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L'homme est-il un animal dénaturé ?

Extrait du document

« Introduction Dénaturer quelque chose, c'est l'altérer gravement.

On dit, par exemple, que le goût d'un plat a été dénaturé par l'ajout d'un ingrédient.

Le mot a aussi un fort sens moral.

Une personne dénaturée est celle qui n'éprouve pas, dans une situation donnée, ce que normalement un être doit ressentir.

C omme dans le premier cas, nous avons l'idée d'une modification importante qui a corrompu un état initial jugé sain.

C ependant, ce mode de pensée est-il applicable à l'homme ? Il défend une morale dont le fondement est à éclairer.

L'homme a-t-il une nature qui aurait été déformée au point de la corrompre ? Qui serait le responsable de cette dégradation ? Le propre de l'homme n'est-il pas plutôt la culture, c'est-à-dire un processus historique de transformation de soi et du monde ? La transformation est certes une altération mais il n'est pas dit qu'elle soit une déformation.

C es difficultés justifient la question posée : l'homme est-il un animal dénaturé ? 1.

Monde animal et monde humain A .

L'idée de dénaturation On dénature quelque chose en y introduisant un élément étranger qui en altère notablement la valeur.

C e vocabulaire s'applique aux aliments et aux boissons.

U n vin, par exemple, perdra s a saveur d'origine.

I I concerne aussi le langage.

Dénaturer un propos, c'est le rapporter en en modifiant profondément la signification.

I I peut même s'agir d'une inversion totale de son sens.

Enfin, une personne dénaturée est un être qui a subi de tels changements qu'elle réagit de façon opposée à ce qui devrait être.

Le point commun de ces trois occurrences est de souligner l'existence d'une violence corruptrice opérant un détournement de ce sur quoi elle porte.

La signification d'un discours, la destination d'un être sont contrariées et remplacées par d'autres qui, de ce fait, deviennent factices.

La corruption est donc l'agent d'une substitution illégitime.

La dénoncer devient non seulement une exigence intellectuelle — rétablir la vérité —, mais aussi un devoir moral — aider à restaurer la justice en dénonçant l'usurpation. B.

Instinct et culture L'application de ce mode de pensée à l'homme implique l'existence d'une nature initiale que nous évoquons généralement sous le terme d'animal.

Nous serions ou aurions été des animaux avant d'être ce que nous sommes aujourd'hui.

Qu'entend-on ainsi ? L'animal est l'individu dont la vie est réglée par l'instinct.

C elui-ci est plus ou moins rigide selon les espèces mais il désigne un mode d'action préformé qui adapte rapidement la bête à son milieu.

Hegel le compare à un « ouvrier sans conscience » afin de souligner son aspect dynamique et inné.

Dans L'Évolution créatrice, Bergson décrit les opérations par lesquelles la larve d'un insecte trouve sa nourriture en se faisant transporter par des abeilles dont elle pillera le miel.

La précision de sa conduite nous stupéfie car il est impossible qu'on la lui ait enseignée.

De ce point de vue, force est de reconnaître que la vie humaine s'oppose à celle de l'animal.

L'homme doit acquérir des savoir-faire par des exercices répétés sous la conduite d'un maître.

C 'est un être de culture.

Cette idée comporte trois caractéristiques majeures.

La création de signes linguistiques, d'outils techniques et d'institutions.

L e s animaux ne parlent pas, même s'ils communiquent, ils ne fabriquent pas d'instruments dont ils améliorent sans cesse les performances ni ne se donnent des constitutions pour bien vivre ensemble.

Leurs sociétés ne sont pas politiques. [Transition] La singularité de l'homme est de produire son milieu d'existence.

La culture est son oeuvre propre.

Peut-on dire alors qu'elle le dénature ? 2.

Sens et difficulté d'une morale naturelle A .

« Un animal dépravé » Il peut sembler étrange de parler de dénaturation à propos de l'homme.

C e terme paraît surtout révéler l'ignorance de ce qu'il est.

C e jugement s'explique cependant si l'on revient à son aspect moral.

L'instinct fait tourner l'animal dans le même cercle de besoins.

La sûreté de ses opérations est intimement liée à leur caractère borné et répétitif.

Inversement, la conscience donne à l'homme un champ d'action bien plus étendu en lui permettant de se représenter son environnement.

Le recul qu'elle donne ouvre la possibilité de la réflexion, « elle brise la chaîne », comme l'écrit Bergson, et l'homme peut s'élancer dans des entreprises toujours plus poussées de conquête et de maîtrise de la nature.

Cet avantage a toutefois un prix.

La simplicité des besoins est supplantée par la multiplicité sans limites des désirs.

Platon le montre déjà dans la République.

La société fondée sur les besoins naturels cantonne sa production et sa consommation dans les frontières du nécessaire.

L'intrusion des désirs se marque par l'apparition croissante d'objets inutiles à la stricte conservation de la vie.

La cité enfle et se gonfle d'humeurs.

Toutefois, c'est Rousseau qui formule la critique correspondant le mieux à notre thème.

L'hypothèse d'un homme naturel étranger à toute forme d'association durable lui permet de dénoncer les méfaits de la civilisation.

Rousseau souligne que beaucoup des maladies qui nous affligent sont notre oeuvre, étant donné l'ampleur des inégalités sociales et en déduit que « l'homme qui médite est un animal dépravé.

» La violence de cette formule est un rappel à l'ordre.

Nous avons perdu le lien à notre origine et la culture dont nous sommes si fiers n'est que l'expression d'un amour-propre qui nous rend malheureux.

L'homme civilisé s'angoisse, s'égare et devient « le tyran de lui-même et de la nature ». B.

La critique de l'origine Rousseau illustre son idée en comparant notre état à celui d'une statue qui aurait séjourné longtemps dans la mer.

Les algues et le sel ont déformé ses traits au point que l'on puisse douter qu'ils existent encore.

La vie animale est certes guidée par l'amour de soi, c'est-à-dire le souci de sa conservation, mais elle ignore l'amour propre qui pousse chacun à vouloir être préféré aux autres et à leur arracher une reconnaissance de sa supériorité.

Le point d'honneur est la source de violences directes ou sournoises car nous ne pouvons souffrir que l'autre ne nous donne pas des marques de respect. Retrouver l'origine revient donc à restituer la pureté d'une essence que l'histoire a recouverte.

Cette vision mérite toutefois d'être examinée.

Rousseau lui-même nous y invite en affirmant que l'homme se distingue de l'animal par sa capacité à se perfectionner.

L'homme est donc bien cet être qui, en réfléchissant ce qu'il fait, le transforme e t s e transforme inéluctablement.

Dès lors, a-t-il vraiment une nature animale qu'il aurait corrompue ? Que penser de notre nature s'il y a en elle de quoi la dénaturer ? Cette contradiction conduit à suspecter la thèse d'une origine dont nous nous serions malheureusement écartés.

Sartre soutient que l'homme n'a pas de nature car son existence est un projet permanent.

Le propre la vie humaine est de se dire à la première personne et chacun a la liberté d'interpréter le sens de sa présence.

A insi, la notion de dénaturation est la fiction d'une fausse morale qui opprime l'unicité de chaque homme sous un ensemble de valeurs historiquement déterminées.

Nous ne sommes pas des animaux qui ont mal tourné mais des sujets singuliers qui doivent assumer leurs choix et leurs évaluations. [Transition] Sartre pousse jusqu'à son terme un mouvement qui sépare ce qu'il y a d'humain en l'homme de toute référence à la nature.

C e mouvement n'est-il pas, à son tour, excessif ?. »

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