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L'HYPOTHÈSE ; SON ROLE DANS LES SCIENCES ?

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« Si l'hypothèse n'est qu'une conjecture.

distincte d'un savoir réel, il peut sembler que la science ait pour mission d'exclure les hypothèses, de les remplacer par (les certitudes : "Hypotheses non tango", je ne forge pas d'hypothèses, disait le grand Newton.

La science n'est-elle pas le royaume des vérités nécessaires, des affirmations incontestées ? Une telle image de la science est mythique.

même et peut-être surtout en mathématiques.

Aujourd'hui on parle communément — c'est une formule de M. Bouligand du « déclin des absolus mathématiques » et les « vérités » les plus simples apparaissent relatives à des hypothèses.

La somme des angles d'un triangle vaut-elle deux droits ? Oui, si vous admettez les hypothèses de l'axiomatique euclidienne, non si vous partez (les hypothèses de Riemann ou de Lobatchevski.

C 'est ainsi que les propositions mathématiques sont données de nos jours pour "hypothético-déductives".

V ous posez comme « hypothèse n un système d'axiomes, n'importe quel système d'ailleurs à la seule condition que les axiomes soient compatibles et indépendants, et également suffisants, c'est-à-dire que vous énonciez tous les axiomes nécessaires à votre travail de déduction: les axiomes énoncés, vous déduisez un ensemble de conséquences.

Si ces conséquences ont été correctement déduites on dira qu'elles sont vraies, c'est-à-dire cohérentes à l'intérieur d'un système d'hypothèses axiomatiques.

Dans ces conditions les mathématiques apparaissent beaucoup plus comme la science du possible que comme la science du réel.

Elles tirent des conséquences rigoureuses d'hypothèses qui demeurent toujours des hypothèses, et ressemblent à un édifice d'allure majestueuse mais qui ne serait ancré nulle part, « construction aérienne.

dit Gonseth, qui tient comme par miracle ». 'Tout au contraire, les sciences de la matière se présentent comme un effort pour connaître le monde réel.

comme une exploration de la nature.

C e sont.

diton souvent, des « sciences d'observation n, elles portent sur des « faits ».

Dès lors quelle place doivent-elles faire à l'hypothèse ? A ucune, répondent les empiristes qui voudraient que la loi scientifique surgisse toute formulée de la simple observation (les faits.

Pour les empiristes, il suffit de déchiffrer avec patience les rapports simples et constants qui sont d'abord dissimulés dans l'enchevêtrement confus de données sensibles.

Le pire ennemi du savant, c'est l'imagination.

C'est ce que Magendi disait à son élève Claude Bernard : « Laissez votre manteau et votre imagination à la porte du laboratoire ».

Déjà Bacon recommandait au savant d'attacher à son esprit non des ailes mais du plomb.

L'esprit devrait se faire purement passif.

purement réceptif ; il devrait laisser les faits s'inscrire en lui sans rien y mêler de lui-même. Les empiristes n'ont rien compris à la nature de l'hypothèse ; pour eux l'hypothèse est une simple conjecture et par là elle est moins que le fait ; en réalité, l'hypothèse est plus que le fait parce qu'elle est une explication intelligible des faits et comme a très bien dit Claude Bernard, « une interprétation anticipée et rationnelle des phénomènes de la nature ».

Car l'explication n'est pas donnée avec les faits, il faut qu'elle soit littéralement inventée par l'esprit : c'est ainsi que la pression atmosphérique est d'abord une hypothèse intelligible pour rendre compte de la hauteur des liquides dans les tubes où l'on a fait le vide ; c'est ainsi que la planète Neptune est une hypothèse de Le V errier pour rendre compte des mouvements aberrants d'Uranus.

Comme la pression atmosphérique.

Neptune est une exigence avant d'être une existence reconnue, un voeu de l'intelligence avant d'être un donné de l'expérience ; l'hypothèse apparaît donc comme le moteur de la découverte scientifique ; le savant ne répond pas directement et définitivement à la question « pourquoi » par une proposition affirmative.

Mais il procède par le détour d'une question nouvelle.

Il demande (pour reprendre l'expression de M.

Bachelard) : « Pourquoi pas ? » C 'est le savant qui va au-devant de la nature, qui risque une explication audacieuse, qui propose une hypothèse imprévue et (lui demande à la nature : Pourquoi pas ? Dans le domaine expérimental l'hypothèse n'a de signification scientifique que si elle est vérifiable.

Lorsque Newton rejetait les hypothèses il ne voulait exclure que les hypothèses métaphysiques stériles, parce qu'à jamais invérifiables ; l'hypothèse scientifique n'a qu'une portée instrumentale.

Il faut savoir la modifier, l'abandonner parfois après le verdict de l'expérience, "comme on change un bistouri émoussé".

dit Claude Bernard.

C ar si « l'idée dirige l'expérience ».

à son tour « l'expérience juge l'idée ».

La vérification de l'hypothèse est une opération plus ou moins compliquée.

Parfois la vérification est directe.

Ainsi les télescopes berlinois n'ont qu'à fouiller le ciel à l'endroit prévu par Le V errier pour découvrir Neptune.

Souvent on ne vérifie pas directement l'hypothèse mais seulement les conséquences de l'hypothèse.

Comme dit Claude Bernard, « on introduit l'idée anticipée dans un raisonnement en vertu duquel on fait des expériences pour la contrôler ».

Il s'agit des cas où la vérification de l'hypothèse n'est possible que par la médiation d'une déduction. C 'est de cette manière que Pascal vérifie l'hypothèse de la pression atmosphérique formulée par Torricelli : si vraiment c'est la pression atmosphérique qui explique que l'eau dans les pompes vides ne monte qu'à 10,33 m, que le mercure dans le tube à mercure ne monte qu'à 76 cm, alors la hauteur du mercure dans le tube expérimental devrait diminuer en raison directe de l'altitude (en même temps que le poids de la colonne d'air).

De l'hypothèse, Pascal a déduit une conséquence.

C 'est un raisonnement du type hypothético-déductif comme ceux que l'on rencontre en mathématiques.

Seulement tandis qu'en mathématiques le raisonnement hypothético-déductif se suffit à lui-même, dans les sciences de la matière, ce raisonnement est intégré à la conduite expérimentale dont il ne constitue qu'une étape.

La conséquence déduite de l'hypothèse doit être prouvée par l'expérience.

C 'est ainsi que le beau-frère de Pascal, Perier, magistrat à Clermont-Ferrand, monte au sommet du Puy-de-Dôme, Pascal lui-même au sommet de la Tour Saint-Jacques et ils vérifient que la hauteur du mercure dans le tube expérimental diminue effectivement avec l'altitude. Toutefois cette méthode indirecte ne peut pas vérifier absolument l'hypothèse, car je peux très rigoureusement déduire d'une hypothèse fausse une conséquence qui se trouve vraie pour d'autres raisons.

Si cet oiseau est un merle (hypothèse), il est noir (conséquence).

Or je vérifie qu'il est noir mais il n'est pas pour autant nécessairement un merle.

C 'est le piège du syllogisme de la deuxième figure dont la majeure (tous les merles sont noirs) et la mineure (cet oiseau est noir) ont le même attribut.

Je ne peux en tirer aucune conclusion positive.

En revanche si l'oiseau est rouge je pose avec certitude que ce n'est pas un merle.

La nature sait dire non à nos hypothèses, elle ne peut pas dire absolument oui.

Du moins est-il nécessaire, pour vérifier une hypothèse, de réunir un faisceau de preuves convergentes qui donnent à l'hypothèse le maximum de probabilité.

La lampe de mon bureau s'éteint brusquement ; je fais l'hypothèse d'une panne dans le secteur ; si cette hypothèse est juste, les ampoules des autres pièces seront également éteintes,, tout le quartier doit être plongé dans l'obscurité ; un coup de téléphone à l'usine électrique me donne encore une confirmation.

Mais à strictement parler je pourrais expliquer autrement toutes ces conséquences vérifiées que j'ai tirées de mon hypothèse.

Il serait théoriquement possible que toutes les lampes du secteur se soient trouvées usées au même moment, que mon correspondant téléphonique soit un mauvais plaisant, etc.

Seulement ce qui est théoriquement possible n'a pratiquement ici aucune probabilité et je peux considérer l'hypothèse comme vérifiée. C ependant, la conception rationaliste de l'hypothèse laisse un problème en suspens et c'est le problème de l'origine de l'hypothèse.

D'où vient l'hypothèse ? Il faut bien comprendre qu'ici l'imagination devance la logique : il y a une logique de la preuve, il n'y a pas une logique de l'invention.

Pasteur disait : « il faut tout essayer » et on sait que Kepler avait fait dix-neuf hypothèses sur la trajectoire de Mars et calculé le mouvement dans chacune d'elles avant d'établir que la vraie trajectoire de cette planète était une ellipse.

Il n'y a pas de recettes a priori pour faire de bonnes hypothèses ; parfois une connaissance très assurée des "acquisitions définitives" de la science est un obstacle à l'invention.

Einstein a dit que si Faraday avait découvert les lois de l'induction électromagnétique c'est parce qu'il n'avait pas reçu une culture universitaire approfondie... Toutefois on ne saurait assimiler l'acte d'inventer une hypothèse à un acte irrationnel.

L'hypothèse c'est malgré tout un pari en faveur de l'intelligible, d'une structure rationnelle des choses. Songeons à la classification chimique de Mendeleieff ; en comparant les poids atomiques de différents corps et en les rangeant selon un certain ordre, il montre que leur suite semble constituer une échelle.

Mais il y avait des cases vides.

D'où l'hypothèse qu'on pourrait peut-être les remplir en reconstituant expérimentalement ces espèces chimiques possibles.

L'hypothèse consiste toujours à compléter les données « mutilées » et « confuses » de l'expérience en les intégrant à un système intelligible.

Il s'agit d'enrichir de fondements rationnels ce monde empirique, ce monde de "conséquences sans prémisses" dont parlait Spinoza.

L'hypothèse consiste à inventer les prémisses absentes ; sans doute tout l'intelligible n'est-il pas réel et l'hypothèse demande à être vérifiée.

Elle n'en est pas moins cette lumière des possibles rationnels qui éclaire le savant à.

chaque pas de sa démarche, dans son exploration du inonde réel.. »

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