Penser par soi-même est-il un devoir ou une illusion ?
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«
Introduction
Penser par soi-même : devoir ou illusion ? C'est une question dont il faut mesurer la réponse dans la mesure où
son enjeu est la liberté.
La pensée consciente est le propre de l'espèce humaine.
Aussi, d'emblée serait-on tentés
d'affirmer que c'est le devoir de l'homme que de penser par lui-même, car c'est sa dignité et son humanité qui sont
en jeu.
Or, il semble y avoir un décalage entre ce qui est en droit et ce qui en fait :
Si l'homme aspire en droit à être libre en pensant par lui-même, s'en donne-t-il les moyens en fait ?
Penser par soi-même est un devoir, il en va de notre qualité d'hommes libres, c'est un devoir moral.
Pourtant, le fait
de penser par soi-même peut apparaître comme illusoire : nous nous attribuons à dessein ou non des pensées qui ne
sont pas les nôtres, notre pensée est déterminée par des causes que nous ne maîtrisons pas.
Cela Descartes s'en
rend compte.
Aussi, tente-t-il d'éradiquer cette illusion.
Avec lui, penser par soi-même apparaît comme une véritable
conquête.
I-
Penser par soi-même : le devoir de l'homme
« Posséder le je dans sa représentation, ce pouvoir élève
l'homme infiniment au-dessus de tous les autres êtres vivants sur
la terre », affirme Kant dans L'Anthropologie du point de vue
pragmatique.
La pensée en première personne est donc ce qui
élève l'homme et fait sa dignité.
Pascal exprime la même chose
quand, dans ses Pensées, il écrit que l'homme n'est qu'un roseau
mais un roseau pensant.
Il affirme que « toute notre dignité
consiste (...) en la pensée.
(...) Travaillons donc à bien penser :
voilà le principe de la morale ».
Penser par soi-même est un devoir
moral de l'homme.
La pensée fait la grandeur de l'homme, il a le
devoir d'en faire bon usage.
Il doit penser par lui-même et se
déterminer par lui-même, par son libre-arbitre et son esprit
critique.
Qu'est-ce que le libre-arbitre ? Etymologiquement, c'est le
pouvoir de choisir, au sens ancien, il est synonyme de liberté et au
sens moderne, il signifie la capacité d'être cause première de nos
actes.
L'enjeu de penser par soi-même est donc la liberté, ce à
quoi aspire en droit tout homme.
Mais en fait, y aspire-t-il
véritablement et toujours ? Ne se laisse-t-il pas plutôt aller au
confort de ne pas penser par lui-même mais de se laisser guider
par les autres ?
Kant exhorte à se servir de son entendement : « sapere aude ! ».
Il faut oser, avoir l'audace de penser par soimême plutôt que de subir la pensée des autres.
Or tel est l'enjeu de l'esprit des Lumières : affranchir l'homme de
toute forme d'obscurantisme, de fanatisme, de superstitions.
"La paresse et la lâcheté sont les causes qui expliquent qu'un si grand nombre d'hommes, après que la
nature les a affranchis depuis longtemps d'une direction étrangère, restent cependant volontiers leur vie
durant, mineurs et qu'il soit si facile à d'autres de se poser en tuteurs des premiers.
Il est si aisé d'être
mineur ! Si j'ai un livre qui me tient lieu d'entendement, un directeur qui me tient lieu de conscience, un
médecin qui décide pour moi de mon régime, etc., je n'ai vraiment pas besoin de me donner de peine moimême.
le n'ai pas besoin de penser, pourvu que je puisse payer ; d'autres se chargeront bien de ce travail
ennuyeux.
Que la grande majorité des
hommes tienne aussi pour très dangereux ce pas en avant vers leur majorité, [...] c'est ce à quoi
s'emploient fort bien les tuteurs, qui, très aimablement, ont pris sur eux d'exercer une haute direction de
l'humanité.
Après avoir rendu bien sot leur bétail et avoir soigneusement pris garde que ces paisibles
créatures n'aient pas la permission d'oser faire le moindre pas hors du parc où ils les ont enfermées, ils
leur montrent le danger qui les menace, si elles essaient de s'aventurer seules au dehors.
Or ce danger
n'est vraiment pas si grand ; car elles apprendraient bien enfin, après quelques chutes, à marcher."
Emmanuel Kant, « Qu'est-ce que les Lumières ? »,in : Philosophie de l'histoire (1798), trad.
S.
Piobetta, Aubier.
Ce que défend ce texte:
Au 18 siècle s'est développé en France un courant philosophique et encyclopédique qu'on a appelé les Lumières, par
référence aux lumières de la raison, cette « lumière naturelle » commune à tous les hommes et qui leur apporte
autonomie et connaissance.
Ce courant, qui a eu son équivalent en Allemagne (l'Aufklarung – l'« Éclairement »), est celui sur lequel Kant
s'interroge dans cet extrait.
Qu'est-ce que la philosophie des Lumières ? C'est plus qu'un courant d'idées, nous dit-il,
c'est ce qui désigne « la sortie de l'homme de sa minorité », sortie dont il est lui-même responsable.
Les termes de « minorité » et de « mineurs » ne doivent toutefois pas être pris ici au sens juridique ou politique que
nous connaissons (lorsque nous disons, par exemple, que nous ne pouvons pas aller voter tant que nous sommes
mineurs, et ce, en vertu d'un statut défini par la loi).
Ils désignent, dans le vocabulaire de Kant, l'état de ceux qui,
leur vie durant, sont soumis à une direction étrangère, la situation de celui qui est dans « l'incapacité de se servir.
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