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Merleau-Ponty

Extrait du document

Dans l'expérience du dialogue, il se constitue entre autrui et moi un terrain commun, ma pensée et la sienne ne font qu'un seul tissu, mes propos et ceux de mon interlocuteur sont appelés par l'état de la discussion, ils s'insèrent dans une opération commune dont aucun de nous n'est le créateur. Il y a là un être à deux, et autrui n'est plus ici pour moi un simple comportement dans mon champ transcendantal", ni d'ailleurs moi dans le sien, nous sommes l'un pour l'autre collaborateurs dans une réciprocité parfaite, nos perspectives glissent l'une dans l'autre, nous coexistons à travers un même monde. Dans le dialogue présent, je suis libéré de moi-même, les pensées d'autrui sont bien des pensées siennes, ce n'est pas moi qui les forme, bien que je les saisisse aussitôt nées ou que je les devance, et même, l'objection que me fait l'interlocuteur m'arrache des pensées que je ne savais pas posséder, de sorte que si je lui prête des pensées, il me fait penser en retour. C'est seulement après coup, quand je me suis retiré du dialogue, et m'en souviens, que je puis le réintégrer à ma vie, en faire un épisode de mon histoire privée, et qu'autrui rentre dans son absence, ou, dans la mesure où il me reste présent, est senti comme une menace pour moi. Merleau-Ponty

« Dans l'expérience du dialogue, il se constitue entre autrui et moi un terrain commun, ma pensée et la sienne ne font qu'un seul tissu, mes propos et ceux de mon interlocuteur sont appelés par l'état de la discussion, ils s'insèrent dans une opération commune dont aucun de nous n'est le créateur.

Il y a là un être à deux, et autrui n'est plus ici pour moi un simple comportement dans mon champ transcendantal", ni d'ailleurs moi dans le sien, nous sommes l'un pour l'autre collaborateurs dans une réciprocité parfaite, nos perspectives glissent l'une dans l'autre, nous coexistons à travers un même monde.

Dans le dialogue présent, je suis libéré de moi-même, les pensées d'autrui sont bien des pensées siennes, ce n'est pas moi qui les forme, bien que je les saisisse aussitôt nées ou que je les devance, et même, l'objection que me fait l'interlocuteur m'arrache des pensées que je ne savais pas posséder, de sorte que si je lui prête des pensées, il me fait penser en retour. C'est seulement après coup, quand je me suis retiré du dialogue, et m'en souviens, que je puis le réintégrer à ma vie, en faire un épisode de mon histoire privée, et qu'autrui rentre dans son absence, ou, dans la mesure où il me reste présent, est senti comme une menace pour moi. • Dans cet extrait, Merleau-Ponty montre que le langage dialogué permet d'instituer une communauté intersubjective : la communication avec autrui va favoriser les échanges sur fond de « terrain commun ».

C e « terrain commun » est le monde que nous partageons, sur lequel nous avons sans doute des points de vue différents, mais qui est le nôtre.

Ne faire « qu'un seul tissu » ne signifie pas que nos pensées sont identiques, mais simplement qu'elles s'entrecroisent comme les fils d'une trame dont le dialogue permet le tissage.

Par ce dialogue, par le langage, autrui sort de la solitude et existe en tant que sujet pensant pour moi, il n'est plus alors « pour moi un simple comportement », un simple objet, mais mon alter ego (nos perspectives « glissent l'une dans l'autre ») et en même temps ma différence (autrui). • L'expérience du dialogue avec autrui est aussi l'expérience d'une révélation : la confrontation des pensées est fructueuse, elle fait accoucher d'autres pensées dont on ne se savait pas gros.

Loin d'être un obstacle, autrui me délivre de « pensées que je ne savais pas posséder », de faussetés que j'ignorais et qui sont mises au jour à travers l'échange et la communication des pensées.

Cette révélation, seulement possible par le dialogue, me donne alors à penser de nouveau et mieux.

C 'est par autrui que je prends conscience de ma pensée, donc, de moi-même.

C 'est dans et par le dialogue que ma pensée devient telle.

Sans autrui, ma pensée et mon existence ne seraient en définitive que virtuelle. • Pourquoi autrui est-il « senti comme une menace pour moi » ? La pensée d'autrui, à partir du moment où elle est énoncée, est un chalenge à la mienne et ce, particulièrement lorsqu'elle se présente à moi sous la forme d'une critique de mon jugement, de mes certitudes.

C 'est, nonobstant, de l'opposition des discours que naîtront les pensées les plus abouties, les plus fécondes, que la pensée pourra se réaliser pleinement.

Même absent, autrui, parce que nous avons échangé des idées avec lui, continue d'influencer mon raisonnement intérieur et à le faire progresser. • « Un bébé de quinze mois ouvre la bouche si je prends par jeu l’un de ses doigts entre mes dents et que je fasse mine de le mordre.

Et pourtant, il n’a guère regardé son visage dans une glace, ses dents ne ressemblent pas aux miennes.

C’est que sa propre bouche et ses dents, telles qu’il les sent de l’intérieur, sont d’emblée pour lui des appareils à mordre, et que ma mâchoire, telle qu’il la voit du dehors, est d’emblée pour lui capable des mêmes intentions.

La morsure a immédiatement pour lui une signification intersubjective.

Il perçoit ses intentions dans son corps, mon corps avec le sien, et par là mes intentions dans son corps. […] En tant que j’ai des fonctions sensorielles, un champ visuel, auditif, tactile, je communique déjà avec les autres, pris aussi comme sujets psychologiques. Mon regard tombe sur un corps vivant en train d’agir, aussitôt les objets qui l’entourent reçoivent une nouvelle couche de signification : ils ne sont plus seulement ce que je pourrais en faire moi-même, ils sont ce que ce comportement va en faire.

Autour du corps perçu se creuse un tourbillon où mon monde est attiré et comme aspiré : dans cette mesure, il n’est plus seulement mien, il ne m’est plus seulement présent, il est présent à X, à cette autre conduite qui commence à se dessiner en lui.

Déjà l’autre corps n’est plus un simple fragment du monde, mais le lieu d’une certaine « vue » du monde.

Il se fait là-bas un certain traitement des choses jusque-là miennes.

Quelqu’un se sert de mes objets familiers.

Mais qui ? Je dis que c’est un autre, un second moi-même et je le sais d’abord parce que ce corps vivant a même structure que le mien.

J’éprouve mon corps comme puissance de certaines conduites et d’un certain monde, je ne suis donné à moi-même que comme une certaine prise sur le monde ; or c’est justement mon corps qui perçoit le corps d’autrui et il y trouve comme un prolongement miraculeux de ses propres intentions, une manière familière de traiter le monde ; désormais, comme les parties familières de mon corps forment un système, le corps d’autrui et le mien sont un seul tout, l’envers et l’endroit d’un seul phénomène et l’existence anonyme dont mon corps est à chaque moment la trace habite désormais ces deux corps à la fois.

» Merleau-Ponty, « Phénoménologie de la perception ». Les analyses de Sartre, si belles soient-elles, ne prennent pas en compte l'aspect charnel de la rencontre d'autrui: dans sa description, un pur regard désincarné m'impose brutalement le statut d'objet, de chose.

Merleau-Ponty, réagissant contre ce type d'analyse, tente au contraire de fonder au niveau du corps la rencontre d'autrui.

Mais on ne revient pas pour autant à Husserl: il ne s'agit pas de mon corps mais de la dimension corporelle en général, telle que moi et les autres y participons. POUR MIEUX COMPRENDRE LE TEXTE L'argumentation générale du texte s'appuie sur un exemple.

Le geste de « morsure » (seulement esquissé par un mouvement des dents: « Attention, je vais te mordre ») est immédiatement compris par l'enfant, mais sans raisonnement aucun (il n'a pas « comparé» sa bouche avec celle de l'adulte pour savoir que les deux bouches se ressemblent et peuvent mordre toutes les deux).

Le geste de morsure est donc immédiatement perçu comme une possibilité de son propre corps (« Mon corps aussi sait mordre »).

Ainsi, il n'y a pas un «tu peux mordre » opposé à un « je peux mordre », mais une possibilité générale de « mordre » qui réside dans mon corps et dans le corps de l'autre.

C ette possibilité, puisqu'on en perçoit l'existence dans tous les corps, est donc la propriété d'une dimension corporelle en général. Or, pour Merleau-Ponty, c'est à ce niveau de corporéité anonyme, pré-personnelle (en tant qu'elle n'est pas «mienne» exclusivement, pas plus que «sienne») que s'établit la possibilité de communication avec autrui. Le paragraphe suivant reprend la démonstration sur l'exemple plus général de la perception du comportement d'autrui (par exemple, je vois quelqu'un porter des paquets, s'impatienter devant un magasin, etc.).

Cette perception se fait par un décentrement du Je: je comprends ce qui se passe là-bas parce que je m'y projette, parce que je n'y assiste pas comme à un spectacle objectif auquel je resterais étranger, me contentant de regarder de loin et de juger.

J'y vois toujours le prolongement d'une activité dont je ressens immédiatement en moi la possibilité (mon corps aussi connaît la lourdeur des paquets à porter, le désagrément d'une attente trop longue, etc.).. »

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