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Peut- on avoir des idées sans qu'on puisse les dire ?

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« Position du problème • Est-il possible de posséder des représentations abstraites et générales, des objets de pensée sans avoir la puissance de les énoncer et de les exprimer ? Peut-on penser sans avoir le pouvoir d'exprimer les idées correspondantes ? Tel est le sens de cet intitulé de sujet qui se rattache au thème du langage. • Peut-on avoir des pensées sans qu'on puisse les dire ? Y a-t-il des phénomènes de l'esprit qui débordent le langage ? En bref, y a-t-il de l'inexprimable ou de l'ineffable, le langage étant fondamentalement inapte à exprimer certaines expériences ou représentations ? Tel est le problème soulevé par ce sujet dont l'enjeu est manifeste car la mise en cause du langage implique un recours à d'autres modes d'appropriation du vrai (intuition, etc.).

Si je réponds affirmativement, alors l'ineffable semble une limite infranchissable. A.

On peut avoir des idées sans pouvoir les dire On peut, tout d'abord, avoir des représentations qui se présentent à l'état de fermentation et qui ne parviennent pas à devenir claires et à s'exprimer.

Elles se manifestent sous le registre et dans la sphère des sentiments et sensations.

Le « sentir » s'offre alors sous la forme de données confuses et très difficilement exprimables.

Ce que notre âme ressent devant les couleurs et les formes, avons-nous le pouvoir de le couler dans la structure nette et bien découpée du mot ? Dès que je parle, j'exprime le général.

Dire, c'est exprimer par un signe précis et commun à tous.

Or, la sphère du sentir peut-elle être désignée par ce dernier ? La certitude sensible, ce qu'il y a de plus immédiat, paraît irréductible au langage. L'idée, à un second niveau, peut être, non plus en relation avec le sentiment immédiat (la couleur, la forme), mais avec le mystère et l'au-delà du langage.

Ici encore, il semble qu'on puisse avoir des représentations opaques ou crépusculaires, fuyantes, mystérieuses, sans pouvoir les dire.

Dans le mysticisme se donne cette expérience d'un « au-delà » dépassant le dire.

Ici, l'Être ineffable ne peut être exprimé, par la parole. D'une manière générale, l'idée, si elle se rattache à la vie profonde de l'âme, à la « durée concrète » (Bergson), conçue comme fusion sans séparation, peut ne pas être dite réellement et authentiquement.

Car le langage, le « dire », la parole sont adaptés à la pratique.

Or l'idée, se présentant dans sa fluidité et sa mobilité, se rattache alors à l'intuition, cette vision directe de l'esprit par l'esprit.

« Intuition signifie [...] d'abord conscience, mais conscience immédiate, vision qui se distingue à peine de l'objet vu, connaissance qui est contact, et même coïncidence.

» (Bergson, La Pensée et le Mouvant, PUF).

L'idée peut donc ne se présenter que comme coïncidence immédiate, objet de l'intuition, sans intervention de la parole.

Au sein de la durée concrète, l'idée, cette représentation fluide, n'est pas nécessairement énonçable. Transition Qu'est-ce, toutefois, qu'une idée ? Il y a, dans ce terme, une connotation intellectuelle.

L'idée désigne, au sens large, tout objet de pensée en tant qu'il est pensé.

Dès lors, comment un objet de pensée pourrait-il ne pas s'inscrire dans le dire, dans l'expression par la parole et la communication verbale ? B.

Toute idée est un jugement et elle est donc grosse de langage et de discours Peut-on avoir des idées sans pouvoir les dire ? Il y a, dans toute réponse affirmative à cette question, une certaine dose de naïveté.

L'intitulé même du sujet nous renvoie, en effet, à l'interdépendance de l'idée et du langage.

Quand je conçois telle idée (par exemple, celle de rose), je juge que la rose existe.

Par conséquent, c'est un certain jugement que je maintiens sous le regard de mon esprit.

Dès lors, former une idée, c'est énoncer un jugement, c'est dire quelque chose : quelque chose de maladroit, de mal formulé parfois, mais, néanmoins, c'est bel et bien dire, faire appel à des mots.

Toute idée générale est, au fond, un jugement condensé se référant à des signes.

L'idée, c'est un mode de penser, de juger, non point quelque chose de muet, comme une peinture sur un panneau.

L'idée est la forme par laquelle nous jugeons les choses.

Dès lors, il n'est pas possible d'avoir des idées sans pouvoir le dire.

Si l'idée est confise, elle se fera progressivement claire dans le langage et par lui. Transition Dès lors, le langage n'est-il pas la forme même du vrai ? Ne peut-on voir en lui la structure même par laquelle nous construisons le vrai ? C.

Le langage est le plus vrai Même si le langage traduit imparfaitement la vraie vie de l'âme, il est toujours possible, fût-ce de manière approximative, de dire l'idée.

C'est en marquant nos pensées du sceau de la forme externe, en les disant et en les exprimant, que nous pensons.

L'ineffable et l'inexprimable sont-ils ce qu'il y a de plus haut ? L'indicible est-il une ultime barrière, un mur infranchissable ? Laissons ici la parole à Hegel, ce philosophe du langage, pour qui ce dernier est le plus vrai : « L'ineffable, c'est la pensée obscure, la pensée en état de fermentation, et qui ne devient claire que lorsqu'elle trouve le mot.

Ainsi le mot donne à la pensée son existence la plus haute et la plus vraie [...] Si la vraie pensée est la chose même, le mot l'est aussi lorsqu'il est employé par la vraie pensée.

» Si la « certitude sensible », apparemment si riche, est, en réalité, pauvre, le langage la fera parvenir à la plénitude.

C'est le Verbe qui crée toutes choses. Conclusion S'il y a de l'ineffable dans la pensée, cet ineffable ne devient vrai que lorsqu'il trouve les mots qui seuls nous offrent une existence où interne et externe sont unis.

Il n'y a pas d'intériorité sans extériorité, d'intérieur sans mode d'être objectivé. L'intérieur et l'extérieur ont le même contenu.. »

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