Parler n'est-il pas toujours en un sens donner sa parole ?
Extrait du document
«
Parler signifie simplement utiliser le langage dans une situation donnée : cela suppose donc presque nécessairement un interlocuteur
(lorsqu'on parle seul on fait en somme comme si il y avait quelqu'un).
Parler consiste donc à échanger des paroles avec un autre.
Demandez-vous donc en quel sens on pourrait décrire cet échange comme un don réciproque de paroles.
Cependant " donner sa parole "
a bien sûr en français un tout autre sens : donner sa parole c'est promettre.
Demandez-vous donc en quel sens on peut affirmer que
toute parole ou que tout discours constitue une promesse : si je parle c'est que j'ai quelque chose à dire , quelque chose à communiquer
à l'autre , de plus ce que je dis n'a de valeur que si je suis sincère.
N'est-ce pas donc en un sens promettre que l'on dit la vérité.
Mais
demandez-vous alors aussi s'il n'arrive jamais que l'on parle pour ne rien dire ou pire que l'on mente...
Le terme parole qualifie un type de communication intersubjective caractérisée par l'oralité.
Elle peut avoir lieu entre un locuteur et un
ou plusieurs auditeurs, qui peuvent être interlocuteurs dans un cadre discursif.
Ainsi, il est possible de parler à une foule lors, par
exemple, d'une conférence, tout comme il est possible de dialoguer à deux ou à trois, par exemple.
La parole, dans la tradition
aristotélicienne, caractérise l'homme : "L'homme, seul de tous les animaux, possède la parole."[1] La richesse sémantique (relative au
sens) et pragmatique (adaptation à un environnement) de la parole la différencie du cri animal ou du langage de programmation, comme
le soutient Descartes[2] : « On peut bien concevoir qu'une machine profère des paroles; mais non pas qu'elle les arrange diversement
pour répondre au sens de tout ce qui se dira en sa présence, ainsi que les hommes les plus hébétés peuvent faire.
» ; « On ne doit pas
confondre les paroles avec les mouvements naturels, qui témoignent des passions, et peuvent être imités par des machines aussi bien
que par les animaux.
» Il est pourtant courant d'entendre dire que quelqu'un « parle pour ne rien dire », alors dans quelle mesure l'acte
de parole a-t-il un sens ? Pour le savoir, il est nécessaire de se demander à quoi sert la parole, de se demander pourquoi nous parlons.
I.
La parole peut être conçue comme un don réciproque de paroles dans la mesure où une grande quantité de nos
échanges verbaux consiste en un échange d'informations pratiques et réutilisables.
« Je te donne cette information, donne
m'en d'autres » en serait le principe d'échange.
Ce type de rapports a surtout lieu dans un cadre professionnel.
Pour que la cité
fonctionne correctement, l'homme, animal politique par nature, a besoin d'échanger des informations, c'est pourquoi Aristote[3]
écrit qu'"Il est évident que l'homme est un animal politique, bien plus que n'importe qu'elle abeille ou n'importe quel animal
grégaire.
Car, nous le disons souvent, la nature ne fait rien en vain.
Et seul parmi les animaux l'homme est doué de parole."
II.
la parole a également une dimension performative, c'est-à-dire que la parole peut avoir valeur d'acte comme c'est le
cas lorsqu'on dit « je le jure », que l'on dit « oui », le jour de son mariage, ou encore que l'on « donne sa parole ».
A ce sujet,
Louis Lavelle[4] écrit que « toute parole a le caractère d'un serment.
Aussi dit-on admirablement donner sa parole.
Et qui ne la
tient pas se déshonore.
» Montaigne[5], en ce sens, considère la parole digne de foi comme le fondement des rapports
humains : « En vérité, le mentir est un maudit vice.
Nous ne sommes hommes et ne nous tenons les uns aux autres que par la
parole.
» Il est ainsi coutume de faire l'éloge de la « parole vraie », comme le fait Hegel[6] lorsqu'il écrit que "parmi les devoirs
particuliers envers autrui, le premier est la véracité de la parole et de la conduite.
Elle consiste dans la conformité entre ce qui
est et dont on a conscience et ce que l'on dit et montre aux autres."
III.
La parole apparemment inutile ou trompeuse est en fait d'une grande utilité sociale.
L'expression populaire « parler pour
ne rien dire » souligne le vide informatif de certains échanges verbaux mais néglige leur utilité sociale, comme le fait d'établir
un contact avec autrui par souci de politesse, pour éviter le malaise dû au silence.
Simone de Beauvoir écrit à ce sujet que « la
parole ne représente parfois qu'une manière, plus adroite que le silence, de se taire.
».« Croire sur parole » est un terme qui
souligne un autre intérêt de la parole que l'échange d'informations : la force de persuasion, Descartes[7] soutient par exemple
que « La parole a beaucoup plus de force pour persuader que l'écriture.
» Les rhéteurs ont développé l'art de convaincre.
Malebranche[8] écrit en ce sens qu'"il faut distinguer la force et la beauté des paroles, de la force et de l'évidence des raisons."
Enfin, la parole non-informative a également le sens d'une démonstration de la perspicacité individuelle et son utilité dans un
groupe humain solidaire.
C'est pourquoi quelqu'un pourrait faire remarquer au milieu d'une conversation d'un tout autre ordre,
que plusieurs des personnes présentes portent des vêtements de la même couleur.
[1] Aristote, La Politique
[2] Discours de la méthode
[3] La Politique, I, chapitre 2
[4] La Parole et l'Écriture
[5] Essais, I, 9
[6] Propédeutique philosophique
[7] Lettre à Chanut
[8] De la recherche de la vérité, livre II, 3e partie, chap.
IV.
»
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