Aide en Philo

MALEBRANCHE: Lorsqu'on est riche et puissant, on n'en est pas plus aimable...

Extrait du document

Lorsqu'on est riche et puissant, on n'en est pas plus aimable, si pour cela on n'en devient pas meilleur à l'égard des autres par ses libéralités, et par la protection dont on les couvre. Car rien n'est bon, rien n'est aimé comme tel, que ce qui fait du bien, que ce qui rend heureux. Encore ne sais-je si on aime véritablement les riches libéraux, et les puissants protecteurs. Car enfin ce n'est point ordinairement aux riches qu'on fait la cour, c'est à leurs richesses. Ce n'est point les grands qu'on estime, c'est leur grandeur ; ou plutôt c'est sa propre gloire qu'on recherche, c'est son appui, son repos, ses plaisirs. Les ivrognes n'aiment point le vin, mais le plaisir de s'enivrer. Cela est clair : car s'il arrive que le vin leur paraisse amer, ou les dégoûte, ils n'en veulent plus. Dès qu'un débauché a contenté sa passion, il n'a plus que de l'horreur pour l'objet qui l'a excité ; et s'il continue de l'aimer, c'est que sa passion vit encore. Tout cela, c'est que les biens périssables ne peuvent servir de lien pour unir étroitement les coeurs. On ne peut former des amitiés durables sur des biens passagers, par des passions qui dépendent d'une chose aussi inconstante qu'est la circulation des humeurs et du sang ; ce n'est que par une mutuelle possession du bien commun, la Raison. Il n'y a que ce bien universel et inépuisable, par la jouissance duquel on fasse des amitiés constantes et paisibles. Il n'y a que ce bien qu'on puisse posséder sans envie, et communiquer sans se faire tort. MALEBRANCHE


« « Lorsqu'on est riche et puissant, on n'en est pas plus aimable, si pour cela on n'en devient pas meilleur à l'égard des autres par ses libéralités, et par la protection dont on les couvre.

Car rien n'est bon, rien n'est aimé comme tel, que ce qui fait du bien, que ce qui rend heureux. Encore ne sais-je si on aime véritablement les riches libéraux, et les puissants protecteurs. Car enfin ce n'est point ordinairement aux riches qu'on fait la cour, c'est à leurs richesses.

Ce n'est point les grands qu'on estime, c'est leur grandeur ; ou plutôt c'est sa propre gloire qu'on recherche, c'est son appui, son repos, ses plaisirs. Les ivrognes n'aiment point le vin, mais le plaisir de s'enivrer.

Cela est clair : car s'il arrive que le vin leur paraisse amer, ou les dégoûte, ils n'en veulent plus. Dès qu'un débauché a contenté sa passion, il n'a plus que de l'horreur pour l'objet qui l'a excité ; et s'il continue de l'aimer, c'est que sa passion vit encore. Tout cela, c'est que les biens périssables ne peuvent servir de lien pour unir étroitement les coeurs. On ne peut former des amitiés durables sur des biens passagers, par des passions qui dépendent d'une chose aussi inconstante qu'est la circulation des humeurs et du sang ; ce n'est que par une mutuelle possession du bien commun, la Raison. Il n'y a que ce bien universel et inépuisable, par la jouissance duquel on fasse des amitiés constantes et paisibles.

Il n'y a que ce bien qu'on puisse posséder sans envie, et communiquer sans se faire tort.» MALEBRANCHE. I - QUELLE ANALYSE POUR CE SUJET ? C e texte de Malebranche constitue une réflexion subtile sur l'amour ou l'amitié en général. Il a pour thème le fondement des " liens " affectifs susceptibles d'" unir " les êtres humains. Il pose le problème suivant : à quelles conditions sont-ils "constants" et authentiquement profonds (ou "étroits") ? La thèse de M alebranche est la suivante : quand le médiateur de la relation humaine est matériel, voire corporel, une affection se crée, mais superfic ielle et illusoire. Seul le médiateur idéal, que c onstitue la raison, est s ource, malgré la froideur et l'abstraction de son universalité, de liens intimes et humains en un sens élevé. L'enjeu du texte est de suggérer, indirectement, que les hommes ne sont pas seulement des individualités étrangères et fermées les unes aux autres, mais qu'au contraire il existe entre eux une liaison ou une unité concrète - grâce à la raison. II - UNE DEMARCHE POSSIBLE. A - M O M E N T S D U T E X T E. Le texte procède selon trois moments. Le premier (jusqu'à "puissants protecteurs") établit la raison qui fait aimer : le bien que possède ou que constitue autrui pour nous. C eci n'est pas discutable, mais encore faut-il s'entendre sur la nature de ce bien, et du bonheur que nous en retirons, quand nous l'aimons en autrui. Le deuxième moment du texte s'attache donc à décrire une première forme du bien : le bien matériel. "Richesse", "grandeur", sont ravalées au même plan que le "vin".

P ourquoi ? Parce que, explique M alebranche, dans ces deux cas, il ne s'agit pas de biens objectifs, de biens solides qui res teraient invariables à travers le temps, mais de biens "périssables ", "passagers". C omment M alebranche établit-il c ela ? En montrant que ces biens matériels sont relatifs , en tant que "bons" pour nous, à notre subjectivité qui est, essentiellement, et souvent malgré elle, variable (cf.

l'exemple de l'ivrogne). Le troisième moment du texte oppose c es biens au "bien commun, la raison". T andis que le carac tère subjectif et relatif des premiers est expliqué par Malebranche à partir de leur racine corporelle (les "humeurs" et le "sang"), la raison au contraire ne dépend aucunement, dans son caractère d'universalité, de conditions corporelles, individuelles ou communes aux hommes en général. De là sa stabilité indestructible, qui en fait la source à laquelle les hommes peuvent tous remonter, et dans laquelle ils communiquent effectivement. B - T E R M E S ET A R G U M E N T S A DIST I N G U E R . "Heureux", dans le premier moment : c e terme indique que M alebranche ne défend auc unement l'idée d'un amour abstrait, d'un devoir moral d'aimer autrui : nous aimons en autrui c e qui nous rend heureux. " P a s s ion", dans le deuxième moment, mot répété : sa variabilité essentielle est l'objet même de la réflexion de l'auteur dans ce moment. Un "lien pour unir étroitement les coeurs" : c'est la phrase qui résume toute l'intention du texte, dans le troisième moment (de "tout cela" à la fin du texte). Le souci de M alebranche est la réalité effective d'une communication intime des sujets humains. La difficulté du texte était de montrer que le fait de donner à la raison un rôle fondateur vis-à-vis de cette intimité n'est qu'un paradoxe apparent. " Inépuisable", "communiquer sans se faire tort", ces formules élucident ce paradoxe : la raison, que je vois en moi autant qu'en autrui, ne susc ite de ma part aucune envie ni auc une possessivité. Je suis heureux d'être en relation avec un être dont je reconnais la c apacité rationnelle, comme il reconnaît la mienne. III - LES REFERENCES UTILES. L'absence d'"envie" pouvait être rapportée à l'idée de "généros ité", que Desc artes introduit dans les Pass ions de l'âme . L'idée d'une communication effective par la médiation de la raison, pouvait être prolongée avec la doctrine kantienne du s ens commun ( C ritique de la faculté de juger , première partie, paragraphes 20, 21 et 40). IV - FAUSSES PISTES. C ons idérer que M alebranche "moralise" dans c e texte au sujet de l'amitié, ou qu'il rejette tout usage des biens matériels, étaient deux cons équences exces sives et erronées qu'il fallait éviter de plaquer s ur le texte.. »

↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓

Liens utiles