Merleau-Ponty
Extrait du document
«
L'algorithme, le projet d'une langue universelle, c'est la révolte contre le
langage donné.
On ne veut pas dépendre de ses confusions, on veut le
refaire à la mesure de la vérité, le redéfinir selon la pensée de Dieu,
recommencer à zéro l'histoire de la parole, ou plutôt arracher la parole à
l'histoire.
La parole de Dieu, ce langage avant le langage que nous
supposons toujours, on ne la trouve plus dans les langues existantes, ni
mêlée à l'histoire et au monde.
C'est le verbe intérieur qui est juge de ce
verbe extérieur.
En ce sens, on est à l'opposé des croyances magiques
qui mettent le mot soleil dans le soleil.
Cependant, créé par Dieu avec le
monde, véhiculé par lui et reçu par nous comme un messie, ou préparé
dans l'entendement de Dieu par le système des possibles qui enveloppe
éminemment notre monde confus et retrouvé par la réflexion de l'homme
qui ordonne au nom de cette instance intérieure le chaos des langues
historiques, le langage en tous cas ressemble aux choses et aux idées
qu'il exprime, il est la doublure de l'être, et l'on ne conçoit pas de choses
ou d'idées qui viennent au monde sans mots.
Qu'il soit mythique ou
intelligible, il y a un lieu où tout ce qui est ou qui sera, se prépare en
même temps à être dit.
Dans ce texte, Merleau-Ponty exprime la solidarité entre deux idées qu'il entend
refuser : l'idée que le langage donné serait insuffisant et qu'il faudrait lui substituer un langage construit (première
partie), et l'idée que la pensée puisse se passer du langage (seconde partie, à partir de « c'est le verbe intérieur...
»).
Ainsi Merleau-Ponty revient-il d'abord sur l'ambition d'une langue universelle à construire, et en dégage les présupposés
: vouloir substituer au langage donné une langue universelle, c'est dénoncer les confusions du langage comme une
déviance par rapport à une norme (« à la mesure de » ; « redéfinir selon ») qui serait une norme parfaite (ce
qu'exprime l'intervention de la métaphore divine).
Or cette norme parfaite est introuvable (« on ne la trouve plus...
»),
et en tant que telle elle relève de l'utopie rousseauiste du commencement, de la suppression du temps (« arracher la
parole à l'histoire »), alors que c'est au contraire l'histoire qui fait le langage.
Aussi Merleau-Ponty, dans un second
temps, veut-il substituer à cette norme introuvable et utopique une autre norme (le « verbe intérieur ») qui exprime
l'idée qu'il n'y a pas de pensée sans langage, que la pensée est un verbe intérieur.
Laissant alors de côté la question
de l'origine entre Descartes et Leibniz (« créé par Dieu...
ou préparé...
le langage en tous cas »), et prenant acte de la
sédimentation de la langue dans l'histoire, Merleau-Ponty exprime sa thèse : le langage est la doublure de l'être.
Métaphore de l'intériorité et d'une distinction sans séparation, cette expression est celle de l'intimité du langage, qui
n'est pas un instrument, mais le lieu même de l'intimité de l'être.
Dans une tonalité finale qui rappelle assez Hegel le
texte se clôt sur un double renforcement de la thèse : non seulement le langage est la condition de la pensée (« on ne
conçoit pas...
sans...
»), mais encore tout peut être dit, ce qui signifie qu'il n'y a pas d'ineffable, et qu'on ne peut
invoquer ce dernier comme un refuge contre le langage donné, ni contre le langage tout court.
MERLEAU-PONTY (Maurice).
Né à Rochefort-sur-mer en 1908, mort à Paris en 1961.
Il fut professeur à l'Université de Lyon, à la Sorbonne, et, à partir de 1952, au Collège de France.
Disciple de Husserl, il
fonda avec Sartre Les temps modernes.
Il s'est surtout occupé de philosophie psychologique, et s'est intéressé à
l'existentialisme dans ses rapports avec le marxisme.
Oeuvres principales : La structure du comportement (1941), Phénoménologie de la perception (1945), Humanisme et
terreur (1947), Sens et non-sens (1948), Eloge de la philosophie (1953), Les sciences de l'homme et la
phénoménologie (1953), Les aventures de la dialectique (1955), Signes (1961)..
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