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L'homme peut-il se contenter de travailler en vue du seul gain ?

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« introduction • Le sujet accédant aux valeurs se bornera-t-il, légitimement - quand il transforme le réel en vue de produire un résultat utile - à l'unique projet matériel et pécuniaire ? L'intitulé ici présenté nous questionne, on le voit, sur la légitimité d'une mise en forme du monde et des choses (puisque ainsi se définit le travail) qui vise essentiellement et uniquement le profit matériel et pécuniaire. Travailler en vue de quoi ? Par rapport à quelle finalité ? La question surgit de l'intérieur même de nos sociétés, du fond d'une culture qui pose l'équation travail/argent à partir d'une vision peut-être à courte vue.

Travailler, c'est coordonner ses activités en vue de produire un résultat utile et pour entretenir sa force de travail.

Cette coordination d'activité et cette extériorisation de forces sont-elles simplement des moyens de vivre ? On remarquera que l'intitulé du sujet est d'ailleurs gros de présupposés et d'intentions.

Loin d'être innocent, il présuppose quelque peu la réponse à la question : « Peut-il se contenter », nous dit-on.

« Se contenter de » implique l'idée de bornes, de limites, un horizon restreint...

La question nous invite, au fond, à nous interroger sur le caractère limité d'un travail uniquement lié au profit économique. • Quel est le problème soulevé par le sujet ? On peut l'appréhender à partir des interrogations qu'il suscite.

Le travail est-il pour l'individu le moyen de devenir une personne et d'édifier sa liberté ? Désigne-t-il seulement une nécessité et une contrainte, une fatalité économique qui échoit à l'homme ou bien représente-t-il le sens même de nos destins et de nous-mêmes ? En fait, constitue-t-il un élément quasi externe de la formation de la personnalité ou bien une structure constitutive de nous-mêmes ? Un accident ou bien une substance formatrice du sujet humain ? A.

Travailler en vue du seul gain semble légitime. L'homme peut-il se contenter de travailler en vue du seul gain ? La toute première réponse à la question posée exige un retour en arrière, de manière à mieux dégager et expliciter la nature du travail humain.

Qu'est-ce que travailler ? En quoi consiste ce processus par lequel l'homme humanise la nature et la transforme ? Il y a, dans cette idée de travail, un élément raisonnable et rationnel.

Quand l'homme travaille, il met à distance l'univers de la satisfaction immédiate, celui du plaisir, de la fête, de la jouissance, il canalise en quelque sorte toutes les puissances qui sont en lui pour les soumettre à la forme de la raison.

Oui, travailler s'inscrit au sein d'un projet rationnel et c'est le motif pour lequel, nous allons le voir, l'homme peut légitimement se contenter de travailler en vue du seul gain, tout au moins en première analyse.

En effet, travailler, c'est refouler l'univers des désirs immédiats et les soumettre à la rationalité, maîtriser les pulsions.

Or, on remarquera que, de ce point de vue, l'argent est éminemment formateur.

Il contribue à mettre à distance les éléments irrationnels de la vie.

Il organise raisonnablement notre existence dans le monde.

Oui, nous pouvons travailler pour l'argent seul, car ce dernier suppose l'apport d'une forme raisonnable dans le tissu irrationnel de la vie.

C'est bien ce que montre Georges Bataille, en son analyse du travail.

« Le travail exige une conduite où le calcul de l'effet, rapporté à l'efficacité productive, est constant.

Il exige une conduite raisonnable, où les mouvements tumultueux qui se délivrent dans la fête et, généralement, dans le jeu, ne sont pas de mise.

Si nous ne pouvions réfréner ces mouvements, nous ne serions pas susceptibles de travail, mais le travail réintroduit justement la raison de les réfréner.

Dès les temps les plus reculés, le travail introduisit une détente, à la faveur de laquelle l'homme cessait de répondre à l'impulsion immédiate, que commandait la violence du désir.

» (Georges Bataille, L'Érotisme, Minuit, p. 47). Pour Bataille, l'homme se définit par un double être de négation : il nie la nature, le donné naturel et se nie lui-même.

L'homme n'est pas un animal comme les autres puisqu'il ne se satisfait pas du donné naturel.

Lorsque Bataille dit qu'il le nie, il signifie qu'il le modifie, le transforme.

En d'autres termes, l'homme est un être qui se construit un monde.

L'homme est un être de technique qui n'est pas nécessairement adapté au monde qui l'entoure mais qui adapte ce monde à ses besoins.

Il y a donc une différence radicale entre le monde naturel et le monde culturel humain.

Mais cette négation ne porte pas simplement sur le monde extérieur, elle porte également sur l'homme lui-même puisque tout individu quitte cette naturalité première qui fait de lui simplement un être de besoins.

L'homme n'est pas qu'un être de besoins, en quoi son éducation fait qu'il ne vit pas seulement selon ses pulsions ; par exemple, l'éducation consiste à apprendre à vivre ensemble et donc à différer ses désirs.

Bataille montre alors le lien entre ces deux négations simplement parce que la négation du donné naturel est aussi négation de sa propre animalité. Il semble donc légitime de travailler en vue du seul gain, puisque l'argent et le profit donnent une forme raisonnable à notre existence. D'ailleurs, pourquoi ne travaillerait-on pas en vue de la seule rémunération ? La question posée sous-entend un certain mépris à l'égard de l'argent, ce moyen qu'ont les hommes d'échanger entre eux leur travail.

Mais, après tout, pourquoi le gain, le profit, la monnaie seraient-ils dédaignés ? Il y a de la joie dans l'argent, du plaisir dans la circulation de la monnaie.

L'argent est possibilité d'obtenir tout un monde de choses belles, utiles, que nous n'avons pas le droit de dédaigner.

S'il est raison, l'argent est aussi circulation joyeuse de valeurs.

Il est médiation bénéfique à l'existence. Et d'ailleurs, le seul gain, l'unique profit en lui-même nous permettent de vivre, d'entretenir notre existence et notre force de travail. Donc, le gain est denrée précieuse puisqu'il me permet d'exister.

Oui, je puis travailler pour le seul gain, et indépendamment d'une autre finalité, puisque le gain assure la survie de l'existence. Toutefois, on peut faire ici deux remarques.

Tout d'abord, si l'on travaille en vue du seul gain, il est bien vrai que l'on introduit dans sa vie un projet raisonnable, que l'on évacue une force violente, irrationnelle, liée au désir, à la mort, etc..

Mais travailler pour le seul argent, n'est-ce pas alors travailler pour l'accès à la raison et au projet raisonnable ? L'argent lui-même se trouve finalisé par rapport à quelque chose d'autre, qui est la rationalité. D'autre part, si l'homme se contente de travailler en vue du seul gain, ne se trouve-t-il pas arraché, par certains aspects, à la réflexion et à la pensée ? Quand le travail est subordonné au seul profit, l'homme n'est-il pas conduit, comme l'a bien montré Nietzsche, à être privé de méditation, de réflexion ? Paradoxalement, la rationalité recherchée se transmute souvent en une satisfaction médiocre et sans pensée.

« Dans les pays de la civilisation, presque tous les hommes se ressemblent maintenant en ceci qu'ils cherchent du travail à cause du salaire ; pour eux, tout le travail est un moyen et non le but lui-même ; c'est pourquoi ils mettent peu de finesse au choix du travail, pourvu qu'il procure un gain abondant.

» (Nietzsche, le Gai Savoir). Dès lors, il faut reprendre l'examen de la question et le problème.. »

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