Penser autrui comme notre semblable : sur quoi faut-il fonder cette exigence ?
Extrait du document
«
introduction
Les mots de notre langue sont des « pensées endormies » (Valéry).
La réflexion philosophique peut travailler à en
éclairer les présupposés.
Ainsi, qu'est-ce que je sous-entends lorsque je parle d'autrui comme de mon « semblable »
?
Première partie : Analyse générale de la notion de semblable
a) Dans plusieurs expressions, « semblable » et « autrui » ont presque le même sens (cf.
« l'amour du semblable » et
« l'amour d'autrui ») ; mais le libellé du sujet nous invite à réfléchir sur les raisons qui font qu'on peut différencier les
deux concepts et préférer celui de semblable à celui d'autrui dans certaines circonstances.
b) La notion de semblable contient l'idée d'une ressemblance.
Mais tout ce qui se ressemble n'est pas semblable :
d'un enfant qui ressemble à son père, on ne dira pas nécessairement qu'il lui est semblable.
En revanche, on dira de
deux êtres qu'ils sont « les mêmes » ou semblables, s'ils ont en commun des traits qu'on juge importants ou
essentiels.
Parler d'autrui comme d'un semblable présuppose donc plus qu'une ressemblance entre lui et moi : nous
partageons des caractères fondamentaux.
Deuxième partie : « Toi et tes semblables...
»
a) Que j'en aie ou non conscience, je tiens nombre de mes caractères de ces « autres » que sont « les miens »
(ceux de ma famille, de ma culture, etc.).
Il est vrai que je parle rarement d'eux comme de mes semblables : ce sont
plutôt les autres — autres que les miens — qui disent parfois : « toi et tes semblables », sensibles à des similitudes
qui pouvaient m'échapper.
b) Alain pense qu'il y a bien plus que de vagues ressemblances entre mes proches et moi : « en l'autre, je trouve
mon semblable », cet autre ayant d'abord été, pour l'enfant, « sa mère, ses frères, ses compagnons ».
Nous
sommes unis en particulier par une même langue ; celle-ci ne nous permet pas seulement de communiquer ; comme
nous apprenons « en même temps la parole et la pensée », on comprend que nous soyons fondamentalement les
membres d'une même communauté d'idées, de sentiments, de perceptions, etc., et les éléments d'explication qui
suivent.
Troisième partie : « Par la géométrie, je reconnais mon semblable »
a) La pensée rationaliste classique considère souvent que les ressemblances,
si fortes soient-elles, qui font de certains autres mes « semblables » dans une
culture particulière, sont des ressemblances contingentes ; par contre, une
certaine identité universelle des consciences humaines, transcendant les
cultures particulières, est manifestée par la raison, « naturellement égale en
tous les hommes ».
(Cf.
Descartes : « Le bon sens est la chose du monde la
mieux partagée », Discours de la Méthode, 1re partie.)
• Pour Descartes, il faut distinguer, parmi les facultés humaines, la raison de
la perception et de l'imagination.
Ces deux dernières ne peuvent pas nous
faire connaître le réel, car la perception est passive et ses objets sont
changeants, tandis que l'imagination est active mais produit elle-même ses
objets et nous coupe du monde réel.
• La raison réunit leurs qualités respectives : elle est active et nous met en
contact avec le monde extérieur.
Elle nous permet ainsi de connaître les
objets eux-mêmes malgré leurs changements permanents: on sait par exemple
qu'un morceau de cire est le même objet malgré ses changements.
• Si le propre de l'homme est d'être rationnel, cela n'empêche pas toutefois
qu'il puisse se tromper.
Mais ce n'est pas, dit Descartes, par manque de
raison, mais par un mauvais usage de la raison.
C'est pourquoi Descartes
tâche d'inventer une «méthode» qui permette de toujours bien utiliser sa
raison et de faire progresser de manière définitive l'édifice de la connaissance.
D'où Alain : « Par la géométrie, je reconnais mon semblable ; et Socrate fit une grande chose le jour où il proposa le
carré et la diagonale, tracés sur le sable, non point à Alcibiade ou à Ménon, ni à quelqu'un de ces brillants
Messieurs, mais à un petit esclave qui portait les manteaux » (allusion au dialogue de Platon, le Ménon,où Socrate
montre qu'un esclave, dont on dirait aujourd'hui qu'il n'a pas la même culture, au sens ordinaire et au sens
ethnologique, que ses maîtres, est capable d'élaborer une démonstration géométrique).
« Ainsi Socrate cherchait
son semblable, et l'appelait dans cette solitude des êtres que la société accomplit » (Libres Propos, 1927).
b) Cette position rationaliste présuppose que l'altérité d'autrui est inessentielle, que ce par quoi un être est différent
des autres importe moins que ce par quoi nous sommes tous semblables : notre intelligence rationnelle.
En ce sens,
le mot « autrui » ne dit pas l'essentiel ; « semblables » par l'entendement, nous pouvons dépasser l'accord
(contingent) pour atteindre une entente (rationnellement fondée).
A la limite, nous sommes identiques..
»
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