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L'illusion du « déjà-vu ». ?

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« Explication des termes: ILLUSION: 1) Toute erreur provenant de l'apparence trompeuse des choses (illusions perceptives). 2) Croyance ou opinion fausse abusant l'esprit par son caractère séduisant et le plus souvent fondée sur la réalisation d'un désir (Cf. l'analyse de Freud concernant la religion).

Contrairement à l'erreur, qui peut être corrigée, l'illusion survit à sa réfutation. Vous êtes dans un lieu, une pièce, un carrefour, une ville, et le spectacle qui s'offre à votre regard vous « dit quelque chose », vous laisse un goût étrange : il vous semble que vous avez déjà vécu ce moment (être là, de cette façon, en ce milieu, et voir ça), auparavant, mais vous ne pouvez savoir quand, ni où, justement, alors même que vous savez pertinemment n'y avoir jamais mis les pieds.

La « réalité » de votre existence rend impossible la reconnaissance au sens strict du lieu, et pourtant, l'impression demeure...

Freud, au chapitre XII de « La psychopathologie de la vie quotidienne », rapporte ainsi l'exemple d'une patiente qui, en visite, à l'âge de 12 ans, chez des amies pour la première fois, éprouva l'impression d'être déjà venue là, dans la maison et le jardin, jusqu'à pouvoir savoir et dire quelle pièce serait la suivante, quelle configuration elle aurait, quelle perspective on peut avoir de la fenêtre.

Troublant.

Mais constater un phénomène, ici un « souvenir » paradoxal, objet de ce qu'on appelle la « fausse connaissance », puisqu'il y a rappel de quelque chose qui n'a pas été connu, donc qui ne peut être re-connu, c'est en même temps en appeler à la question de sa causalité, de sa nature et de son origine : qu'en est-il justement de la reconnaissance dans le « déjà-vu » ? D'où vient cette « illusion » ? En est-ce d'ailleurs vraiment une ? Oui, sans doute, pour ma conscience en tant que conscience, si je « sais » que je n'ai jamais été à tel endroit, tout en éprouvant, avec la puissante force d'affirmation dont peut disposer ce genre d'impression en ces occasions, le sentiment qu'effectivement (nécessairement et évidemment) cette situation fut vécue par « moi ». Le sentiment du « déjà vu » est ainsi traité comme une illusion par la théorie psychologique commune, qui pense qu'il s'agit là de l'effet de juxtaposition ou de fusion d'une perception et d'un souvenir : l'esprit aurait reçu, perçu tant de formes et de figures diverses qu'il finit par s'opérer en lui des télescopages, des rencontres, des chevauchements, des coïncidences ; il les assimilerait à des ressemblances entre des situations voisines, contiguës et analogues, puisque l'abstraction de ses modes de représentation contribue à les associer fortement. Hypothèse « esthétique-plastique » qui postule le finitude des formes recevables par l'esprit et une possible saturation de ce dernier sur ce plan de la réceptivité.

La superposition survient alors nécessairement, de temps à autre, au hasard des rencontres. Or, ce sentiment du « déjà-vu » n'est plus une illusion pour certaines interprétations de la croyance naïve (par exemple la superstition, ce qui prouve que la superstition peut penser et faire preuve d'esprit...) et de quelques religions.

Ainsi, pour l'hypothèse métaphysicoreligieuse d'une vie antérieure de l'âme, le sentiment en question devient un signe : l'âme s'y souviendrait d'une expérience analogue à celle-ci, parce qu'elle aurait déjà vécu cette expérience-là.

Réponse mystique, sans doute naïve : le « déjà vu » serait preuve d'une existence antérieure de notre moi mental.

On sait combien une théorie de la métempsycose exige une théorie déterminée de la mémoire, de la remémoration et de la réminiscence.

En quoi le problème de la mémoire n'est plus seulement un problème psychologique (de l'ordre de la logique de l'esprit) : c'est aussi un problème métaphysique et ontologique (de l'ordre de la logique de l'âme et celle de l'Etre). En fin, pour la psychanalyse, le sentiment du « déjà-vu » constitue un objet d'interprétation tout à fait essentiel : il s'agit de résoudre l'énigme du phénomène et de son inquiétante étrangeté en prenant en compte les processus psychiques qui sont de l'ordre de l'inconscient, d'apporter une réponse métaphysique-psychologique qui énonce les conditions de possibilité de l'apparition et de la connaissance du phénomène en question.

Entreprise délicate, dit Freud parce que nous sommes en pleine « terra incognita » : les phénomènes psychiques de ce genre sont trop peu soumis à la science, et la censure commence justement avec l'exclusion de l'idée qu'ils sont intelligibles.

Il est vrai qu'ils sont difficiles d'accès, parce qu'ils se rapportent au sujet dans son aliénation, dans son « êtreautre » (d'où le sentiment d'étrangeté), et qu'ils mettent en cause l'identité de ce sujet, « selon les conditions affectives du moment ». Ainsi, reprenons l'exemple donné par Freud : la situation de la jeune fille présente une analogie forte avec celle des amies qui l'invitent ; celles-ci ont un frère malade et à l'article de la mort ; or, le propre frère de la fillette avait couru le même danger quelques mois auparavant ; il s'était tiré à grand-peine d'une diphtérie. Freud pense que l'angoisse de l'attente de la mort du frère a dû être refoulée après la résolution heureuse de la maladie, ou même simplement qu'elle n'a jamais été consciente, d'autant qu'à ce premier événement a dû s'associer un fantasme peu susceptible de parvenir jusqu'au conscient : le très secret désir de voir son frère mourir.

La situation où se produisit l'impression de « déjà-vu » était donc parfaitement propice à réveiller le souvenir d'un incident ancien réel, dont une partie était inconsciente.

L'analogie ne pouvait de ce fait devenir consciente, mais la conscience de l'analogie fut remplacé par cette « sensation d'avoir vécu tout cela ».

L'enfant transfère donc sa sensation de souvenir de la maladie du frère à la perception de la maison et du jardin, d'où le sentiment de « fausse reconnaissance ».

Il s'agit ainsi d'un phénomène de réactivation d'une impression inconsciente.

Même chose d'ailleurs, dit Freud, pour le « déjà-vu » dans les rêves : « Il y a des rêves de paysages ou de localités qui sont accompagnés de la certitude exprimée dans le rêve même : j'ai déjà été là.

Mais ce « déjà-vu » a dans le rêve un sens particulier.

Cette localité est toujours l'organe génital de la mère ; il n'est point d'autre lieu dont on puisse dire avec autant de certitude qu'on y a déjà été.

» (« L'interprétation des rêves »). On a donc tort de qualifier l'illusion ce sentiment : il s'agit réellement, dans ces moments, de quelque chose qui fut déjà éprouvé, mais qui ne peut faire l'objet d'aucun souvenir conscience, parce que le sujet n'en eut jamais conscience.

Il y a donc à la fois « fausse reconnaissance » et quelque chose d'une vraie reconnaissance.

Le problème de la mémoire est ainsi un des premiers problèmes de la psychologie des profondeurs, et Freud ne manquera jamais de réhabiliter toutes les expériences s'y rapportant, même les plus banales, puisque toutes ont un sens.. »

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