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Montesquieu

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1. Il y a dans chaque État trois sortes de pouvoirs : la puissance législative, la puissance exécutrice des choses qui dépendent du droit des gens' et la puissance exécutrice de celles qui dépendent du droit civil. Par la première, le prince ou le magistrat' fait des lois pour un temps ou pour toujours, et corrige ou abroge celles qui sont faites. Pour la seconde, il fait la paix ou la guerre, envoie ou reçoit des ambassades, établit la sûreté, prévient les invasions. Par la troisième, il punit les crimes, ou juge les différends des particuliers. On appellera cette dernière la puissance de juger, et l'autre simplement la puissance exécutrice de l'État. La liberté politique, dans un citoyen, est cette tranquillité d'esprit qui provient de l'opinion que chacun a de sa sûreté; et pour qu'on ait cette liberté, il faut que le gouvernement soit tel qu'un citoyen ne puisse pas craindre un autre citoyen. Lorsque dans la même personne ou dans le même corps de magistrature, la puissance législative est réunie à la puissance exécutrice, il n'y a point de liberté; parce qu'on peut craindre que le même monarque ou le même sénat ne fasse des lois tyranniques pour les exécuter tyranniquement. Il n'y a point encore de liberté si la puissance de juger n'est pas séparée de la puissance législative et de l'exécutrice. Si elle était jointe à la puissance législative, le pouvoir sur la vie et la liberté des citoyens serait arbitraire : car le juge serait législateur. Si elle était jointe à la puissance exécutrice, le juge pourrait avoir la force d'un oppresseur. Tout serait perdu si le même homme, ou le même corps des principaux, ou des nobles, ou du peuple, exerçaient ces trois pouvoirs : celui de faire des lois, celui d'exécuter les résolutions publiques et celui de juger les crimes ou les différends des particuliers. 2. Si la puissance exécutrice n'a pas le droit d'arrêter les entreprises du corps législatif, celui-ci sera despotique; car, comme il pourra se donner tout le pouvoir qu'il peut imaginer, il anéantira toutes les autres puissances. Mais si, dans un État libre, la puissance législative ne doit pas avoir le droit d'arrêter la puissance exécutrice, elle a droit, et doit avoir la faculté d'examiner de quelle manière les lois qu'elle a faites sont exécutées [..J. Voici donc la constitution fondamentale du gouvernement dont nous parlons. Le corps législatif y étant composé de deux parties', l'une enchaînera l'autre par sa faculté mutuelle d'empêcher. Toutes les deux seront liées par la puissance exécutrice, qui le sera elle-même par la législative. Ces trois puissances devraient former un repos ou une inaction. Mais comme, par le mouvement nécessaire des choses, elles sont contraintes d'aller, elles seront forcées d'aller de concert. 3. La puissance de juger ne doit pas être donnée à un sénat permanent, mais exercée par des personnes tirées du corps du peuple, dans certains temps de l'année, de la manière prescrite par la loi, pour former un tribunal qui ne dure qu'autant que la nécessité le requiert. De cette façon, la puissance de juger, si terrible parmi les hommes, n'étant attachée ni à un certain état, ni à une certaine profession, devient, pour ainsi dire, invisible et nulle. On n'a point continuellement des juges devant les yeux; et l'on craint la magistrature, et non pas les magistrats [...]. Si la puissance législative laisse à l'exécutrice le droit d'emprisonner des citoyens qui peuvent donner caution de leur conduite, il n'y a plus de liberté, à moins qu'ils ne soient arrêtés, pour répondre, sans délai, à une accusation que la loi a rendue capitale; auquel cas ils sont réellement libres, puisqu'ils ne sont soumis qu'à la puissance de la loi. Montesquieu

« "1.

Il y a dans chaque État trois sortes de pouvoirs : la puissance législative, la puissance exécutrice des choses qui dépendent du droit des gens' et la puissance exécutrice de celles qui dépendent du droit civil. Par la première, le prince ou le magistrat' fait des lois pour un temps ou pour toujours, et corrige ou abroge celles qui sont faites.

Pour la seconde, il fait la paix ou la guerre, envoie ou reçoit des ambassades, établit la sûreté, prévient les invasions.

Par la troisième, il punit les crimes, ou juge les différends des particuliers.

On appellera cette dernière la puissance de juger, et l'autre simplement la puissance exécutrice de l'État. La liberté politique, dans un citoyen, est cette tranquillité d'esprit qui provient de l'opinion que chacun a de sa sûreté; et pour qu'on ait cette liberté, il faut que le gouvernement soit tel qu'un citoyen ne puisse pas craindre un autre citoyen.

Lorsque dans la même personne ou dans le même corps de magistrature, la puissance législative est réunie à la puissance exécutrice, il n'y a point de liberté; parce qu'on peut craindre que le même monarque ou le même sénat ne fasse des lois tyranniques pour les exécuter tyranniquement. Il n'y a point encore de liberté si la puissance de juger n'est pas séparée de la puissance législative et de l'exécutrice.

Si elle était jointe à la puissance législative, le pouvoir sur la vie et la liberté des citoyens serait arbitraire : car le juge serait législateur.

Si elle était jointe à la puissance exécutrice, le juge pourrait avoir la force d'un oppresseur. Tout serait perdu si le même homme, ou le même corps des principaux, ou des nobles, ou du peuple, exerçaient ces trois pouvoirs : celui de faire des lois, celui d'exécuter les résolutions publiques et celui de juger les crimes ou les différends des particuliers. 2.

Si la puissance exécutrice n'a pas le droit d'arrêter les entreprises du corps législatif, celui-ci sera despotique; car, comme il pourra se donner tout le pouvoir qu'il peut imaginer, il anéantira toutes les autres puissances. Mais si, dans un État libre, la puissance législative ne doit pas avoir le droit d'arrêter la puissance exécutrice, elle a droit, et doit avoir la faculté d'examiner de quelle manière les lois qu'elle a faites sont exécutées [..J. Voici donc la constitution fondamentale du gouvernement dont nous parlons.

Le corps législatif y étant composé de deux parties', l'une enchaînera l'autre par sa faculté mutuelle d'empêcher.

Toutes les deux seront liées par la puissance exécutrice, qui le sera elle-même par la législative. Ces trois puissances devraient former un repos ou une inaction.

Mais comme, par le mouvement nécessaire des choses, elles sont contraintes d'aller, elles seront forcées d'aller de concert. 3.

La puissance de juger ne doit pas être donnée à un sénat permanent, mais exercée par des personnes tirées du corps du peuple, dans certains temps de l'année, de la manière prescrite par la loi, pour former un tribunal qui ne dure qu'autant que la nécessité le requiert. De cette façon, la puissance de juger, si terrible parmi les hommes, n'étant attachée ni à un certain état, ni à une certaine profession, devient, pour ainsi dire, invisible et nulle.

On n'a point continuellement des juges devant les yeux; et l'on craint la magistrature, et non pas les magistrats [...]. Si la puissance législative laisse à l'exécutrice le droit d'emprisonner des citoyens qui peuvent donner caution de leur conduite, il n'y a plus de liberté, à moins qu'ils ne soient arrêtés, pour répondre, sans délai, à une accusation que la loi a rendue capitale; auquel cas ils sont réellement libres, puisqu'ils ne sont soumis qu'à la puissance de la loi." Pour bien comprendre ce principe classique dû à Montesquieu, dit de la séparation de pouvoirs, mais plutôt de leur équilibre, il faut d'abord dégager les présupposés qui à la fois l'expliquent et le justifient.

En premier lieu, Montesquieu vise un objectif précis : la liberté politique ou la sûreté du citoyen, ce que nous appellerions sa sécurité.

«La liberté politique dans un citoyen est cette tranquillité d'esprit qui provient de l'opinion que chacun a de sa sûreté; et pour qu'on ait cette liberté, il faut que le gouvernement soit tel qu'un citoyen ne puisse pas craindre un autre citoyen ».

Or «la liberté politique ne consiste point à faire ce que l'on veut.

Dans un État, c'est-à-dire dans une société où il y a des lois, la liberté ne peut consister qu'à pouvoir faire ce que l'on doit vouloir, et à n'être point contraint de faire ce que l'on ne doit pas vouloir ».

On voit ce que sont réellement l'indépendance et la liberté.

« La liberté est le droit de faire ce que les lois permettent; et si un citoyen pouvait faire ce qu'elles défendent, il n'aurait plus de liberté parce que les autres auraient tout de même ce pouvoir »'.

En second lieu, «la liberté politique ne se trouve que dans les gouvernements modérés; elle n'y est que lorsqu'on n'abuse pas du pouvoir; mais c'est une expérience éternelle que tout homme qui a du pouvoir est porté à en abuser; il va jusqu'à ce qu'il trouve des limites».

En conséquence, «pour qu'on ne puisse abuser du pouvoir, il faut que, par la disposition des choses, le pouvoir arrête le pouvoir ». Que faut-il entendre par «cette disposition des choses» ? Il n'y a qu'un moyen d'éviter les excès du pouvoir, c'est d'opposer les différents pouvoirs les uns aux autres de telle sorte qu'un pouvoir «arrête» l'autre et lui serve de frein.

Ainsi la liberté du citoyen sera assurée.

« Pour former un gouvernement modéré, il faut combiner les puissances, les régler, les tempérer, les faire agir; donner, pour ainsi dire, un lest à l'une, pour la mettre en état de résister à une autre; c'est un chef-d'oeuvre de législation que le hasard fait rarement, et que rarement on laisse faire à la prudence »3. On remarquera que Montesquieu parle de «combiner les puissances », non de les séparer.

On notera également que ce principe de l'équilibre des pouvoirs, bien qu'il se pose pour « les trois espèces de gouvernement, le républicain, le monarchique, le despotique », ne peut être réalisé que dans le républicain.

La répartition des pouvoirs doit s'effectuer en se fondant sur la distinction tripartite des fonctions de l'État : la fonction législative, la fonction exécutive et la fonction juridictionnelle.

Il s'agit de fixer avec précision les attributions de chacune.

L'autorité compétente pour légiférer n'ayant pas la charge ni le droit de l'appliquer fera la loi nécessairement générale et impersonnelle.

L'autorité à qui il appartient de l'appliquer n'ayant pas qualité pour la faire ne sera pas tentée d'en déterminer les règles selon les circonstances particulières de l'exécution, ce qui conduirait à l'arbitraire.

Quant à l'autorité de juger enfin, elle ne pourra être qu'impartiale puisqu'elle n'aura à statuer que conformément à une loi qu'elle n'aura pas faite et qu'elle ne pourra modifier.

Du moins est-ce là l'idéal du principe dont Montesquieu a pensé trouver une sorte de modèle dans la constitution anglaise.

Mais il a parfaitement conscience de tous les empiètements qui sans cesse menacent cet équilibre et qui peuvent le détruire. On peut dire que Montesquieu a constitué la doctrine de l'État représentatif.

Le peuple est monarque « par ses suffrages qui sont ses volontés.

La volonté du souverain est le souverain lui-même ».

Mais il doit exercer le pouvoir par l'intermédiaire de représentants locaux élus, dont il sait d'ailleurs très bien reconnaître la valeur.

«Le peuple est admirable pour choisir ceux à qui il doit confier quelque partie de son autorité »4.

Montesquieu est partisan du système du bicamérisme, grâce auquel les deux chambres se tempérant et s'empêchant l'une l'autre prennent des décisions sages.

Il repousse l'idée d'un mandat impératif imposé à l'élu par les électeurs et leur refuse le droit de le révoquer à tout moment.

Ce «corps représentant» est seul capable de «faire des lois» et de « voir si l'on a bien exécuté celles qu'il a faites ». Mais la partie la plus neuve de l'oeuvre politique de Montesquieu est d'avoir ajouté aux deux pouvoirs politiques reconnus traditionnellement le pouvoir judiciaire et d'en avoir défini les exigences.

Non seulement il reprend les règles anglaises de l'Habeas corpus et circonscrit l'exercice de la justice à l'application stricte de la loi, mais il montre que l'indépendance des magistrats est la condition indispensable d'une justice véritable.

I l réclame l'institution de ce que nous appelons le jury avec une largeur d'esprit qui va même plus loin que notre propre institution.

« Il faut même que, dans les grandes accusations, le criminel, concurremment avec la loi, se choisisse des juges; ou du moins qu'il en puisse récuser un si grand nombre, que ceux qui restent soient censés être de son choix [...].

Il faut même que les juges soient de la condition de l'accusé, ou ses pairs, pour qu'il ne puisse pas se mettre dans l'esprit qu'il soit tombé entre les mains de gens portés à lui faire violence ». Tel est «l'esprit» de la doctrine des trois pouvoirs.

Que l'on soit ou non attaché au système de gouvernement représentatif ou parlementaire, la question politique pour tout régime consiste toujours à déterminer les rapports et les limites de chacun de ces pouvoirs et, à ce titre, le principe de Montesquieu garde toute sa valeur comme théorie de référence et comme instrument d'analyse.. »

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