, pour les stoïciens, chaque existence
individuelle est comme le rôle qu'un acteur joue dans une grande pièce de théâtre dont l'histoire générale constitue
la vie même de Dieu.
Le sage qui a compris cela ne s'opposera plus inutilement au destin et il aura saisi que la vraie
liberté consiste à « adhérer au destin », ce qui ne signifie pas simplement l'accepter, contraint et forcé, c'est-à-dire
résigné, mais « vouloir que les choses arrivent non comme il te plaît, mais comme elles arrivent »..
»
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