N'importe qui est-il à même de juger de ce qui est beau ?
Extrait du document
«
On pense généralement que la beauté peut être ressentie par tous, mais est-ce la réalité ? Ne faut-il pas avoir une sorte
d'instinct, une éducation particulière pour juger de la beauté ? Il est ici question d'opposer encore la vision intellectualiste
de l'art avec une vision purement sensible de celui-ci.
Et pour percevoir l'art par l'intelligence, une éducation au goût est
requise, car le goût se doit d'être formé.
1) Ce sont des spécialistes qui jugent du beau.
La valorisation de l'art contemporain diffère de celle de l'art ancien en ce que le premier des deux secteurs est fortement
soumis au règne de l'incertitude, surtout au début de la carrière des artistes et durant les premières années qui suivent la
production de leurs œuvres.
Les valeurs s'instaurent selon un double mode : le marché révèle les préférences du moment
et vient ratifier les palmarès en vigueur ; pour sa part, le monde institutionnel de l'art essentiellement composé des
musées et autres lieux d'exposition élabore des classements qui vont distinguer les artistes dignes d'attention.
En fait, les
deux systèmes apparaissent étroitement dépendants l'un de l'autre, la valorisation financière et la certification de la valeur
esthétique prenant appui l'une sur l'autre.
Il est clair en effet qu'il n'existe plus d'étanchéité entre marché de l'art et
réseau culturel, et les « académies » désormais informelles qui sont apparues intègrent les acteurs du marché les plus
marquants.
Tel grand collectionneur siégera par exemple au conseil d'administration d'une institution culturelle importante.
Tel marchand agira de concert avec le commissaire d'une exposition pour promouvoir simultanément le même artiste.
Si
elles ne possèdent plus l'aspect officiel qui était autrefois le leur et si elles ont perdu beaucoup de leur monolithisme, les
« académies informelles » remplissent une fonction identique à celle du passé.
Elles font toujours émerger certaines
normes sur ce qui est art et ce qui n'en est pas, mais aussi sur ce qui, au sein de la première catégorie, mérite le plus de
retenir l'attention.
Les dernières décennies font clairement apparaître que les valeurs artistiques se construisent
désormais à l'articulation du marché et des institutions culturelles.
Et si les frontières de ces deux ensembles peuvent
évoluer, le processus de création de la valeur artistique contemporaine reste quant à lui inchangé.
2) Tout le monde n'a pas le goût pour juger du beau.
Le goût personnel est, en quelque sorte, un sixième sens, la faculté de déceler la beauté d'une forme, au-delà
d'adjonctions extérieures disparates et en faisant abstraction de l'opinion d'autrui.
Cette lucidité de l'œil, cette pénétration
visuelle immédiate peut s'exercer dans des domaines très différents selon le genre de vie, les curiosités, les activités de
chacun : le choix d'objets de collection ou celui d'un vêtement, l'arrangement d'un vase de fleurs ou la présentation d'une
exposition font appel, pour une part, à une même intuition de l'harmonie, à un même sens des couleurs et des rythmes.
L'art de susciter des accords satisfaisants, de mettre en valeur les éléments rares ou précieux d'un ensemble à première
vue sans accents particuliers, dépend en partie de la formation reçue, de l'orientation adoptée sous l'influence du milieu
familial ou social et en fonction des aptitudes intellectuelles de chacun.
Mais ces facteurs extérieurs interviennent à des
degrés divers selon la nature et l'orientation du goût.
D'une même éducation, d'un même milieu, des tempéraments divers
reçoivent des impulsions différentes.
Chaque personnalité établit spontanément une sélection dans le « matériel »
intellectuel ou visuel mis à sa portée.
La mémoire enregistre, élimine, crée des hiérarchies.
Et ce choix, déterminé par le
goût, modifie l'environnement individuel, influence les choix ultérieurs et développe les tendances majeures de la
personnalité.
Il n'en reste pas moins que l'œuvre des peintres, des sculpteurs, des architectes peut exercer une influence
décisive sur le goût, soit que les artistes s'imposent d'eux-mêmes et imposent leur propre conception de la beauté, soit
qu'ils se trouvent mis en vedette, protégés, imposés par les puissants du jour.
Citons encore une fois Voltaire : « Le goût
se forme insensiblement dans une nation qui n'en avait pas parce qu'on y prend peu à peu l'esprit des bons artistes.
On
s'accoutume à voir les tableaux avec les yeux de Le Brun, du Poussin, de Le Sueur ; on entend la déclamation notée des
scènes de Quinault avec l'oreille de Lulli, et les airs, les symphonies, avec celle de Rameau.
On lit les livres avec l'esprit des
bons auteurs.
» Quant à l'art de cour, des palais minoens aux salons de la princesse Mathilde, certes il impose un style,
mais il oriente.
3) Tout le monde est à même de ressentir du plaisir esthétique.
On connaît les célèbres analyses de Kant.
Le beau, dit-il, est sans concept ; impossible de définir ce qu'est le beau en soi,
et donc de donner des règles qui en garantissent la production ; le jugement de goût est toujours singulier, il ne dit pas
que les roses sont belles, mais que cette rose est belle.
Et il ne justifie pas, il exprime simplement le plaisir que nous
prenons à percevoir la chose belle.
Ce plaisir est à la fois le ressort et le critère du jugement.
Critère subjectif, donc ; et,
en effet, le plaisir à son tour exprime l'état du sujet, l'harmonie de ses facultés dans leur libre jeu.
En disant que l'objet est
beau, je ne sais et je ne dis rien de lui, je parle de moi, et j'affirme que ma perception est heureuse.
Pour lui, le jugement
de goût, même s'il ne peut se justifier par quelque concept, revendique l'universalité ; en prononçant ce jugement, j'affirme
que tous doivent le prononcer comme moi.
Mais ce que j'arrache ainsi à la relativité de l'histoire, ce n'est pas une idée du
beau, ou un art poétique, c'est une idée de l'homme ; ce que je promeus à l'universel, c'est le sentiment que j'éprouve
devant le beau, dont je postule que tous doivent l'éprouver : j'affirme que tous les hommes sont semblables, qu'il y a en
eux une nature transcendantale universelle, je suppose que « chez tous les hommes les conditions subjectives de la
faculté de juger sont les mêmes [...] car sinon les hommes ne pourraient pas se communiquer leurs représentations et
leurs connaissances ».
Il faut donc que toute le monde soit à même de ressentir le sentiment de beauté pour qu'il y ait
communication entre les hommes, au contraire, on ne pourrait penser que les capacités humaines soient égales.
Conclusion.
L'art qui est du domaine de la culture, de facto, nécessite une culture appropriée.
Tout le monde n'a pas reçu une
éducation artistique ou s'est intéressé à l'art.
Il est donc difficile de juger si une œuvre d'art correspond par exemple aux
canons de l'art classique sans connaître celui-ci.
Or ce que dit Kant, c'est que tout le monde ayant les mêmes facultés, tout
le monde peut ressentir le sentiment de beauté.
La vérité se trouve certainement entre les deux, à savoir qu'il y a une
différence entre ressentir la beauté et émettre un jugement sur elle qui soit renseigné..
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