L'IRRATIONNEL EST-IL TOUJOURS ABSURDE ?
Extrait du document
«
Définition des termes du sujet:
IRRATIONNEL (adj.) 1.
— (Lato) Contraire à la raison et à ses normes ; par ext., souvent SYN.
de contraire à la
science.
2.
— Sans raison, soit absolument, soit relativement à un certain point de vue ; SYN.
absurde.
3.
— Qui
dépasse la raison, qui ne peut être expliqué par la science.
4.
— Qui n'est pas le produit d'une activité consciente et
guidée par la raison : le rêve, les mythes, sont irrationnels.
TOUJOURS : à tout moment, à toute époque ; éternellement, perpétuellement.
ABSURDE: Contraire à la logique.
Raisonnement illogique, formellement irrecevable.
Dénué de sens et de
cohérence.
Ce sujet vous demande de distinguer deux notions que l'on ne distingue pas nécessairement dans l'usage courant
du français : ne dit-on pas aussi bien « c'est absurde » que « c'est irrationnel »?
Vous devez donc examiner ce qui peut motiver notre assimilation courante de ces deux notions, mais surtout
chercher à les distinguer et à les situer l'une par rapport à l'autre.
Il est bon que vous vous interrogiez sur les
contraires de ces deux notions, afin de déterminer leur sens exact.
De prime abord, le terme « irrationnel » s'oppose
au terme « rationnel », tandis que le terme « absurde » s'oppose au terme « sensé ».
Cela suggère que le premier
terme porte sur la conformité d'une chose ou d'un comportement aux principes définissant la raison, tandis que le
second porte sur la question du sens de cette chose et de ce processus.
Le sujet pose donc de manière négative le problème du rapport entre la raison et le sens : ce dernier est-il
réductible à la première? La raison fournit-elle les critères déterminant le caractère sensé de quelque chose?
On peut tout d'abord se demander s'il y a vraiment d'autres critères du sens que ceux suggérés par la raison : seul
est sensé ce qui est justifié, et la justification est par essence rationnelle.
Mais la question du sens ne se réduit pas
à la justification ni à la raison : elle concerne notre existence elle-même et obéit à des principes irréductibles à ceux
de la raison.
INTRODUCTION
Seule la conscience humaine saisit du sens dans les événements, parce qu'elle est apte à en produire.
On dit
volontiers que l'être humain possède une raison — mais on sait par ailleurs qu'il n'en fait pas toujours usage.
Ignorer
la raison et ses exigences, est-ce nécessairement produire du non-sens? L'irrationnel est-il toujours absurde?
I.
Repérage des concepts
Si l'on doit à l'existentialisme un usage fréquent du terme «absurde», cela ne signifie pas nécessairement que
l'absurde n'existait pas antérieurement.
Pour Sartre, est absurde ce qui apparaît sans justification (l'existence ellemême, par exemple), et ce qui n'expose donc aucun sens, aucune finalité.
On peut s'autoriser à étendre un peu la portée du terme : l'absurde désignerait ainsi ce par rapport à quoi toute
interrogation sur le sens apparaît inutile ou vaine.
II.
L'irrationnel est historiquement variable
En confondant ces deux acceptions, la mentalité classique, armée d'une raison volontiers tenue pour
transhistorique, pouvait affirmer sereinement l'absurdité de l'irrationnel, ou son aspect irréductible (ainsi, les premiers
mathématiciens grecs, découvrant les nombres irrationnels, auraient-ils jugé préférable de ne pas en révéler
l'existence, tant ils leur paraissaient «choquants»).
A en croire le titre d'une célèbre gravure de Goya, «Le sommeil de la raison engendre des monstres»: le rêve est
absurde, et il devient dès lors inutile d'en chercher avec quelque sérieux la signification (ce qui n'empêchait, pas la
prolifération de multiples «Clefs des songes depuis Artémidore d'Éphèse, mais elles étaient bonnes pour les gens
crédules et naïfs).
On connaît de même l'interjection de Descartes: «Mais quoi! Ce sont des fous!» — et la folie, qui semble à sa façon
réaliser le comble de l'irrationnel (puisque par définition, elle est déraison) ne profère que des discours absurdes
(autrement dit: insensés, hors de tout sens).
Il convient de rappeler (cf.
Bachelard) que la raison se modifie historiquement en fonction de ses propres
acquisitions scientifiques.
On peut ainsi considérer, comme le fait Lukacs, qu'un individu soutenant l'héliocentrisme
au xiie siècle aurait été considéré comme «fou» puisqu'une telle affirmation était incompatible avec la rationalité de
l'époque.
Inversement, le médecin qui, aujourd'hui, considérerait que le moindre rhume est une punition envoyée au
pécheur, risquerait, sinon d'être interné, du moins de manquer de patients...
L'évolution du savoir montre précisément que tout irrationnel n'est pas absurde: le travail de Freud a consisté à
montrer que le rêve a bien un sens, même si ce dernier n'obéit pas aux normes de la raison (et pour cause! s'il est
vrai que l'inconscient ignore le principe de non-contradiction qui fonde au contraire la rationalité quotidienne).
De
même, on admet volontiers aujourd'hui que la folie — déraison — produit du sens — même s'il demeure difficile à
expliciter.
Cf.
Merleau-Ponty: «La volonté d'appliquer la raison à ce qui passe pour irrationnel est un progrès de la
raison.
»
Pour confirmer cette variabilité des critères d'appréciation de l'irrationnel et/ou de l'absurde, il suffit de noter que,
dans notre société, un comportement obéissant à un certain type de rationalité peut sembler « fou » ou absurde
d'un point de vue différent : ainsi quelqu'un d'étranger au marché de l'art (et à ses aspects économiques) peut-il.
»
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