Merleau-Ponty
Extrait du document
«
" Il y a un objet culturel qui va jouer un rôle essentiel dans la perception
d'autrui : c'est le langage.
Dans l'expérience du dialogue, il se constitue
entre autrui et moi un terrain commun, ma pensée et la sienne ne font
qu'un seul tissu, mes propos et ceux de l'interlocuteur sont appelés par
l'état de la discussion, ils s'insèrent dans une opération commune dont
aucun de nous n'est le créateur.
[...] Nous sommes l'un pour l'autre
collaborateurs dans une réciprocité parfaite, nos perspectives glissent
l'une dans l'autre, nous coexistons à travers un même monde.
Dans le
dialogue présent, je suis libéré de moi-même, les pensées d'autrui sont
bien des pensées siennes, ce n'est pas moi qui les forme, bien que je les
saisisse aussitôt nées ou que je les devance, et même, l'objection que nie
fait l'interlocuteur m'arrache des pensées que je ne savais pas posséder,
de sorte que si je lui prête des pensées, il me fait penser en retour.
"
Merleau-Ponty
Introduction
Dans l'expérience malheureuse du « dialogue de sourds », deux personnes qui se
parlent semblent pourtant demeurer enfermées dans leur point de vue propre qui
demeure imperméable à celui de l'autre.
Certains penseurs ont cru pouvoir
étendre cette situation à toutes nos relations avec autrui pour donner l'image
d'une incommunicabilité générale.
Merleau-Ponty nous propose au contraire une évocation du dialogue comme expérience essentielle de la réciprocité, de
la communauté avec autrui, qui justifie le fait qu'autrui ne m'apparaisse pas comme un objet parmi les autres mais bien
comme un semblable.
Nous verrons comment cette expérience du dialogue produit non seulement un échange, mais
également une promotion réciproque des consciences qui s'enrichissent mutuellement.
Étude ordonnée et intérêt philosophique
La première phrase nous renseigne à la fois sur le thème et sur la problématique du texte.
Il s'agit du langage, mais
dans une perspective bien déterminée : celle de la perception d'autrui.
Le langage n'est pas désigné ici comme une
faculté de l'esprit humain, comme une capacité exercée à la première personne; il est d'emblée présenté comme un «
objet culturel », c'est-à-dire situé dans un horizon collectif.
Le langage apparaît toujours sous la forme concrète d'une
langue déterminée, parlée par une communauté humaine.
Et c'est avant tout comme membre de cette communauté
que m'apparaît autrui.
Or je ne perçois autrui comme semblable parlant la même langue que moi qu'à travers l'expérience du dialogue : c'est
elle que Merleau-Ponty va évoquer comme le moment fondateur de la communauté entre autrui et moi.
L'intérêt
philosophique des lignes qui suivent réside avant tout dans l'effacement relatif des personnes à travers le dialogue.
Il
ne s'agit plus de réfléchir à la première personne sur la façon dont mes idées peuvent être formulées par le langage,
mais de saisir le moment interpersonnel en tant que tel, le moment qui fait qu'il n'y a plus deux sujets juxtaposés mais
véritablement un espace de communication.
_
Merleau-Ponty tait surgir cette idée à travers une série d'expressions : « terrain commun », « un seul tissu », «
opération commune ».
Ce qui ressort, c'est l'unité qui s'oppose à la pluralité des interlocuteurs.
Il faut au moins deux
personnes pour dialoguer, mais il y a bien un dialogue commun à tous les participants.
L'image du tissu est parlante car
elle évoque l'entrelacement de différents fils — parler du « fil de la conversation » serait donc une image trop
simplifiée.
On voit que le détour par ces métaphores est nécessaire, car l'attention est souvent concentrée sur le rapport de
chaque sujet à ses propres idées.
Or l'échange des idées devient alors problématique : si chacun est enfermé dans sa
sphère de pensée, comment comprendre la possibilité du dialogue? Leibniz allait même jusqu'à proposer la
représentation d'un univers composé de « monades », esprits fermés sur eux-mêmes et sans communication entre eux
mais coordonnés par leur créateur divin.
À la conception monadologique, Merleau-Ponty oppose l'idée d'une « opération commune » dont aucun des
interlocuteurs ne peut revendiquer la paternité : chacun participe, l'échange n'est à personne.
C'est d'ailleurs la raison
pour laquelle un tiers peut suivre la conversation et y intervenir pour enrichir encore l'échange.
C'est également pour
cette raison que Socrate pouvait définir le dialogue comme une marche en commun de deux personnes cherchant la
même chose qui n'appartient à personne, la vérité, plutôt que comme un combat entre deux personnes cherchant à se
faire valoir.
Le dialogue socratique est peut-être le meilleur exemple de l'échange évoqué par Merleau-Ponty.
L'idée de création d'un terrain commun est ensuite enrichie par la notion de réciprocité dans le mouvement de la
pensée : « nous sommes l'un pour l'autre collaborateurs dans une réciprocité parfaite, nos perspectives glissent l'une
dans l'autre ».
Cette phrase appelle une explication et un commentaire.
Ce glissement c'est le mouvement par lequel les pensées d'autrui sont intégrées aux miennes et les transforment.
Lorsque mon interlocuteur vient de parler, je modifie souvent la phrase que j'avais préparée au début : ce qu'il a dit
rend obsolète ma pensée antérieure, je la reformule en y intégrant ce que je viens d'entendre.
La réciprocité est-elle cependant toujours « parfaite » ? Merleau-Ponty évoque ici la situation de dialogue idéale, mais
nous faisons souvent l'expérience d'un déséquilibre dans le « glissement » : parfois l'un des interlocuteurs domine
l'autre par sa compétence ou son talent de persuasion, et alors c'est essentiellement son discours qui glisse dans la
conscience de l'interlocuteur qui demeure sans voix ou se contente d'acquiescer.
Même sans aller jusqu'à cette.
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