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MALEBRANCHE, FOSSOYEUR DU CARTÉSIANISME

Publié le 12/03/2022

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Ces infidélités sont de deux types, implicites ou explicites. Il y a tout d’abord les affirmations renouvelées d’une fidélité conceptuelle au cartésianisme, en fait parfaitement théorique. Malebranche se réfère en effet fréquemment à certaines thèses de Descartes, sans pour autant les respecter véritablement ou sans les intégrer précisément à son argumentation propre. Donnons-en un exemple significatif : Malebranche insiste sur l’originalité du doute cartésien qu’il présente comme une hypothèse fondatrice de la philosophie nouvelle, notamment dans son opposition à la scolastique. Cependant, il ne l’utilise pas dans sa philosophie propre, méconnaissant sa radicalité et même sa nécessité philosophique pour fonder le vrai. Il y a ensuite l’exposition de principes absolument novateurs que l’on ne trouve pas chez Descartes. Le plus important d’entre eux consiste en ce que l’on appelle la « vision en Dieu ». Il s’agit d’une hypothèse épistémique et cognitive qui postule un lien direct entre la raison humaine et la Raison divine. Dès les premières lignes de la préface de la Recherche de la vérité, Malebranche affirme ainsi que la « distance infinie qui se trouve entre l’Etre souverain et l’esprit de l’homme, n’empêche pas qu’il ne lui soit uni immédiatement, et d’une manière très intime ». Cette thèse est essentielle, car elle suppose que l’idée n’est pas un mode de l’esprit comme chez Descartes, mais une vérité vue en Dieu même et qui nous permet de penser en quelque sorte comme Dieu pense. L’idée est conçue comme un archétype intelligible irréductible aux modalités de l’esprit. Il faut donc distinguer clairement entre l’idée et la perception, ce que ne fait pas Descartes. Cette référence à un monde intelligible constitué des archétypes des idées rappelle la philosophie platonicienne. Malebranche se distingue ainsi décisivement de son maître immédiat, subissant plutôt l’influence du platonisme, du néoplatonisme et de saint Augustin. Le malebranchisme s’élabore justement par la conjonction de ces trois influences. L’explication malebranchiste des mécanismes du connaître est en rupture complète avec Descartes. Elle suppose une compréhension très différente de l’homme : celui-ci n’est pas un individu indépendant capable de se fonder lui-même par l’affirmation du «je pense, je suis » et peu marqué par le péché originel. Elle suppose, au contraire, que la créature est absolument dépendante de Dieu et sans autonomie intellectuelle. D’ailleurs, elle ne pourrait se constituer elle-même dans le cas d’un Dieu trompeur, puisque toute idée vient de Dieu. Malebranche refuse ainsi explicitement l’évidence du cogito et le doute hyperbolique, et ce dès son premier ouvrage. Il insiste même sur le fait que l’âme est irrémédiablement obscure à elle-même, la raison humaine ne pouvant la penser, le corps étant plus facile à connaître. On ne peut opérer plus complet renversement des thèses cartésiennes qui refusaient toute évidence au corps et posaient la seule évidence de l’esprit, notamment dans la deuxième des Méditations métaphysiques. Ces innovations conceptuelles s’expliquent en grande partie par le fait que l’homme de Malebranche n’est pas du tout celui de Descartes, puisqu’il est vraiment un homme déchu comme dans l’anthropologie pascalienne. Malebranche subit d’ailleurs l’influence janséniste au début de son parcours intellectuel, comme en témoigne son amitié avec Antoine Arnauld. A la suite de la lecture de l'Augustinus, en 1673, il effectue ainsi une rétractation, après la signature du formulaire contre Jansénius (obligatoire pour tous les prêtres à l’époque, rappelons-le). Ses œuvres sont parallèlement marquées par la pensée pascalienne, à laquelle il emprunte bien des développements moraux. La personnalité intellectuelle de Malebranche est donc bien différente de celle de Descartes. Il faut en effet tenir compte, pour comprendre sa pensée, du fait qu’il est tout autant théologien que philosophe. Non pas au sens d’un Arnauld, qui est principalement le chef d’un parti religieux avant d’être un philosophe, mais au sens où les deux domaines, philosophique et théologique, sont étroitement mêlés dans le système de Malebranche. Vouloir les démêler est absurde et arbitraire, car chacun d’entre eux éclaire l’autre, selon l’oratorien. Le malebranchisme est en effet une philosophie chrétienne au sens plein, c’est-à-dire que Dieu est présent à tous les niveaux de la compréhension du réel. Chez cet auteur, la raison et la foi sont constamment articulées l’une à l’autre, afin de penser quelque réalité que ce soit. On parle souvent à cet égard de « rationalisme chrétien » pour qualifier cette philosophie, éloignée en tout point de la tentation fidéiste que l’on trouve dans le jansénisme.

« MALEBRANCHE, FOSSOYEUR DU CARTÉSIANISME ? Tous les ordres religieux enseignants ne sont pas également sensibles aux nouveautés philosophiques.

Si les jésuites restent largement fidèles à la scolastique quitte à être sèchement rappe­lés à l'ordre par leur congrégation, comme le montre l'exemple de Rodolphe Du Tertre (1677-1762), un temps attiré par la phi­losophie de Malebranche, d'autres congrégations sont sensibles au cartésianisme et participent clairement à sa diffusion.

C'est notamment le cas des oratoriens (son fondateur, le cardinal de Bérulle, avait encouragé Descartes à écrire), et c'est l'un d'eux qui va proposer le développement le plus audacieux de la pensée cartésienne: il s'agit de Nicolas Malebranche (1638-1715). Ce parfait contemporain de Louis XIV (1638-1715) tombe en arrêt, au sens propre, devant le livre de Descartes, L'Homme, découvert à l'étal d'un libraire à sa sortie en 1664.

Il est en effet pris de palpitations et comme paralysé en feuilletant l'ouvrage qu'il achète et ramène dans sa cellule de l'Oratoire pour le lire plus avant.

Cette date symbolique marque le début de son intérêt pour la philosophie, à laquelle toute sa vie sera consacrée.

Sa première œuvre s'intitule De la recherche de la vérité: elle est d'ins­piration fortement cartésienne, comme le montre le choix de ce titre, repris d'un ouvrage inachevé de Descartes.

Cependant, la méthode et les résultats de Malebranche sont bien différents de ceux de Descartes.

Pour cette raison, il n'est pas un« petit carté­sien», mais un penseur profondément original.

En effet, au sein même de la Recherche de la vérité, qui est son texte le plus proche conceptuellement de la pensée de Descartes, les innovations phi­losophiques abondent, au point de marquer le début d'un sys­tème philosophique propre.

Malebranche y affirme sa fidélité à Descartes, reprenant apparemment à son compte plusieurs élé­ ments essentiels du cartésianisme, comme la règle du doute, de l'évidence et de l'ordre des raisons.

L'ouvrage est d'ailleurs. »

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