Montesquieu
Extrait du document
«
"L'effet naturel du commerce est de porter à la paix.
Deux nations qui négocient ensemble se rendent réciproquement
dépendantes: si l'une a intérêt d'acheter, l'autre a intérêt de vendre; et toutes les unions sont fondées sur des besoins
mutuels.
Mais, si l'esprit de commerce unit les nations, il n'unit pas de même les particuliers.
Nous voyons que dans les pays où
l'on n'est affecté que de l'esprit de commerce, on trafique de toutes les actions humaines, et de toutes les vertus
morales : les plus petites choses, celles que l'humanité demande s'y font ou s'y donnent pour de l'argent.
L'esprit de commerce produit dans les hommes un certain sentiment de justice exacte, opposé d'un côté au brigandage,
et de l'autre à ces vertus morales qui font qu'on ne discute pas toujours ses intérêts avec rigidité, et qu'on peut les
négliger pour ceux des autres." MONTESQUIEU
VOCABULAIRE:
EMPIRIQUE (adj.): Qui découle de l’expérience ou qui ne se règle que sur elle.
Le savoir empirique découle largement de
l’habitude, qui lui permet de repérer des régularités dans l’expérience (par exemple, telle plante soulage toujours telle
douleur).
Ce savoir s’obtient par tâtonnements, par essais et erreurs, mais ce n’est pourtant pas un savoir scientifique ou
expérimental.
En effet, il ne sait pas vraiment expliquer ce qu’il observe, il ignore les causalités réellement agissantes (par
exemple, l’action physique-chimique de la plante dans l’organisme).
Introduction
• Ce texte, extrait de De l'esprit des lois, se rapporte aux thèmes de la justice et des échanges et pose le problème de savoir
si nous devons ou non faire le procès des échanges commerciaux et de l'argent, dont il faut tenter de comprendre finalité et
fonction.
• Quelle est l'idée directrice de ces lignes? Le commerce, s'il pacifie les nations et les peuples, engendre chez les personnes
privées des effets ambivalents, voire contradictoires : il s'oppose simultanément, dans la sphère privée, aux pillages violents
et à certaines dispositions morales et politiques.
• D'où l'enjeu du texte, qui peut nous conduire à une certaine pratique éthico-politique.
A.
Première partie.
« L'effet naturel [...] mutuels » : énoncé de la thèse sur l'effet du commerce dans les nations.
Le premier terme important est le prédicat naturel: la nature désignant l'ensemble de tout ce qui existe, mais aussi le
principe de production des êtres, Montesquieu souligne bien que l'opération ayant pour objet la vente de marchandises ou
de valeurs (« le commerce») a pour effet conforme à l'ensemble de ce qui existe et aux principes de production des choses
d'engendrer et de véhiculer des rapports humains irréductibles au conflit et à la lutte armée (« la paix»).
Deux communautés
sociales engendrées par des conditions naturelles ou spirituelles sont dans une situation de dépendance réciproque, de nonautonomie en quelque sorte.
À vrai dire, la dépendance correspond ici, en profondeur, à un état de non-autarcie, plutôt qu'à
une situation de non-autonomie.
Une nation autarcique se suffit à elle-même et n'a pas besoin de l'étranger pour subvenir à
ses besoins.
Elle vit en économie fermée.
Au contraire, le commerce est lié, non à une politique d'isolement économique
(autarcie), mais à des échanges fondés sur l'intérêt, sur ce qui est utile.
Acquérir des biens (« acheter») ou les céder en
échange (« vendre») engendre une communication liée à des manques physiques et psychiques mutuels (des « besoins»).
Donc le commerce ne porte pas à la guerre, mais à la satisfaction réciproque des besoins.
Ce qui est vrai des communautés globales fondées sur la géographie ou la culture l'est-il des personnes Privées?
B.
Deuxième partie.
« Mais [...] argent » : énoncé de la thèse sur l'effet du commerce chez les individus privés.
Si le principe et la disposition particulière liés au commerce, aux échanges commerciaux représentent des facteurs d'unité
dans les nations, les communautés naturelles, il n'en est pas de même en ce qui concerne les personnes privées; alors, en
effet, ce n'est plus d'unification qu'il s'agit, mais bien de séparation.
En effet, cette disposition à échanger, vendre, acheter, à
opérer par négoce, circulation de marchandises, etc., aboutit, dans le cadre privé, au fait d'acheter ou de vendre dans le
domaine de toutes les pratiques humaines ; mais elle entretient aussi un rapport étroit avec les vertus, dispositions morales
et politiques à bien agir.
D'où un commerce portant sur toutes choses, et attaquant même la sphère des valeurs morales et
politiques.
Tout se réalise alors à travers la médiation de l'argent, à savoir toute sorte de monnaie représentant une certaine
valeur.
Qu'est l'argent, sinon un intermédiaire économique rendant toutes choses comparables entre elles, en vue de leur
échange? Cet intermédiaire économique ne va-t-il pas corrompre tout le vécu éthique et politique humain?
C.
Troisième partie.
«L'esprit [...] autres » : l'esprit du commerce et son essence.
La disposition liée aux échanges engendre une connaissance immédiate et une disposition liées à ce que Montesquieu
nomme justice exacte, à savoir un respect de l'égalité et des droits soigneux, respectant les règles prescrites et les normes.
Il y a du net et du précis, de la mesure, dans l'esprit du commerce.
Il s'opposera, d'une part, au brigandage, aux vols ou
pillages commis avec violence par des malfaiteurs, mais aussi à ces vertus morales et politiques dépassant le cadre de ce qui
nous est utile et de ce qui convient à nos besoins.
En somme, l'esprit du commerce, c'est le respect très étroit et très borné
de l'autre : ce n'est pas la grande justice qui se trouve impliquée dans le commerce: il ne suppose pas un respect des droits
où l'on transcende la sphère bornée et privée.
La justice du négoce obéit à des règles et normes soigneuses, mais
étrangères au vrai souci de la transcendance humaine et de l'altérité.
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