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On a dit : « Par l'enfance nous comprenons que nous sommes tous mal partis et qu'il n'en peut être autrement. » qu'en pensez-vous ?

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« L'enfance est associée à l'âge de l'innocence et de la naïveté.

Pourtant, c'est également l'âge où l'homme reçoit une éducation, c'est-à-dire tout un ensemble de règles et de principes qui sont censés l'accompagner toute sa vie. Autant dire alors que l'enfance est bien plutôt l'âge des préjugés, et non celui de l'innocence.

Peut-être d'ailleurs ne sortons-nous jamais de ces préjugés, de sorte que même à l'âge adulte nous continuerions à penser et nous conduire comme des enfants, tout imprégnés de l'éducation que nous avons reçus, et sans songer à la remettre en question.

C'est en ce sens peut-être que l'on a pu dire que « par l'enfance […] nous sommes tous mal partis », parce que nous y avons laissé notre liberté de penser par nous-mêmes.

Doit-on y voir pour autant une fatalité, croire « qu'il n'en peut être autrement » ? Ne doit-on pas distinguer enfin enfance et éducation, pour s'apercevoir que c'est seulement la première qui, laissée à elle-même, nous prive de liberté ? I – L'enfance détermine notre vie - - Pour l'adulte, l'enfance est son passé, c'est-à-dire ce qui le précède, ce dont il provient, sa source en quelque sorte, sans laquelle il ne peut comprendre l'adulte qu'il est au présent.

Souvent les actes de la vie adulte sont rattachés à l'enfance comme à un principe causal : on explique les actes d'un criminel par son enfance difficile ou, plus simplement, on dit de quelqu'un de poli, de respectueux, qu'il a reçu étant enfant une bonne éducation.

Dans un cas comme dans l'autre, l'enfance apparaît comme un principe d'explication de l'âge adulte, on considère qu'elle détermine notre vie.

Le déterminisme est en premier lieu un terme scientifique, qui désigne la relation nécessaire qui existe entre une cause et son effet, de sorte qu'en connaissant la cause, on connaît l'effet.

Appliqué au cheminement de l'enfance vers l'âge adulte, on parlera de déterminisme social ou culturel : par là on désigne, entre autres, le fait qu'un homme est nécessairement le produit de son éducation, son comportement d'adulte s'enracine, provient de ce qu'on lui a appris étant enfant.

L'éducation n'a d'ailleurs pas d'autre fin que celle de nous déterminer, et même parfois de nous conditionner : par elle il s'agit d'acquérir des règles et principes qui vont nous servir toute notre vie.

L'enfance, comprise comme éducation, est donc un poids, celui du passé, qui pèse sur notre présent, notre vie d'adulte. La psychanalyse soutient également la thèse du déterminisme par l'enfance : pour Freud, la plupart des symptômes psychiques de l'adulte s'enracinent dans l'enfance et dans la vie sexuelle de l'enfant.

La névrose développée par une de ses patientes, apparue au moment où elle a commencé à soigner son père malade, est ainsi expliquée par Freud par le complexe d'Œdipe, autrement dit par un trouble qui remonte à l'enfance, puisque le complexe d'Œdipe désigne l'attirance de l'enfant pour son parent de sexe opposé et, corrélativement, la volonté de tuer le parent du même sexe que lui.

De la même façon, Freud a cru trouver un principe d'explication des œuvres de Léonard de Vinci dans un « souvenir d'enfance » de celui-ci : le peintre raconte dans ses cahiers qu'enfant il rêvait d'un vautour qui venait lui toucher la bouche de sa queue.

Ce souvenir permet à Freud de conclure à une homosexualité refoulée du peintre, qui aurait nourri son œuvre, et de voir dans certaines toiles la présence d'un vautour, peint de façon inconsciente.

Par cette analyse, Freud nous renvoie au poids que le passé fait peser sur le présent, au point ici qu'il contredit la liberté de création de l'artiste.

L'enfance est donc un mauvais départ en ce qu'elle nous rend prisonniers d'elle, elle nous détermine, de sorte que notre vie d'adulte n'est plus qu'une reproduction plus ou moins nette de l'enfance, qui influence tout choix et rend la liberté illusoire. II – Pourtant, l'adulte est autre que l'enfant - - Si l'enfance nous détermine, il ne faut pas y voir pour autant une privation totale de liberté.

Le déterminisme en effet, appliqué à l'homme, ne concerne jamais que certains domaines de la vie, tel qu'on le voit par exemple dans la philosophie d'Epictète qui distingue, à côté des « choses qui ne dépendent pas de nous », les « choses qui dépendent de nous ».

Pour les choses qui ne dépendent pas de nous, il faut entendre ce qui s'impose à nous sans que nous ayons sur elles aucun pouvoir.

Ma nature d'homme par exemple, le fait que je sois un être corporel, m'impose la mortalité, me détermine à mourir.

Mais à côté de ces choses qui nous déterminent nécessairement, Epictète dégage un espace de liberté, qui correspond à ce qui « dépend de nous ».

Ce sont principalement mes pensées, mes représentations, que je peux libérer de toute influence extérieure, que je peux faire entièrement miennes.

Cette distinction signifie que le déterminisme n'est pas incompatible avec la liberté du sujet et, comme le dit Sartre: « ce n'est pas le déterminisme qui est l'envers de la liberté, c'est le fatalisme ».

Le fatalisme serait un déterminisme qui s'étendrait à tous les domaines de la vie humaine, y compris celui des pensées, de sorte que la vie ne serait que le déroulement d'un destin déjà écrit, qui exclurait pour l'homme toute liberté.

Un homme soumis à la fatalité est semblable à un personnage de tragédie grecque, qui est le jouet du destin que les dieux ont choisi pour lui.

Mais le déterminisme, on le voit avec Epictète, est essentiellement limité, et la liberté de l'homme consiste dès lors à s'accommoder de ce qui le détermine, à y consentir pour ne pas le subir dans la passivité.

L'homme est donc libre en même temps qu'il est déterminé.

Cela signifie que l'enfance, même si elle le détermine, ne lui impose pas un destin, il peut « en être autrement », car alors tout serait joué dès l'enfance : l'enfant ayant grandi dans des conditions difficiles deviendrait nécessairement un criminel et, à l'inverse, l'enfant bien élevé deviendrait nécessairement un adulte honnête. L'adulte est autre que l'enfant parce qu'il est plus que lui, et c'est précisément ce plus qui lui permet de s'affranchir de l'enfance.

Ce plus qui caractérise l'adulte par opposition à l'enfant est celui de la raison.. »

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