l'homme est-il un être dénaturé ?
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«
Introduction
- L'homme est un être naturel, au sens où il a un corps et des besoins naturels.
-Mais en tant qu'être de culture, capable de développer une civilisation qui se coupe précisément des exigences
biologiques primaires (notamment par le développement des sciences et des arts), l'homme peut être envisagé selon
une coupure progressive par rapport à la nature originaire.
- L'origine majeure de la civilisation, chez l'homme, se situe dans le regroupement de divers individus en une
communauté politique organiquement organisée, propice au développement progressif de la rationalité : la raison
constitue donc une conséquence du regroupement politique des hommes.
- Or, quel lien y a-t-il entre la rationalité humaine et sa naturalité propre ? L'homme rationnel est-il un être dénaturé
? Ou bien la rationalité ne constitue-t-elle pas elle-même un élément parmi d'autres de l'essence naturelle de
l'homme ?
I.
La cité est permet à l'homme d'atteindre sa perfection naturelle (Aristote).
- Le tout précède la partie ; ainsi, la cité humaine précède chaque individu qui la compose, car elle en constitue la
fin la plus propre.
L'homme ne peut atteindre sa fin naturelle que lorsqu'il constitue une cité suffisamment
développée pour qu'elle atteigne l'état d'autarcie parfaite.
L'homme est alors réellement homme, il a rejoint sa nature
en ayant réalisé sa fin.
- La cité permet de garantir l'activité intellectuelle, en préservant les penseurs de toute préoccupation biologique.
La fin ultime de la cité, c'est donc l'accomplissement de la vie contemplative, par laquelle l'homme rejoint sa nature
d'être rationnel.
L'homme ne saurait donc être dénaturé au sein de la cité ; au contraire, celle-ci lui permet
d'atteindre son essence propre de rationalité, fixée en lui par la nature même.
C'est au second chapitre du premier livre de la « Politique » que l'on retrouve en
substance la formule d'Aristote.
On traduit souvent mal en disant : l'homme est un « animal
social », se méprenant sur le sens du mot « politique », qui désigne l'appartenance de l'individu à
la « polis », la cité, qui est une forme spécifique de la vie politique, particulière au monde grec.
En disant de l'homme qu'il est l'animal politique au suprême degré, et en justifiant sa position,
Aristote, à la fois se fait l'écho de la tradition grecque, reprend la conception classique de la
« cité » et se démarque des thèses de son maître Platon.
Aristote veut montrer que la cité, la « polis », est le lieu spécifiquement humain, celui où seul peut
s'accomplir la véritable nature de l'homme : la « polis » permet non seulement de vivre mais de
« bien vivre ».
Il affirme de même que la cité est une réalité naturelle antérieure à l'individu : thèse
extrêmement surprenante pour un moderne, et que Hobbes & Rousseau voudront réfuter,
puisqu'elle signifie que l'individu n'a pas d'existence autonome et indépendante, mais appartient
naturellement à une communauté politique qui lui est « supérieure ».
Enfin Aristote tente de
différencier les rapports d'autorité qui se font jour dans la famille, le village, l'Etat, et enfin la cité
proprement dite.
La cité est la communauté politique au suprême degré et comme elle est spécifiquement humaine,
« L'homme est animal politique au suprême degré ».
En effet la communauté originaire est la
famille : c'est l'association minimale qui permet la simple survie, la reproduction « biologique » de
l'individu et de l'espèce.
Composée du père, de la mère, des enfants et des esclaves, elle répond à
des impératifs vitaux minimaux, à une sphère « économique » comme disent les Grecs.
« D'autre
part, la première communauté formée en vue de la satisfaction de besoins qui ne sont pas
purement quotidiens est le village.
»
Il faut comprendre que famille et village sont régis par le besoin, par la nécessité naturelle de la vie, et ne sont pas propres à l'humanité.
Le cas de la « polis » est différent.
« Ainsi, formée au début pour satisfaire les besoins vitaux, elle existe pour permettre de bien vivre.
» Dans la
« polis » se réalise tout autre chose que la simple satisfaction des besoins : sa fonction initiale (satisfaire les besoins vitaux) découvre autre chose
de beaucoup plus important : non plus le vivre mais le bien vivre.
Non plus la simple vie biologique mais l'accès à la vie proprement humaine, qui
dépasse la sphère économique pour atteindre la sphère morale.
« Car c'est le caractère propre de l'homme par rapport aux autres animaux d'être le seul à avoir le sentiment du bien et du mal, du juste et de
l'injuste, et des autres notions morales, et c'est la communauté de ces sentiments qui engendre famille et cité.
»
Seule la cité, la « polis », transcende les simples nécessités vitales et animales et permet à l'homme d'accéder à sa pleine humanité.
Elle naît de la
mise en commun de ce qui est spécifiquement humain : la raison et les sentiments moraux.
Ainsi les modernes ont-ils tort de parler « d'animal
social » : ce qu'Aristote désigne est moins l'appartenance à une communauté quelconque, ou encore régie par des intérêts « économiques », que
l'accès à une sphère autre, seulement politique, et qui permet à l'homme de s'épanouir en tant qu'homme, de viser le bonheur, d'entretenir avec les
autres hommes des liens libres, libérés de tout enjeu vital.
Plus étranges peuvent paraître les deux autres thèses, liées, d'Aristote, affirmant que la cité est une réalité naturelle, et surtout, qu'elle est
antérieure par nature à l'individu.
Cela signifie que l'homme n'est pas autosuffisant : il n'est qu'une partie d'un tout : la cité, comme la mai est partie
du corps.
Pas plus que la main n'existe réellement sans le corps, l'individu humain n'existe sans la cité.
C'est d'elle qu'il reçoit son humanité, son
développement, son statut moral.
« Mais l'homme qui est dans l'incapacité d'être membre d'une communauté, ou qui n'en éprouve nullement le besoin, parce qu'il se suffit à luimême, ne fait en rien partie de la cité et par conséquent est ou une brute, ou un dieu »
Ne pas appartenir à la « polis », lei d'humanité, c'est être soit infra-humain, soit supra-humain.
L'exposé d'Aristote reprend la conception classique de la cité au sens grec.
La cité n'est pas un Etat (forme barbare pour les Grecs), elle n'est pas
liée à un territoire (comme aujourd'hui où la citoyenneté se définit d'abord par référence au sol, à la « patrie »).
La cité est une communauté.
»
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