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Michel Foucault  

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Si, comme le disait Gilles Deleuze, " un grand philosophe est celui qui crée de nouveaux concepts ", alors Michel Foucault est indéniablement l'un des " grands philosophes " contemporains. Ou peut-être le serait-il à son corps défendant, puisqu'il n'a cessé de critiquer l'idée qu'on puisse lire une " oeuvre " comme un corpus, sorte de totalité fermée qui trouverait en la personne ­ fictive ou réelle ­ de son " auteur " tant un propriétaire que la clef de toute interprétation possible (" Qu'est-ce qu'un auteur ? ", Dits et écrits, vol. I.). " Ne me demandez pas qui je suis et ne me dites pas de rester le même ", apostrophait-il son lecteur à la fin de l'introduction de l'Archéologie du savoir : sans doute y a-t-il quelque paradoxe à écrire une notice sur Michel Foucault.    Laissons donc de côté l'homme. Qu'en est-il de l'oeuvre ? Les concepts nouveaux y prolifèrent, à commencer par celui d'" épistémè ", que le succès inattendu des Mots et les choses en 1966 (épuisés deux mois après leur parution) projeta sur le devant de la scène philosophique. D'autres vinrent progressivement s'y ajouter : " disciplines ", " savoir-pouvoir ", " régimes de vérité ", " assujettissements ", " subjectivation ", " jeux de vérité ", etc... Mais comment les comprendre ? Et comment interpréter leur pluralité ? La difficulté de cette tâche est aggravée par la chronologie du parcours foucaldien, dont on sait qu'elle est scandée par deux longs silences (respectivement cinq et six ans, de 1970 à 1975, puis de 1976 à 1982), à l'issue desquels Foucault semble avoir, à chaque fois, soit abandonné, soit remis en cause et remanié ses méthodes précédentes. Ainsi, à l'archéologie succède la généalogie, et à celle-ci, l'étude des " problématisations de soi " ; à chacune de ces investigations correspondent des objets différents (les " lois " qui régissent le discursif, les " pratiques non discursives ", les " techniques de soi "). De surcroît, si les deux premières périodes ont pour domaine de référence des époques similaires (du Moyen Âge au XIXe siècle, approximativement), la dernière porte sur une plage de l'histoire si reculée (l'Antiquité grecque et romaine, puis les débuts de la Chrétienté) qu'elle semble n'avoir guère de rapports avec les précédentes. Peut-on vraiment restituer à cette diversité la cohérence d'un projet unique ?   

« Michel Foucault Si, comme le disait Gilles Deleuze, " un grand philosophe est celui qui crée de nouveaux concepts ", alors Michel Foucault est indéniablement l'un des " grands philosophes " contemporains.

Ou peut-être le serait-il à son corps défendant, puisqu'il n'a cessé de critiquer l'idée qu'on puisse lire une " oeuvre " comme un corpus, sorte de totalité fermée qui trouverait en la personne fictive ou réelle de son " auteur " tant un propriétaire que la clef de toute interprétation possible (" Qu'est-ce qu'un auteur ? ", Dits et écrits, vol.

I.).

" Ne me demandez pas qui je suis et ne me dites pas de rester le même ", apostrophait-il son lecteur à la fin de l'introduction de l'Archéologie du savoir : sans doute y a-t-il quelque paradoxe à écrire une notice sur Michel Foucault. Laissons donc de côté l'homme.

Qu'en est-il de l'oeuvre ? Les concepts nouveaux y prolifèrent, à commencer par celui d'" épistémè ", que le succès inattendu des Mots et les choses en 1966 (épuisés deux mois après leur parution) projeta sur le devant de la scène philosophique.

D'autres vinrent progressivement s'y ajouter : " disciplines ", " savoir-pouvoir ", " régimes de vérité ", " assujettissements ", " subjectivation ", " jeux de vérité ", etc...

Mais comment les comprendre ? Et comment interpréter leur pluralité ? La difficulté de cette tâche est aggravée par la chronologie du parcours foucaldien, dont on sait qu'elle est scandée par deux longs silences (respectivement cinq et six ans, de 1970 à 1975, puis de 1976 à 1982), à l'issue desquels Foucault semble avoir, à chaque fois, soit abandonné, soit remis en cause et remanié ses méthodes précédentes.

Ainsi, à l'archéologie succède la généalogie, et à celle-ci, l'étude des " problématisations de soi " ; à chacune de ces investigations correspondent des objets différents (les " lois " qui régissent le discursif, les " pratiques non discursives ", les " techniques de soi ").

De surcroît, si les deux premières périodes ont pour domaine de référence des époques similaires (du Moyen Âge au XIXe siècle, approximativement), la dernière porte sur une plage de l'histoire si reculée (l'Antiquité grecque et romaine, puis les débuts de la Chrétienté) qu'elle semble n'avoir guère de rapports avec les précédentes.

Peut-on vraiment restituer à cette diversité la cohérence d'un projet unique ? Foucault lui-même nous y invite : " mon problème a toujours été ", dit-il, " la vérité, le wahr-sagen [dire-vrai] ".

Un autre passage est plus explicite encore : " l'on a peut-être changé de perspective, retourné le problème en tous sens, mais c'est toujours le même problème : à savoir, la relation entre le sujet, la vérité et la constitution de l'expérience.

J'ai cherché à analyser comment des champs comme la folie, la sexualité et la délinquance pouvaient entrer dans un certain jeu de vérité et comment d'un autre côté, à travers cette insertion de la pratique et du comportement humains dans ce jeu de vérité, le sujet lui-même est effectué " (" Une esthétique de l'existence ", entretien avec A.

Fontana, Le Monde aujourd'hui, 15-16 avril 1984).

Sujet, vérité et constitution de l'expérience : ou peut-être faudrait-il, pour être plus fidèle à la chronologie, inverser ces termes, puisque la dynamique du parcours foucaldien s'enracine au départ dans un questionnement de la vérité et de ses conditions de possibilité. " Ici comme ailleurs, il s'agit d'une étude qui essaie de dégager dans l'épaisseur du discours les conditions de son histoire " , nous dit Foucault à propos de la Naissance de la clinique ; quant aux Mots et les choses, ils ont pour objet de " reconstituer le système général de pensée dont le réseau, en sa positivité, rend possible un jeux d'opinions simultanées et apparemment contradictoires.

C'est ce réseau qui définit les conditions de possibilité d'un débat ou d'un problème, c'est lui qui est porteur de l'historicité du savoir ".

Dans la mesure où elle interroge ces conditions de possibilité sans chercher à les réduire à un ensemble de déterminations causales, la démarche foucaldienne s'inscrit donc explicitement dans une tradition post-kantienne qui lui confère d'emblée sa dimension philosophique.

" Dans sa grande oeuvre critique, KantH026 a posé les fondements de cette tradition de la philosophie qui pose la question des conditions dans lesquelles la connaissance vraie est possible, et sur cette base, on pourrait dire qu'une étendue entière de la philosophie s'est présentée à partir du XIXe siècle, et développée comme analytique de la vérité " (" Qu'est-ce que les Lumières ", Conférence donnée au Collège de France en 1983, publiée dans le Magazine littéraire n° 207, mai 1984), affirmera plus tard Foucault : mais dès l'origine, les Mots et les choses reprennent la question kantienne des limites de la connaissance en cherchant à faire apparaître l'" a priori historique " dans l'élément duquel des " idées avaient pu apparaître, ...

des expériences se réfléchir dans des philosophies7 ". En ce sens, l'oeuvre de Foucault semble gouvernée par l'idéal d'une " histoire transcendantale " des conditions de possibilité du savoir, censée différer tout aussi bien des grandes reconstructions métaphysiques du XIXe siècle que du travail purement empirique des historiens. Cependant, cet arrière-plan kantien se trouve doublement bousculé : une première fois, par la position résolument anti-transcendantaliste qu'adopte Foucault en refusant systématiquement d'assigner comme point de départ à l'analyse le sujet, fût-il empirique ou transcendantal.

S'il convient toujours de définir pour le savoir un a priori, celui-ci ne pourra s'interpréter à partir d'une analyse des facultés humaines.

Le second renversement, lui, tient au caractère spécifiquement historique postulé par Foucault pour son a priori.

Comme on sait, la notion d'" a priori historique " est d'obédience husserlienne et se trouve explicitée dans L'Origine de la géométrie.

Toutefois, le sens du débat sous-jacent avec HusserlH025 mis en place par l'Archéologie du savoir tiendra précisément à la façon dont doit être définie cette historicité : pour HusserlH025, l'a priori historique est en définitive " supra-historique " au sens où il vise essentiellement à garantir la possibilité de retrouver, par-delà les sédimentations liées à l'histoire et à la tradition, les évidences premières originellement thématisées par le " protofondateur " de la géométrie.

Mais au caractère par définition anhistorique de l'a priori kantien comme à la trans-historicité de sa contrepartie husserlienne, Foucault oppose l'hypothèse paradoxale d'un a priori de part en part donné dans l'histoire, qui se transforme avec elle, et qui pourtant d'une certaine manière la surplombe en définissant les conditions de possibilité elles-mêmes variables à partir desquelles tout contenu historique peut être pensé.

Ce dont il s'agira, dès lors, c'est de ne pas " traiter l'archéologie comme une recherche de l'origine, des a priori formels, des actes fondateurs, bref comme une sorte de phénoménologie historique (alors qu'il s'agit pour elle au contraire de libérer l'histoire de l'emprise phénoménologique) ". »

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