Aide en Philo

Parfum exotique de Baudelaire dans les Fleurs du Mal

Extrait du document

"Racine a écrit le songe d'Athalie et pourtant il rêvait! » écrivit un jour Giraudoux, voulant sans doute indiquer que la logique interne du cauchemar de la vieille reine faisait de cette page célèbre un beau morceau de littérature plutôt qu'un document sur la réalité onirique. La rêverie que dépeint Baudelaire dans Parfum exotique pourrait appeler une boutade similaire : plausible dans sa cause, cohérente dans son développement, « classique » dans son contenu, elle nous propose de l'Idéal que le poète oppose sans relâche à la laideur du réel génératrice de « spleen » et de morosité une image soigneusement composée et ressemblant davantage à un tableau de maître qu'à une simple vue descriptive. L'occasion, le point de départ de la rêverie du poète est réel, appartient au monde sensible c'est la simple odeur de la femme aimée près de laquelle il repose. Que cette femme soit ou non Jeanne Duval, la mulâtresse qu'aima longtemps Baudelaire est anecdotique et donc importe peu : l'exotisme réside dans la rêverie autant et même plus que dans son prétexte. Plus exactement, la démarche sensible du poète est la suivante : ayant isolé sa vue du réel (« les deux yeux fermés »), il est sollicité par les éléments olfactifs (« je respire l'odeur ») et associe aussitôt à cette odeur des images visuelles (« je vois... ») mais intérieures puisque sa vue n'est plus frappée par aucun objet extérieur.


« Parfum exotique de Baudelaire dans les Fleurs du Mal "Racine a écrit le songe d'Athalie et pourtant il rêvait! » écrivit un jour Giraudoux, voulant sans doute indiquer que la logique interne du cauchemar de la vieille reine faisait de cette page célèbre un beau morceau de littérature plutôt qu'un document sur la réalité onirique. La rêverie que dépeint Baudelaire dans Parfum exotique pourrait appeler une boutade similaire : plausible dans sa cause, cohérente dans son développement, « classique » dans son contenu, elle nous propose de l'Idéal que le poète oppose sans relâche à la laideur du réel génératrice de « spleen » et de morosité une image soigneusement composée et ressemblant davantage à un tableau de maître qu'à une simple vue descriptive. L'occasion, le point de départ de la rêverie du poète est réel, appartient au monde sensible c'est la simple odeur de la femme aimée près de laquelle il repose.

Que cette femme soit ou non Jeanne Duval, la mulâtresse qu'aima longtemps Baudelaire est anecdotique et donc importe peu : l'exotisme réside dans la rêverie autant et même plus que dans son prétexte. Plus exactement, la démarche sensible du poète est la suivante : ayant isolé sa vue du réel (« les deux yeux fermés »), il est sollicité par les éléments olfactifs (« je respire l'odeur ») et associe aussitôt à cette odeur des images visuelles (« je vois...

») mais intérieures puisque sa vue n'est plus frappée par aucun objet extérieur. Cette association d'images est immédiate et involontaire comme l'indique la tournure employée (« quand...

je respire..., je vois ») où la juxtaposition des propositions et l'usage du présent soulignent la simultanéité des deux actions et l'absence d'un recours quelconque à la volonté. Mais l'occasion de la rêverie est aussi précisément située dans le temps : la conjonction « quand », isolée par une virgule en début de vers (temps fort) et qui commence le poème comme un accord commencerait une symphonie, ainsi que la première rime, « automne », (autre temps fort) fixent pour ainsi dire le cadre temporel à l'intérieur duquel la rêverie va pouvoir « se dérouler ». Ainsi fixé d'emblée, le temps n'évolue plus, il est comme suspendu : l'emploi exclusif du présent tout au long du poème le souligne assez.

C'est donc dans l'espace et non dans le temps que le développement dynamique du poème va s'inscrire.

Le poète ne nous présente pas les vues qu'il découvre tel un spectateur immobile perdu dans la contemplation d'une belle image, il s'avance lui-même dans l'espace nouveau que son imagination lui a ouvert.

Nous passons ainsi avec lui d'un plan éloigné (rivages) à un plan d'ensemble déjà plus précis (île paresseuse), puis à un plan rapproché (hommes) et enfin à un gros plan (oeil des femmes).

Toutefois, si l'on voulait tenter une comparaison avec les procédés cinématographiques, plutôt qu'à un effet de « travelling », c'est à une suite de fondus enchaînés qu'il faudrait penser : la gradation n'est pas continue, les divers plans au contraire se juxtaposent tout en se fondant sans rupture excessive dans le cadre d'une phrase unique. Cet effet de rapprochement est renforcé par la composition rythmique : aux longs membres de phrase des vers 3 et 4 ou 5 et 6, où les enjambements obligent à prononcer vingt-quatre syllabes d'une seule émission de voix, succèdent des propositions plus courtes à mesure que l'objet décrit devient plus proche et plus précis, que la vue embrassée est du même coup moins ample. Les tercets reprennent les thèmes et les procédés des quatrains mais, peut-on dire, sur un rythme accéléré.

Le poème possède en effet deux mouvements bien marqués correspondant l'un aux deux quatrains, l'autre aux deux tercets, chacun s'inscrivant dans le cadre d'une seule phrase, et dont les schémas comme les mots introductifs sont similaires : « quand...

je respire l'odeur...

je vois...

» et « guidé par ton odeur...

je vois...

».

Dans le premier tercet cependant, un hémistiche, « guidé par ton odeur » suffit au poète pour recréer les conditions de sa rêverie, là où dans le premier quatrain au contraire il lui avait fallu deux vers entiers pour en dessiner le cadre. C'est, comme le suggère l'emploi même du mot guidé, que le poète est déjà en pays de connaissance, que donc il va pouvoir dans ce deuxième temps que sont les tercets 66 CORRIGÉ DE DISSERTATIONS FRANÇAISES • s'aventurer plus avant et plus précisément dans sa rêverie, qu'il va pouvoir enrichir sa vision. Et en effet, le prétexte de la rêverie vient se mêler à la rêverie elle-même, l'odeur de la femme aimée se compose avec le parfum des tamariniers et un élément olfactif vient ainsi se joindre aux composantes encore uniquement visuelles du tableau. Puis, tout à la fin du poème, un troisième sens, l'ouïe, intervient dans la rêverie (s le chant des mariniers ») et lui confère pour ainsi dire une troisième dimension, d'autant qu'il ne s'agit pas d'un simple bruitage global (pour employer encore une comparaison cinématographique, on ne passe pas d'un film muet à un film sonore) mais d'un élément choisi du paysage auditif, celui qui déjà est composé et donc susceptible de toucher l'artiste et de se composer avec les autres éléments qui dans l'âme du poète vont servir de matériau à son propre chant. On voit donc que la rêverie du poète, au fur et à mesure qu'elle progresse, devient de plus en plus sensible, s'impose graduellement à lui comme une réalité et non comme une simple chimère, devient effective. Tout le texte, on l'a déjà vu, est écrit au présent, temps de la simple description.

Mais ici, il faut nous souvenir que le présent est la marque de l'actualité non seulement en un sens purement temporel mais aussi, plus profondément, au sens où actuel s'oppose à potentiel, où la présence est la marque de l'être : ce qui est ainsi présent, actuel, possède donc une véritable réalité au sens de l'effectivité. Baudelaire dès lors pourrait déjà dire, comme le fera quelques années plus tard Mallarmé dans Prose pour des Esseintes, qu'il se trouve ...

dans une île que l'air charge De vue et non de vision, que le monde idéal de beauté qu'il explore au gré de son imagination existe véritablement, telles les idées platoniciennes, au-delà du simple monde sensible qui nous condamne au spleen et à l'insatisfaction.. »

↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓

Liens utiles