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MALEBRANCHE

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La géométrie est très utile pour rendre l'esprit attentif aux choses dont on veut découvrir les rapports ; mais il faut avouer qu'elle nous est quelquefois occasion d'erreur, parce que nous nous occupons si fort des démonstrations évidentes et agréables que cette science nous fournit, que nous ne considérons pas assez la nature. (...) On suppose, par exemple, que les planètes décrivent par leurs mouvements des cercles et des ellipses parfaitement régulières ; ce qui n'est point vrai. On fait bien de le supposer, afin de raisonner, et aussi parce qu'il s'en faut peu que cela ne soit vrai, mais on doit toujours se souvenir que le principe sur lequel on raisonne est une supposition. De même, dans les mécaniques on suppose que les roues et les leviers sont parfaitement durs et semblables à des lignes et à des cercles mathématiques sans pesanteur et sans frottement. (...) Il ne faut donc pas s'étonner si on se trompe, puisque l'on veut raisonner sur des principes qui ne sont point exactement connus ; et il ne faut pas s'imaginer que la géométrie soit inutile à cause qu'elle ne nous délivre pas de toutes nos erreurs. Les suppositions établies, elle nous fait raisonner conséquemment. Nous rendant attentifs à ce que nous considérons, elle nous le fait connaître évidemment. Nous reconnaissons même par elle si nos suppositions sont fausses ; car étant toujours certains que nos raisonnements sont vrais, et l'expérience ne s'accordant point avec eux, nous découvrons que les principes supposés sont faux. Mais sans la géométrie et l'arithmétique on ne peut rien découvrir dans les sciences exactes qui soit un peu difficile. MALEBRANCHE

« « La géométrie est très utile pour rendre l'esprit attentif aux choses dont on veut découvrir les rapports ; mais il faut avouer qu'elle nous est quelquefois occasion d'erreur, parce que nous nous occupons si fort des démonstrations évidentes et agréables que cette science nous fournit, que nous ne considérons pas assez la nature.

(...) On suppose, par exemple, que les planètes décrivent par leurs mouvements des cercles et des ellipses parfaitement régulières ; ce qui n'est point vrai.

On fait bien de le supposer, afin de raisonner, et aussi parce qu'il s'en faut peu que cela ne soit vrai, mais on doit toujours se souvenir que le principe sur lequel on raisonne est une supposition.

De même, dans les mécaniques on suppose que les roues et les leviers sont parfaitement durs et semblables à des lignes et à des cercles mathématiques sans pesanteur et sans frottement.

(...) Il ne faut donc pas s'étonner si on se trompe, puisque l'on veut raisonner sur des principes qui ne sont point exactement connus ; et il ne faut pas s'imaginer que la géométrie soit inutile à cause qu'elle ne nous délivre pas de toutes nos erreurs.

Les suppositions établies, elle nous fait raisonner conséquemment.

Nous rendant attentifs à ce que nous considérons, elle nous le fait connaître évidemment.

Nous reconnaissons même par elle si nos suppositions sont fausses ; car étant toujours certains que nos raisonnements sont vrais, et l'expérience ne s'accordant point avec eux, nous découvrons que les principes supposés sont faux. Mais sans la géométrie et l'arithmétique on ne peut rien découvrir dans les sciences exactes1 qui soit un peu difficile.

» MALEBRANCHE. VOCABULAIRE: DÉMONSTRATION : C ’est un raisonnement conduisant à une conclusion certaine car nécessaire (aucune autre n’étant possible).

La démonstration est une preuve ne reposant que sur la raison.

Le sceptique demande généralement alors ce qui prouve la raison… 1.

Il ne faut pas croire que les démonstrations géométriques suffisent à faire une connaissance vraie de la nature (§ 1) A .

La géométrie comme science rigoureuse O n pourrait croire qu'une science est vraie parce qu'elle emprunte ses moyens à la géométrie.

La géométrie est en effet le modèle même d'une science rigoureuse, dès lors qu'on entend par là (comme le prescrivait A ristote dans les Seconds analytiques) une connaissance qui ne progresse que par démonstrations, à partir de premiers principes.

La perfection de cette science a permis par exemple aux Éléments d'Euclide de traverser les siècles, en conservant aujourd'hui encore leur valeur. La géométrie définit par des théorèmes démontrés les “ rapports ” entre les choses (par exemple le rapport entre la figure du triangle et la somme de ses angles). On peut alors considérer que la géométrie est une bonne formation de l'esprit, puisqu'elle l'astreint à des procédures qui garantissent la vérité.

C 'est pourquoi elle est “ utile pour rendre l'esprit attentif ”.

L'attention signifie ici en effet la façon dont l'esprit se concentre et s'astreint à suivre les procédures qui permettent d'accéder à la vérité. B.

Géométrie et erreur Mais la géométrie est aussi source d'erreur, dans la mesure où elle exerce une fascination sur l'esprit.

L'esprit trouve son compte dans cet accès à la vérité : la démonstration lui offre une satisfaction (“ démonstration agréable ”).

En effet, si le désir de tout esprit consiste à connaître la vérité, les démonstrations géométriques doivent le satisfaire dès lors qu'elles nous assurent l'accès à la vérité.

Elles sont décrites comme évidentes, et l'évidence est en effet un critère de vérité. Mais ce plaisir est à double tranchant, dès lors qu'il devient fascination : nous tendons à pérenniser ce plaisir, qui nous capture.

Nous en oublions que la géométrie n'est pas, dans la science de la nature, un but en soi, mais doit servir à l'explication de la nature.

C et oubli de l'objet de la science au profit de l'outil qui doit servir à l'expliquer peut engendrer l'erreur. C .

Utilité relative de la géométrie dans les sciences de la nature Par conséquent, l'utilité de la géométrie ne doit être considérée que comme relative dans le champ des sciences de la nature.

La géométrie que l'on utilise dans les sciences de la nature ne doit pas être un but en soi, mais doit servir à la connaissance de la nature.

Sa valeur est relative dans la mesure où elle est subordonnée à l'atteinte de ce but.

C e premier moment ne permet pas d'expliquer à quel genre d'erreur cette fascination donne naissance. 2.

L'erreur engendrée par la géométrie tient à ce qu'elle tend à nous faire prendre une abstraction pour la réalité elle-même (§ 2) A .

L'hypothèse abstraite L'auteur, dans ce second paragraphe, a recours à deux exemples dont le rôle est équivalent et qu'on peut traiter sur un pied d'égalité.

Le retour de l'adverbe “ parfaitement ”, la conjonction “ de même ”, la notion de “ cercles ” qui revient également dans les deux exemples, plaident pour la similitude de leur rôle. L'idée contenue dans l'adverbe “ parfaitement ” est celle d'abstraction ou de simplification : tel ou tel phénomène naturel, que l'on sait par ailleurs imparfait, ou soumis à d'autres paramètres, est simplifié de telle sorte qu'il puisse être considéré comme parfait, c'est-à-dire conforme à une idée simple comme celles de cercle ou de ligne.

O n fait abstraction des autres paramètres ou des variations légères de trajectoire, etc.

L'abstraction implique un léger décalage entre le phénomène tel qu'il est perçu et le phénomène tel qu'on cherche à le concevoir.

C e décalage, on choisit de faire comme s'il n'existait pas. Faire “ comme si ”, c'est tenir pour vraie une hypothèse, et non poser une vérité.

L'auteur insiste vigoureusement sur ce statut d'hypothèse, nous allons comprendre bientôt pourquoi.

Mais il faut d'abord justifier cette attitude qui consiste à tenir pour vrai ce qu'on sait ne pas l'être tout à fait : pourquoi une telle supposition, dont le résultat est la simplification abstraite des phénomènes ? B.

Intérêt de l'hypothèse “ On fait bien de le supposer, afin de raisonner, et aussi parce qu'il s'en faut peu que cela ne soit vrai...

” : le raisonnement consiste pour nous dans des démonstrations.

Les démonstrations les plus évidentes sont celles des mathématiques.

Par conséquent nous nous efforçons de rapprocher ce que nous observons des premiers éléments des mathématiques.

L'usage que l'on cherche à faire des mathématiques nous pousse à simplifier les phénomènes naturels. Plus radicalement, la raison qui nous pousse à cette simplification tient à notre faculté de raisonner : elle ne peut comprendre que les choses simples, qui se compliquent peu à peu.

C 'est la raison pour laquelle les mathématiques sont pour nous le modèle et en même temps l'instrument de toute science, et qu'elles nous procurent le plaisir de la vérité : elles posent à leur principe les choses les plus simples possibles.

La simplicité, et donc la simplification, sont les conditions de notre compréhension. Pour pouvoir appliquer les mathématiques aux phénomènes naturels, nous les soumettons à une simplification.

L'important est surtout de bien comprendre que l'hypothèse de simplicité des phénomènes est de nature heuristique (elle relève d'une tentative pour faciliter la connaissance), elle n'est pas appelée par la nature des choses.

Elle est un moyen, non une fin. C .

L'oubli de l'hypothèse Or ce statut de supposition est parfois oublié, et on prend l'hypothèse (la supposition selon laquelle la nature est écrite en langue mathématique, comme dirait Galilée) pour la réalité, tant nous sommes persuadés de la vérité de nos démonstrations.

Tout à la vérité de nos déductions, nous oublions que les premiers principes de la science résultaient d'une abstraction.

L'erreur consiste donc à oublier “ que le principe sur lequel on raisonne est une supposition ”, que la source de nos déductions n'est pas entièrement et totalement connue. Le dernier paragraphe précise le statut de cette erreur, en montrant que si elle accompagne l'usage des mathématiques, elle n'est pourtant pas imputable aux mathématiques elles-mêmes.. »

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