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N'y a-t-il que ce qui dure qui ait de la valeur ?

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« Le temps semble être la garantie d'un accroissement de valeur : le vin, la côte d'un peintre, un savoir-faire, prennent de la valeur grâce au temps qui passe.

Mais la valeur est-elle nécessairement liée à une durée ? L'éphémère, le passage, bref ce qui ne dure pas, ne peuvent-ils pas être investis d'une certaine valeur ? Nous verrons que ce problème exige une analyse poussée de la notion même de valeur, et de ses liaisons au temps, aux rythmes temporels et à la durée.

C'est une gymnastique de la pensée qui est ici exigée, afin de mettre à jour les relations circulaires qui nouent temps et valeur. I- La valeur de l'éphémère. a) L'éphémère n'est pas le ponctuel, le ponctuel c'est ce qui ne dure qu'un instant, il semble qu'il puisse avoir une valeur, par exemple dans le traitement de la douleur lors d'interventions médicales, que la douleur soit la plus minime possible, qualitativement et dans le temps, cela possède une valeur pour le patient.

Mais c'est là peut-être un glissement abusif que d'accorder une valeur à la brièveté d'une douleur, puisque pour obtenir la technique qui permet cette avancée il a certainement fallu en amont un long travail, et c'est davantage ce dernier, inscrit dans la durée, qui doit se voir accorder une valeur. b) L'éphémère, comme le ponctuel, ne dure aussi qu'un instant, cependant nous ne convoquons le terme d'éphémère qu'en de rares occasions.

En effet, l'objet qu'il désigne semble aussitôt investi d'une valeur esthétique, le terme même est poétique.

Un beau coucher de soleil, une sensation particulière, une émotion dont on sait qu'elle ne reviendra pas, peuvent être ressenties de façon intense comme des expériences esthétiques marquantes.

Aussi ce qui ne dure pas aurait une valeur, et celle-ci serait au moins celle de l'agréable, du beau, ou du sublime. c) Or il y a une confusion évidente entre l'existence dans l'espace et dans le temps de ce sur quoi porte le jugement esthétique et sa durée.

L'éphémère comme rencontre esthétique, sensitive, nous marque et si son être est en soi de ne pas durer, elle dure en nous et pour nous.

C 'est la qualité d'un événement qui construit la force du souvenir que l'on en garde, l'éphémère se distingue donc maintenant plus clairement du ponctuel ou de l'instantanée, en tant qu'il peut sans contradiction être dit durer. II- La temporalité de la valeur. a) En nous confrontant à la valeur de la valeur il semble que nous puissions ouvrir à un certain relativisme.

Selon que la valeur est liée au plaisir ou à la réalité, une même chose qui ne dure pas pourra être considérée comme ayant de la valeur ou pas.

Si la valeur c'est la réalité alors il est clair que celle-ci se conjugue avec la durée, est réel ce qui résiste, c'est-à-dire ce qui a dû faire la preuve de sa solidité, ce qui s'est heurté à une opposition, or il n'y a de résistance que garantie par le temps (il faut avoir résister plusieurs fois, cf.

Machiavel pour qui dans le Prince la réalité en politique c'est de durer).

De ce point de vue les amours de Don Juan n'ont aucune valeur de réalité puisqu'en passant d'une femme à l'autre il n'a le temps de se confronter à aucune et ne peut jamais construire de relation réelle, qui aurait résisté à quelque chose.

Le passage est une fuite chez Don Juan, jamais l'épreuve d'une quelconque résistance. b) Et si la valeur c'était le plaisir ? Don Juan collectionne les femmes, une relation pour lui ne doit pas durer, la valeur c'est le plaisir, et peut-être avant tout le plaisir de collectionner (en effet, comme il le dit, il se moque de la beauté ou de l'âge de ses conquêtes).

Le cas est complexe, puisqu'on peut dire que pour Don Juan c'est la brièveté de la relation qui a de la valeur, mais en même temps ce qui compte en dernière analyse c'est moins la brièveté d'une relation que le fait de passer à la suivante ; la collection de Don Juan se conjugue donc avec la durée puisque l'important c'est de continuer toujours ainsi (et il accorde de l'importance à la quantité car il fait énumérer toutes ses conquêtes, il construit la durée sur une quantité).

Finalement nous n'avons pas abouti au relativisme que nous pensions trouver en variant la valeur de la valeur. c) Or, au lieu de raisonner à partir d'une figure mythique, on peut s'attacher à l'évolution de notre société marchande.

De plus en plus le mode de consommation qui fait que l'on jette et remplace les objets gagne en extension, et même les oeuvres d'art (happening, art éphémère) paraissent soumises à cette exigence de la consommation.

C'est une thèse avancée par Arendt dans La condition de l'Homme moderne, utiliser un objet devient synonyme de l'user, les objets à usage unique se multiplient.

Les valeurs liées à ce mécanisme de consommation sont apparemment multiples : hygiène, mode,...

mais toutes se conjuguent avec celle de progrès.

La norme, la valeur de l'économie actuelle semble être cette fuite vers un progrès constant qui fait que les inventions technologiques d'il y'a deux mois sont déjà périmées, dépassées.

Or cette valeur du progrès qui fonde le rythme de la société de consommation est bâtie sur ce qui ne dure pas, il ne peut y avoir de progrès que si les choses deviennent vites désuètes.

Ainsi la valeur économique et technique actuelle semble, au moins en partie, exiger la brièveté d'objets.

Mais le parallèle avec ce qu'on a dit juste avant sur Don Juan peut-être fait : ce qui ne dure pas (les objets consommés) fondent la durée de la valeur de progrès liée au marché en garantissant ce progrès par une dynamique de passage.

Ce n'est donc pas en soi les objets qui ont une valeur mais la durée d'un rythme qui exige que l'on passe de l'un à l'autre. III- Le problème du temps. a) Ce qui dure c'est par essence le temps et la valeur au sens premier, c'est ce qui vaux quelque chose, ce qui a un certain prix, c'est l'argent.

On retrouve la formule bien connue : le temps c'est de l'argent.

Mais celle-ci est plus complexe qu'elle n'en a l'air.

Que veux-t-on dire quand on dit que le temps c'est de l'argent ? Que le temps en lui-même est précieux et que l'on veut gagner du temps, or il y'a deux moyens pour gagner du temps.

Soit on allonge la durée de la vie, ce qui est une grande préoccupation de la médecine actuelle et de la société entière, la vie n'aurait de valeur qu'en tant qu'on vivrait longtemps (lois anti-tabac, jeunisme, ...).

Donc le prix du temps ce serait l'extension du temps, la durée, la valeur actuelle du temps ne serait que la quantité de temps. b) Le deuxième moyen de gagner du temps c'est d'aller vite, or on rencontre là un paradoxe puisque on gagnerait du temps justement grâce à la vitesse, c'est-à-dire en ne prenant pas son temps.

Le temps n'aurait de prix qu'en se dépassant toujours lui-même, la valeur du temps ce serait la rapidité, mais celle-ci ne s'oppose pas à la durée, puisqu'elle vient la garantir : il n'y aurait de durée possible que fondée sur une rapidité d'exécution (une entreprise dure en se fondant sur le rendement de ses employés).

(On pourra consulter les premières pages du livre de Derrida Le temps : la fausse monnaie). c) Finalement l'être même de la valeur est peut-être de durer, y a-t-il de valeur imaginable qui ne soit pas fondée sur une durée ? La valeur esthétique ou émotionnelle est garantie par la durée du souvenir, la valeur du plaisir est garantie par la durée de l'attente et de la répétition, la valeur de réalité est garantie par la durée d'une résistance, la valeur marchande est garantie par la durée d'une dynamique de passage, de péremption des objets, la valeur du temps est garantie par la durée même. Conclusion : La valeur même de chaque valeur semble dépendre d'une certaine durée qui la garantisse, dans ce cercle la durée ne semble jamais s'effacer.

Ne pas durer s'inscrit dans une logique spatio-temporelle, mais la valeur elle-même excède cette logique, en tant qu'elle est elle dure, et si elle ne dure plus, elle disparaît, il n'y a pas de valeur éphémère en soi.

On peut parler de valeurs qui ne durent pas (à la bourse ou sur le marché de l'art) mais en tant qu'elles ne durent pas elles cessent justement d'être des valeurs.

Il n'y a donc bien que ce qui dure qui a de la valeur, ce qui ne dure pas peut soutenir une valeur mais n'a pas de valeur en soi.. »

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