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Montesquieu

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C'est dans le gouvernement républicain que l'on a besoin de toute la puissance de l'éducation. La crainte des gouvernements despotiques naît d'elle-même parmi les menaces et les châtiments ; l'honneur des monarchies est favorisé par les passions, et les favorise à son tour : mais la vertu politique est un renoncement à soi-même, qui est toujours une chose très pénible. On peut définir cette vertu, l'amour des lois et de la patrie. Cet amour, demandant une préférence continuelle de l'intérêt public au sien propre donne toutes les vertus particulières : elles ne sont que cette préférence. Cet amour est singulièrement affecté aux démocraties. Dans elles seules, le gouvernement est confié à chaque citoyen. Or, le gouvernement est comme toutes les choses du monde : pour le conserver, il faut l'aimer. On n'a jamais ouï dire que les rois n'aimassent pas la monarchie, et que les despotes haïssent le despotisme. Tout dépend donc d'établir, dans la république, cet amour ; et c'est à l'inspirer que l'éducation doit être attentive. Mais, pour que les enfants puissent l'avoir, il y a un moyen sûr ; c'est que les pères l'aient eux- mêmes. On est ordinairement le maître de donner à ses enfants ses connaissances ; on l'est encore plus de leur donner ses passions. Si cela n'arrive pas, c'est que ce qui a été fait dans la maison paternelle est détruit par les impressions du dehors. Ce n'est point le peuple naissant qui dégénère ; il ne se perd que lorsque les hommes faits sont déjà corrompus. Montesquieu

« « C'est dans le gouvernement républicain que l'on a besoin de toute la puissance de l'éducation.

La crainte des gouvernements despotiques naît d'elle-même parmi les menaces et les châtiments ; l'honneur des monarchies est favorisé par les passions, et les favorise à son tour : mais la vertu politique est un renoncement à soi-même, qui est toujours une chose très pénible. On peut définir cette vertu, l'amour des lois et de la patrie.

Cet amour, demandant une préférence continuelle de l'intérêt public au sien propre donne toutes les vertus particulières : elles ne sont que cette préférence. Cet amour est singulièrement affecté aux démocraties.

Dans elles seules, le gouvernement est confié à chaque citoyen.

Or, le gouvernement est comme toutes les choses du monde : pour le conserver, il faut l'aimer. On n'a jamais ouï dire que les rois n'aimassent pas la monarchie, et que les despotes haïssent le despotisme. Tout dépend donc d'établir, dans la république, cet amour ; et c'est à l'inspirer que l'éducation doit être attentive.

Mais, pour que les enfants puissent l'avoir, il y a un moyen sûr ; c'est que les pères l'aient eux-mêmes. On est ordinairement le maître de donner à ses enfants ses connaissances ; on l'est encore plus de leur donner ses passions. Si cela n'arrive pas, c'est que ce qui a été fait dans la maison paternelle est détruit par les impressions du dehors. Ce n'est point le peuple naissant qui dégénère ; il ne se perd que lorsque les hommes faits sont déjà corrompus.

» Remarques préliminaires sur le sens du texte de Montesquieu. La solidarité entre république et vertu tient à la nature même de la république, appelée aussi démocratie pour préciser que tous y détiennent la souveraineté.

Privilégiant le bien public (res publica), le gouvernement républicain est le plus conforme qui soit aux exigences de la liberté et de l'égalité.

N'ayant à imposer aucun intérêt particulier, il n'a besoin de recourir à aucune violence, ni d'exercer une quelconque terreur (ce qui n'est pas le cas du despotisme).

Si par nature la république met sur le même plan tous ses citoyens (égalité) et exclut tout assujettissement (respect de la liberté) elle ne peut vivre, et survivre, qu'en s'appuyant sur la vertu politique, c'est-à-dire l'amour des lois, de la liberté, et du bien public.

Mais la question se pose de savoir comment advient une telle vertu - et l'on mesure alors toute la portée d'une bonne éducation. Éléments de réflexion sur l'intérêt philosophique du texte. Y a-t-il de mauvais usages de la liberté ? Une philosophie politique soucieuse de ne pas laisser disqualifier les principes sous prétexte que la pratique effective ne cesse de les méconnaître ou de les bafouer abordera cette question comme un objet problématique essentiel.

La république, contrairement au despotisme, conjugue la souveraineté populaire et la liberté.

Elle n'a donc d'autre force que celle de la vertu par laquelle ceux qu'elle réunit sont portés à la défendre.

Un citoyen libre, prenant conscience de ce qui fonde sa liberté, à savoir la constitution républicaine, est disposé à la défendre.

Le despote, lui, gouverne « à la terreur » (si l'on ose dire).

De façon générale, tout tyran imposant son caprice ou son intérêt particulier ne peut que gouverner ainsi, puisqu'il méconnaît la chose publique comme telle (le bien commun) et ne manque pas de léser ceux qui en sont partie prenante.

Mépris du bien public et terreur vont dès lors de pair.

À l'inverse, république et liberté sont étroitement solidaires. Si l'on pose qu'il existe en tout homme une propension à privilégier son intérêt particulier, ou plutôt l'idée qu'il s'en fait, y compris au détriment du bien public, il faut admettre la nécessité d'une éducation, susceptible de faire naître la vertu républicaine.

Mais la définition des finalités et des modalités d'une telle éducation fait problème.

S'agit-il d'inculquer, par une sorte de catéchisme civique, les valeurs propres à la république ? Mais dans ce cas il n'y a pas véritable adhésion à partir d'une autonomie de jugement qui seule peut conférer toute sa force à une conviction.

Comme citoyen libre et capable de réflexion, je ne peux simplement « recevoir » des valeurs sur le fondement desquelles je ne serais pas en mesure de me prononcer.

Or la formation d'une capacité de jugement rationnel requiert une véritable instruction : les ambiguïtés de la notion d'éducation (conditionnement ou préparation à la liberté) sont levées dès qu'on entreprend de la fondre sur la connaissance rationnelle des principes du savoir comme de l'action, car alors on se situe dans une problématique de l'autonomie de chaque citoyen.

Convenablement cultivée, cette autonomie suscite la vertu républicaine par son propre mouvement dès lors que le bien public existe vraiment, et fait l'objet des soins de la puissance publique - ce qui implique une lutte résolue contre l'injustice sociale et toutes les formes de violence qu'enveloppe l'exacerbation des intérêts particuliers égoïstes.

La « disponibilité » à la vérité (celle qui fait connaître la solidarité entre bien public et accomplissement individuel) n'est possible qu'à partir du moment où crispations et blocages ne sont pas nourris par des situations de précarité existentielle : les passions tristes liées aux frustrations et à l'injustice subie ne permettent guère à l'esprit de déployer son pouvoir de réflexion, ou du moins l'hypothèquent gravement.

Relayée par la justice sociale, l'exigence républicaine s'accomplit en authentique démocratie, et peut susciter cette vertu dont parle Montesquieu - car les simples citoyens seront d'autant plus enclins à cultiver l'amour des lois et de la patrie qu'ils n'auront pas sujet de se plaindre de l'effectivité des règles de la vie commune, ou de leur caractère mystificateur dès lors qu'elles « couvrent » des pratiques d'exploitation ou de dépendance interpersonnelle.

Platon, dans Les Lois, rappelait que rien ne se situe au-dessus de l'intelligence humaine, et que la compréhension de la nécessité de promouvoir le bien commun n'implique aucunement le sacrifice de l'intérêt individuel bien compris : dès lors que ce dernier est saisi avec lucidité, il se démarque de la démesure propre à la cupidité (pleonoxia : désir d'avoir plus que sa part dans la répartition générale).

Le pari d'une éducation par l'instruction n'est donc pas difficile à tenir, dès lors que tous les hommes se trouvent en mesure de s'élever à la raison et à l'universel.

Le ressentiment contre l'instruction est souvent le fait de ceux qui, sous prétexte de réalisme, s'accommodent des injustices sociales, et donnent ainsi de la démocratie la pire des versions celle qui, renonçant à l'exigence républicaine, laisse le champ libre aux faiseurs d'opinion, aux démagogues, et enferme les hommes dans des différences qu'ils devraient pourtant pouvoir problématiser et dépasser. DÉMAGOGUE : Du grec, démagôgos, meneur du peuple; en un sens négatif, celui qui excite les passions pour obtenir une réussite électorale.. »

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