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Paul Valéry donne à l'écrivain ce conseil : « Entre deux mots, il faut choisir le moindre» (Tel Quel, Littérature, 1929). Vous rapprocherez cette boutade de la définition qu'André Gide propose du classicisme : « Le classicisme - et par là j'entends : le

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  • Introduction

   Tout artiste veut produire un certain effet au moyen d'un certain matériel concret (mots, couleurs, sons, pierres). Quel est le rapport entre les moyens et les effets? Solution classique ou du moins d'esprit classique : le minimum de moyens pour le maximum d'effets. Valéry, Gide, néo-classiques du XXe siècle, se rallient à cette position. Est-elle la seule? n'a-t-elle pas ses limites et ses inconvénients (risque de sécheresse, de pauvreté)?

  • I) L'économie des moyens chez les classiques

 a) Cette rhétorique vise à éviter tout ce qui force la note pour rien. Pascal fournit beaucoup d'indications à ce sujet : « Masquer la nature et la déguiser. Plus de roi, de pape, d'évêque, — mais auguste monarque, etc.: point de Paris, — capitale du royaume. Il y a des lieux où il faut appeler Paris, Paris, et d'autres où il la faut appeler capitale du royaume » (Pensées, Éd. Brunschvicg, 49; Lafuma, 968, et cf. XVIIe Siècle, p. 151). La Bruyère reprendra cette idée dans une formule saisissante: « Amas d'épithètes, mauvaises louanges » (Les Caractères, chap. I): Boileau exprimait déjà la même opinion dans L'Art poétique : « Qui ne sait se borner ne sut jamais écrire » (XVIIe Siècle, p. 360).

« Paul Valéry donne à l'écrivain ce conseil : « Entre deux mots, il faut choisir le moindre» (Tel Quel, Littérature, 1929). Vous rapprocherez cette boutade de la définition qu'André Gide propose du classicisme : « Le classicisme - et par là j'entends : le classicisme français - tend tout entier vers la litote.

C'est l'art d'exprimer le plus en disant le moins.

» (Billets à Angèle, 1921, dans Incidences.) Vous vous demanderez quel aspect du classicisme et, d'une façon générale, quelles positions littéraires sont ainsi définis. Introduction Tout artiste veut produire un certain effet au moyen d'un certain matériel concret (mots, couleurs, sons, pierres). Quel est le rapport entre les moyens et les effets? Solution classique ou du moins d'esprit classique : le minimum de moyens pour le maximum d'effets.

Valéry, Gide, néo-classiques du XXe siècle, se rallient à cette position.

Est-elle la seule? n'a-t-elle pas ses limites et ses inconvénients (risque de sécheresse, de pauvreté)? I L'économie des moyens chez les classiques t Examen de la rhétorique classique a) Cette rhétorique vise à éviter tout ce qui force la note pour rien.

Pascal fournit beaucoup d'indications à ce sujet : « Masquer la nature et la déguiser.

Plus de roi, de pape, d'évêque, — mais auguste monarque, etc.: point de Paris, — capitale du royaume.

Il y a des lieux où il faut appeler Paris, Paris, et d'autres où il la faut appeler capitale du royaume » (Pensées, Éd.

Brunschvicg, 49; Lafuma, 968).

La Bruyère reprendra cette idée dans une formule saisissante: « Amas d'épithètes, mauvaises louanges » (Les Caractères, chap.

I): Boileau exprimait déjà la même opinion dans L'Art poétique : « Qui ne sait se borner ne sut jamais écrire ». b) Cette rhétorique se méfie particulièrement : • des épithètes forcées ou même simplement de celles qui imposent trop brutalement à l'esprit du lecteur ce que l'on veut démontrer; dans son édition des Pensées, Brunschvicg cite en note à l'appui de la Pensée 49 une lettre de Miton à Méré (deux types de libertins « honnêtes gens », amis de Pascal), lettre où Miton critique un historien qui, rapportant une action héroïque de Charles Quint, l'appelle sans cesse « grand empereur ».

alors que, selon lui.

il vaudrait mieux l'appeler tout simplement Charles.

« car il est bien plus grand à Charles, qui est simplement un homme de mépriser la mort et la douleur, qu'il ne l'est à un grand empereur, dont le métier est de mépriser tout pour la gloire »: en revanche, note Miton, il eût été plus expressif de l'appeler ce grand empereur « lorsqu'on évoque ses années de retraite après son abdication »; • des images que Pascal appelle trop luxuriantes et des mots hardis que l'on juxtapose inutilement (« Éteindre le flambeau de la sédition.

» trop luxuriant.

— « L'inquiétude de son génie », trop de deux mots hardis.

» Pensées, Éd. Brunschvicg.

59: Lafuma.

976).

11 semble que ce style, marqué par l'idéal de la litote, cherche à donner toute leur force aux mots par leur emploi précis et par l'exactitude de leurs rapports entre eux. 2 Étude d'exemples.

C'est dans Racine qu'on peut trouver les meilleurs, bien qu'il ne faille pas s'exagérer la sobriété de l'art racinien (il n'est pas exempt d'une certaine pompe tant dans le discours que dans le spectacle).

Mais la cruauté polie et mondaine du dialogue racinien en fait le modèle d'un langage où sous une apparence d'innocence les mots ont une beaucoup plus grande portée que ne le laisse croire leur discrétion de surface.

Deux passages typiques : • Andromaque, acte I.

se.

4, la célèbre entrée en scène d'Andromaque (v.

260-264) : Je passais jusqu'aux lieux où l'on garde mon fils.

Puisqu'une fois le jour vous souffrez que je voie Le seul bien qui me reste et d'Hector et de Troie, J'allais, Seigneur, pleurer un moment avec lui : Je ne l'ai point encore embrassé d'aujourd'hui. Ce langage semble extrêmement mesuré : pas une épithète, pas une image qui ne soit strictement incorporée à la phrase, pas un « mot hardi », mais Andromaque ne cesse de marquer les distances qu'elle entend maintenir avec Pyrrhus : au vous de Pyrrhus (« Me cherchiez-vous.

Madame?»), elle répond en se murant dans son moi (quatre je. un mon et un me en cinq vers), ne désigne Pyrrhus que par l'insolent on.

le traite de geôlier (garde), de tyran (souffrez), refuse de s'arrêter pour parler (je passais), souligne bien qu'elle ne pense qu'à son passé (Hector et Troie), ne veut pas sortir de ses malheurs (pleurer), n'aime et ne veut aimer que son fils (embrassé d'aujourd'hui). On ne peut mieux « remettre quelqu'un à sa place » et chercher à « couper tous les ponts », mais sans que jamais un seul mot soit en lui-même une attaque directe. • Iphigénie, acte IV, se.

4, la fameuse prière d'Iphigénie.

Déjà Péguy remarquait la cruauté naturelle, profonde de cette tirade : « Il n'y a pas un mot.

pas un vers, pas un demi-vers, pas un membre de phrase, pas une conjonction, il n'y a pas un mot qui ne porte pour mettre l'adversaire, (le père), dans son tort...

Alors il n'y a pas un mot qui ne porte (au fond il n'y a pas un mot qui ne soit meurtrier).

(Et il faudrait les marquer tous)...

Il n'y a pas de danger qu'Iphigénie soit insolente.

Elle est infiniment pire.

Sous chacune de ses paroles, sous ses silences même, encore plus, sous chacun de ses silences couve une insolence qu'elle veut bien ne pas dispenser, une impertinence volontairement restreinte, réduite, reconduite, tenue en main, tenue en guide, une insolence, une impertinence royale, fille de roi.

quel roi.

(secrètement fille d'Atride); ou le dernier, le pire de tout, une insolence de tendresse, une impertinence tendre.» (Victor Marie Comte Hugo.

A la lumière de cette suggestion de Péguy, il serait facile de creuser tous les détails de cette tirade (lien intéressant entre la dissertation et l'explication de texte).

Signalons seulement quelques effets dans les premiers vers : terrible ironie du « cessez de vous troubler ».

car c'est tout de même Iphigénie la condamnée à mort, mais il s'agit avant tout d'apaiser un homme faible et vaniteux qui est capable de n'importe quoi lorsqu'il juge son autorité mise en question, d'où le « vous n'êtes point trahi »: il faut avant tout qu'Agamemnon ne se sente pas ridiculisé dans son rôle de chef.

Iphigénie ne peut cependant pas s'empêcher de marquer un léger mépris pour cette autorité qui ne sait pas commander et doit avoir recours à des intrigues pour se. »

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