Merleau-Ponty
Extrait du document
«
Car désormais on peut dire à la lettre que l'espace lui-même se sait à travers mon
corps [...].
Quand on dit que la chose perçue est saisie « en personne » ou « dans sa
chair » (leibhaft), cela est à prendre à la lettre : la chair du sensible, ce grain serré qui
arrête l'exploration, cet optimum qui la termine reflètent ma propre incarnation et en
sont la contrepartie.
Il y a là un genre de l'être, un univers avec son « sujet » et son «
objet » sans pareils, l'articulation de l'un sur l'autre et la définition d'un « irrelatif »
de toutes les relativités de l'expérience sensible, qui est « fondement de droit » pour
toutes les opérations de la connaissance.
Toute la connaissance, toute la pensée
objective vivent de ce fait inaugural que j'ai senti, que j'ai eu, avec cette couleur ou
quelque soit le sensible en cause, une existence singulière qui arrête d'un coup mon
regard, et pourtant lui promettent une série d'expériences indéfinie, concrétion de
possibles d'ores et déjà réels dans les côtés cachés de la chose, laps de durée donné
en une fois [...] Le fait est que le sensible, qui s'annonce à moi dans ma vie la plus
strictement privée, interpelle en elle toute corporéité.
Il est l'être qui m'atteint au plus
secret, mais aussi que j'atteins à l'état brut ou sauvage, dans un absolu de présence
qui détient le secret du monde, des autres et du vrai.
Situation du texte : Merleau-Ponty s'interroge sur la place du corps dans la perception, en marge
de réflexions sur les Ideen II de Husserl, fondateur de la phénoménologie.
Merleau-Ponty insiste
sur le caractère incontournable et absolu de l'expérience corporelle, fondement de toute
connaissance et de toute action.
La réflexion procède en exposant une série de paradoxes sur le
corps qui aboutissent au constat de l'ouverture du monde sensible sur le monde commun, l'intersubjectivité.
Analyse du texte :
1 er moment : le monde sensible, conçu comme un domaine de l'être (« un univers ») apparaît ici comme un absolu (« un irrelatif ») et
en même temps chargé de la relativité des perceptions individuelles (« de toutes les relativités de l'expérience sensible »).
Paradoxe
explicable en ceci que si les informations données par les sens sont variables et subjectives relativement à la connaissance scientifique,
elles sont un absolu en tant que fondement de tout rapport au monde qui s'enracinent dans un corps percevant et agissant.
Le corps est
une origine.
2e moment : la perception manifeste une résistance du réel : (« ce grain serré ») qui limite la perception, et qui tout à la fois l'entraîne
vers des perspectives illimités.
Si la perception, en effet, n'atteint des choses réelles que leur surface ou leurs apparences, elle peut offrir
une variété infinie de sensations sur l'objet, que Merleau-Ponty retrouvera dans la création artistique, et notamment chez Cézanne (cf.
Le
Doute de Cézanne, L'OEil et l'Esprit).
3e moment : l'espace perçu n'est pas lui-même l'espace objectif, mais l'espace singulier de mes sens (« un univers avec son « sujet » et
son « objet » sans pareils »).
Mais il s'ouvre simultanément au monde commun, à l'intersubjectivité (« qui s'annonce à moi dans ma vie la
plus strictement privée, interpelle en elle toute corporéité ».
Néanmoins cette intersubjectivité est paradoxale car si cette corporéité
interpelle toute corporéité, elle n'est pas conceptuelle et ne peut être communiquée.
Conclusion : à l'horizon de ce texte se profile le problème d'autrui et du solipsisme (doctrine selon laquelle le sujet ne peut pas sortir de
son propre monde puisque ses perceptions et ses pensées ne sont valables que pour lui).
Merleau-Ponty tente de corriger, dans la ligne
de Bergson et de Husserl, l'orientation intellectualiste de la philosophie de la perception.
Le monde qui est commun n'est pas seulement le
monde de la raison, mais aussi le monde sensible.
Je sais que le monde corporel est aussi ressenti comme tel par l'autre, mais il reste le
mien.
Dernier paradoxe qui fonde en dernier ressort la valeur risquée de l'expression et du langage.
On devine que l'art aura pour tâche
de retrouver cet être sauvage en dévoilant un « être secret » antérieur à la constitution de l'être objectif des sciences.
MERLEAU-PONTY (Maurice).
Né à Rochefort-sur-mer en 1908, mort à Paris en 1961.
Il fut professeur à l'Université de Lyon, à la Sorbonne, et, à partir de 1952, au Collège de France.
Disciple de Husserl, il fonda avec Sartre
Les temps modernes.
Il s'est surtout occupé de philosophie psychologique, et s'est intéressé à l'existentialisme dans ses rapports avec le
marxisme.
Oeuvres principales : La structure du comportement (1941), Phénoménologie de la perception (1945), Humanisme et terreur (1947),
Sens et non-sens (1948), Eloge de la philosophie (1953), Les sciences de l'homme et la phénoménologie (1953), Les aventures de la
dialectique (1955), Signes (1961)..
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