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Montesquieu: Les êtres particuliers intelligents

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Les êtres particuliers intelligents peuvent avoir des lois qu'ils ont faites : mais ils en ont aussi qu'ils n'ont pas faites. Avant qu'il y eût des êtres intelligents, ils étaient possibles ; ils avaient donc des rapports possibles, et par conséquent des lois possibles. Avant qu'il y eût des lois faites, il y avait des rapports de justice possibles. Dire qu'il n'y a rien de juste ni d'injuste que ce qu'ordonnent ou défendent les lois positives, c'est dire qu'avant qu'on eût tracé de cercle, tous les rayons n'étaient pas égaux. Il faut donc avouer des rapports d'équité antérieurs à la loi positive qui les établit : comme, par exemple, que, supposé qu'il y eût des sociétés d'hommes, il serait juste de se conformer à leurs lois ; que, s'il y avait des êtres intelligents qui eussent reçu quelque bienfait d'un autre être, ils devraient en avoir de la reconnaissance ; que, si un être intelligent avait créé un être intelligent, le créé devrait rester dans la dépendance qu'il a eue dès son origine ; qu'un être intelligent qui a fait du mal à un être intelligent mérite de recevoir le même mal ; et ainsi du reste. Montesquieu

« Les êtres particuliers intelligents peuvent avoir des lois qu'ils ont faites : mais ils en ont aussi qu'ils n'ont pas faites. Avant qu'il y eût des êtres intelligents, ils étaient possibles ; ils avaient donc des rapports possibles, et par conséquent des lois possibles.

Avant qu'il y eût des lois faites, il y avait des rapports de justice possibles.

Dire qu'il n'y a rien de juste ni d'injuste que ce qu'ordonnent ou défendent les lois positives, c'est dire qu'avant qu'on eût tracé de cercle, tous les rayons n'étaient pas égaux. Il faut donc avouer des rapports d'équité antérieurs à la loi positive qui les établit : comme, par exemple, que, supposé qu'il y eût des sociétés d'hommes, il serait juste de se conformer à leurs lois ; que, s'il y avait des êtres intelligents qui eussent reçu quelque bienfait d'un autre être, ils devraient en avoir de la reconnaissance ; que, si un être intelligent avait créé un être intelligent, le créé devrait rester dans la dépendance qu'il a eue dès son origine ; qu'un être intelligent qui a fait du mal à un être intelligent mérite de recevoir le même mal ; et ainsi du reste. Introduction Aux confins du droit et de l'éthique, la question du fondement des lois soulève des interrogations essentielles.

Si les hommes font partie de la nature, ils ne peuvent s'abstraire complètement de ses lois, c'est-à-dire des rapports constants qui régissent les phénomènes, tels que l'analyse scientifique les dégage.

En outre, il est un autre type de lois, dont les hommes sont eux-mêmes les auteurs.

Le pouvoir de légiférer, dans le cadre des sociétés humaines, ne relève-t-il pas cependant d'exigences et de normes qui, idéalement, lui préexistent ? Question décisive, et concrètement tirée de cette interrogation : les lois réelles, existant ici et maintenant, ne procèdent-elles pas d'un champ de rapports possibles, qui les sous-tendrait comme une sorte de référence critique ou d'idéal immanent ? L'étude d'un texte de Montesquieu, tiré du premier chapitre de l'Esprit des lois, nous permettra d'y réfléchir. Développement (étude ordonnée du texte et examen de son intérêt philosophique) La détermination du juste et de l'injuste procède-t-elle des seules lois établies ? Question majeure de la philosophie politique, et que Montesquieu prend en charge ici de façon très directe.

La thèse centrale du texte, réponse directe à cette question, est qu'il existe « des rapports de justice possibles » avant l'institution des lois positives.

Pour développer cette thèse, Montesquieu récuse dans un premier temps la thèse opposée à la sienne, puis déploie dans un second temps les implications de sa propre thèse en proposant des exemples d'exigences auxquelles doivent répondre les lois instituées. Le premier paragraphe du texte se réfère directement aux hommes, « êtres particuliers intelligents », et aux deux types de lois qui les concernent.

Il insiste sur l'idée du possible.

Comment comprendre cette insistance ? Est possible ce qui peut être, ce qui n'enveloppe aucune contradiction.

La loi réelle procède de rapports possibles en ce qu'il faut bien une essence dont les caractéristiques qu'elle présente dérivent.

C'est par le biais d'une analogie mathématique que l'accent est mis sur l'essentialité, et l'antériorité, du juste et de l'injuste.

On ne peut pas plus faire dériver la définition du juste et de l'injuste des lois existant effectivement qu'on ne peut déduire l'essence du cercle du tracé d'un cercle particulier.

N'est-ce pas un rapport exactement inverse qu'il convient d'ailleurs de poser ? Peut-on en effet tracer un cercle réel sans disposer d'une connaissance préalable de l'essence du cercle ? Celle-ci peut être énoncée dans une définition nominale : le lieu géométrique des points équidistants d'un même point appelé centre.

Mais cette définition nominale peut tout aussi bien se comprendre à travers une définition génétique, dans laquelle se saisit le mode d'engendrement de tout cercle réel à partir des déterminations distinctives de la figure idéale.

Le cercle est cette figure que dessine la rotation d'un segment de droite dont une extrémité reste fixe.

Pour « faire un cercle », Si l'on peut dire, il faut donc se régler sur le concept de cercle, qui implique, comme le dit Montesquieu, « que tous les rayons soient égaux ».

Pourtant, si l'essence du cercle ne peut être autre chose que ce qu'elle est, et si la réalisation d'un cercle réel n'introduit aucune variation par rapport au cercle possible, en est-il de même des lois humaines ? Le juste et l'injuste préexistent, en leur idéalité, aux lois qui sont censées s'en inspirer.

Mais ne peut-il pas surgir un écart des lois établies par rapport aux principes dont elles relèvent ? Les hommes sont libres, souvent inconstants, et non moins souvent prisonniers d'intérêts particuliers qui peuvent les conduire à instituer des lois manifestant un tel écart. Ce constat conduit à écarter la thèse relativiste, et conventionnaliste, qui prétendrait ordonner toute conception du juste aux implications des lois positives (Montesquieu vise sans doute Hobbes). Ce point mérite cependant discussion.

On peut éprouver le désir de relativiser les lois positives au nom d'autres lois possibles sans pour autant dessaisir les hommes de la responsabilité d'instaurer des lois selon des principes référentiels dont ils poseraient le sens incontestable.

Semble requise alors la possibilité d'une référence qui tout en étant humaine aurait valeur universelle : la raison, comme puissance éthique, permet aux hommes de transcender les points d'ancrage particuliers et de penser les conditions de possibilité de la vie commune sous la forme de principes fondateurs à portée universelle.

Une nouvelle interprétation de la référence au possible peut alors être proposée : distingué du réel, le possible vaut par l'écart éventuel entre le réel et lui, soit que le réel ne le réalise qu'imparfaitement, soit que le réel manifeste une distorsion radicale par rapport à un possible idéal dont la norme aurait été dévoyée ou perdue.

Une interprétation religieuse d'un tel écart consistera à placer dans la transcendance divine la perfection des lois idéales, et du côté de la faillibilité de la nature humaine, assignée à sa finitude, l'explication de l'imperfection des lois positives, en ce qu'elles ne réaliseraient pas complètement, voire pas du tout, une telle perfection.

Une interprétation laïque, elle, pourra insister sur le difficile avènement de la puissance éthique et politique de la raison et de l'universel, eu égard aux crispations effectives et aux intérêts particuliers que produit l'enlisement dans l'immédiateté, ainsi qu'aux ignorances plus ou moins profondes dont les hommes ont à se libérer.

L'alternative entre fondement absolu et relativisme ne coïncide donc pas nécessairement avec l'opposition entre un point de vue religieux et un point de vue de stricte immanence à l'humanité, tant il est vrai que la raison humaine aussi, lorsqu'elle se libère des faux-semblants et. »

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