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Merleau-Ponty

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L'homme public, puisqu'il se mêle de gouverner les autres, ne peut se plaindre d'être jugé sur ses actes dont les autres portent la peine, ni sur l'image souvent inexacte qu'ils donnent de lui. Comme Diderot le disait du comédien en scène, nous avançons que tout homme qui accepte de jouer un rôle porte autour de soi un « grand fantôme » dans lequel il est désormais caché, et qu'il est responsable de son personnage même s'il n'y reconnaît pas ce qu'il voulait être. Le politique n'est jamais aux yeux d'autrui ce qu'il est à ses propres yeux, non seulement parce que les autres le jugent témérairement, mais encore parce qu'ils ne sont pas lui, et que ce qui est en lui erreur ou négligence peut être pour eux mal absolu, servitude ou mort. Acceptant, avec un rôle politique, une chance de gloire, il accepte aussi un risque d'infamie, l'une et l'autre « imméritées ». L'action politique est de soi impure parce qu'elle est action de l'un sur l'autre et parce qu'elle est action à plusieurs. [...] Aucun politique ne peut se flatter d'être innocent. Gouverner, comme on dit, c'est prévoir, et le politique ne peut s'excuser sur l'imprévu. Or il y a de l'imprévisible. Voilà la tragédie. Merleau-Ponty

« L'homme public, puisqu'il se mêle de gouverner les autres, ne peut se plaindre d'être jugé sur ses actes dont les autres portent la peine, ni sur l'image souvent inexacte qu'ils donnent de lui.

Comme Diderot le disait du comédien en scène, nous avançons que tout homme qui accepte de jouer un rôle porte autour de soi un « grand fantôme » dans lequel il est désormais caché, et qu'il est responsable de son personnage même s'il n'y reconnaît pas ce qu'il voulait être.

Le politique n'est jamais aux yeux d'autrui ce qu'il est à ses propres yeux, non seulement parce que les autres le jugent témérairement, mais encore parce qu'ils ne sont pas lui, et que ce qui est en lui erreur ou négligence peut être pour eux mal absolu, servitude ou mort.

Acceptant, avec un rôle politique, une chance de gloire, il accepte aussi un risque d'infamie, l'une et l'autre « imméritées ».

L'action politique est de soi impure parce qu'elle est action de l'un sur l'autre et parce qu'elle est action à plusieurs.

[...] Aucun politique ne peut se flatter d'être innocent.

Gouverner, comme on dit c'est prévoir, et le politique ne peut s'excuser sur l'imprévu.

Or il y a de l'imprévisible.

Voilà la tragédie.

Maurice MERLEAU-PONTY Introduction Lorsqu'on juge durement un responsable politique, certains cherchent parfois à apporter une nuance en suggérant qu'après tout, « il a sans doute fait de son mieux », que l'erreur est humaine.

Mais juge-t-on un homme public à la manière de n'importe quel ouvrier ou employé? Merleau-Ponty ne le pense pas; sans se montrer vindicatif par principe, il présente la fonction politique comme une figure à deux faces, indissociables l'une de l'autre: le pouvoir et l'exposition à des jugements parfois injustes.

Tout le passage est une évocation des différentes facettes de ce rapport double et, passant par des éléments dialectiques comme le rapport de l'être et du paraître, aboutit à l'idée d'une situation tragique, l'homme politique devant assumer même ce qui était humainement imprévisible. Tout en étudiant ces différents points nous nous interrogerons sur la notion d'engagement politique. Développement Le début du texte, au ton très ferme, pourrait laisser croire à une charge contre les hommes politiques : après tout, semble dire Merleau-Ponty, ils n'ont que ce qu'ils méritent si l'on dit du mal d'eux puisqu'ils viennent se mêler de nos affaires.

Avides de pouvoir, les hommes politiques doivent en payer le prix et vivre un certain isolement.

La conclusion naturelle d'un tel raisonnement serait alors qu'il vaut mieux ne pas s'engager en politique et demeurer « juste quelqu'un de bien, sans grand destin » mais jouissant d'une légitime réputation.

Une victoire de la morale sur la politique? Ce serait pourtant se méprendre sur l'intention réelle de Merleau-Ponty.

Ce que fait l'homme public dans l'exercice normal de ses fonctions est bien et normal; mais son statut implique une exposition à des jugements sévères qu'il ne doit pas chercher à éviter.

Pour faire bref, on peut dire qu'on ne peut en même temps avoir du pouvoir et être aimé. André Malraux résume cette intuition dans la parole d'un personnage de son roman L'Espoir: un colonel espagnol passé dans le camp républicain,parle de la solitude du commandement et rappelle que « pour commander, il faut renoncer à séduire ».

Lorsque Merleau-Ponty dit que l'homme politique « se mêle de gouverner les autres », il ne condamne pas une ingérence, il reconnaît un engagement qui aurait pu ne pas être pris.

L'homme public se « mêle » des affaires de la communauté, il prend part à la mêlée, il fait ainsi un choix qu'on ne lui imposait pas et doit l'assumer. Qu'y a-t-il donc à assumer? Un décalage entre ce que les gens retiennent pour le juger et ce qu'il aimerait qu'ils retinssent.

Ce décalage est l'expression d'un autre, qui traverse tout le texte.

On pourrait en effet définir l'homme politique comme celui dont le travail quotidien a des conséquences lourdes pour l'ensemble de la communauté politique. Une signature, et le ministre a transformé les modalités d'accès à l'emploi, ou le code de la route, etc.

Quelques heures de discussion, et des millions d'euros passent d'un poste budgétaire à un autre.

Le travail du ministre demeure inchangé alors qu'il transforme la vie de bien des citoyens : d'où l'idée que ce sont les autres qui en « portent la peine ».

Ce n'est pas un reproche, mais un aspect suffisamment singulier pour que l'homme politique ne l'oublie pas.

Le technocrate est celui qui s'occupe uniquement de l'aspect technique de son travail, en oubliant que « d'autres en portent la peine ». Le second regret de l'homme politique est souvent de ne pas être jugé pour ce qu'il est mais seulement d'après une « image souvent inexacte » : le décideur qui prend une mesure impopulaire aimerait bien que le public sache qu'il ne le fait ni par plaisir ni par intérêt personnel.

Mais peut-il prétendre exercer le pouvoir de l'homme public et avoir l'image de l'homme privé? Depuis Henri IV faisant savoir qu'un ministre l'a trouvé jouant à quatre pattes avec ses enfants, tous les hommes politiques ont été tentés par ce changement de rôle.

C'est cette tentation que Merleau-Ponty conteste.

Il explique ce désaccord par l'image de l'acteur tel que le définit Diderot.

Pour ce dernier, l'acteur ne doit pas être lui-même mais jouer son personnage en contrôlant parfaitement son rôle.

Le public ne veut pas voir l'acteur triste (ce ne serait plus du théâtre) mais la tristesse du personnage parfaitement jouée.

De même l'homme d'État doit avoir l'attitude qui correspond à sa fonction. Merleau-Ponty ne rejoint-il pas ici Machiavel pour conseiller à l'homme politique d'avancer masqué et de ne pas hésiter à mentir? Il ne se place pas exactement dans cette perspective puisqu'il ne raisonne pas en termes d'efficacité de l'action (Machiavel donne des conseils d'hypocrisie en vue de la conquête et de la conservation du pouvoir), mais en. »

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