l'homme a-t-il besoin d'être dominé
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«
Introduction
Dans son Discours de la servitude volontaire, Etienne de La Boétie s'étonnait de ce que la plupart des hommes
obéissent à un seul, non seulement lui obéissent, sans y être contraints ni forcés, mais le servent, mais veulent le
servir ; aussi en concluait-il que «la seule liberté les hommes ne la désirent point, non pour autre raison, ce semble,
sinon que s'ils la désiraient ils l'auraient..
Dès lors l'on peut se demander pourquoi l'homme refuse ainsi la liberté, s'il
n'a pas un besoin d'être dominé.
1.
Liberté et besoin de domination dans la problématique socio-politique
a) Une question paradoxale
Être dominé par autrui, en un premier sens, c'est lui être soumis, voire lui être asservi.
C'est donc n'être pas libre.
Être libre, en effet, c'est vivre dans l'absence de dépendance par rapport à autrui.
Le prisonnier, par exemple, ou
l'esclave ne sont pas libres : ils sont dominés.
Il est alors paradoxal, voire incompréhensible, de soutenir que l'homme
a besoin d'être dominé, car cela signifierait que la liberté est pour lui un fardeau, c'est-à-dire quelque chose de
pénible, qu'il faudrait supporter ; or, c'est au contraire l'absence de liberté qui est, à première vue, vécue comme
une fardeau intolérable.
On pourrait même voir dans l'histoire dans l'histoire de l'humanité l'histoire d'une libération
progressive, de son émancipation des diverses sortes de dominations : abolition de l'esclavage, de l'absolutisme,
conquête des droits politiques, avènement de la démocratie, autant de faits qui semblent interdire de croire que
l'homme a besoin d'être dominer.
b) La proclamation de la liberté n'en est pas l'usage
• Sans chercher si la libération de l'humanité qui se manifeste dans le cadre de l'État n'inclut pas des formes
nouvelles d'asservissement qui en limitent la portée, on peut toutefois noter que la possibilité juridique, et même
matérielle de la liberté n'implique pas encore la pratique effective de cette liberté dans la vie quotidienne.
La
proclamation de la liberté n'en est pas l'usage.
Combien d'hommes pourraient être indépendants des autres et ne le
sont pas, observait Kant, parce qu'ils ne le veulent pas ; responsables de leur propre minorité, ils ont un livre qui
leur tient lieu d'intelligence, un médecin qui décide de leur régime, etc.
• D'où vient alors la volonté, qui demeure le plus souvent inavouée, de rester sous la dépendance, la domination des
autres ? Kant parlait de paresse et de lâcheté, de manque de courage, attitudes encouragées par ceux qui en tirent
profit, et il signalait que celui qui n'en a pas l'habitude peut craindre de marcher seul.
Dostoïevski fera dire au Grand Inquisiteur, beaucoup plus gravement, que «l'éternelle inquiétude de l'humanité —
individus et collectivité — [est de savoir] : «devant qui s'incliner ? Car il n'y a pas pour l'homme, demeuré libre, de
souci plus constant, plus cuisant que de chercher un être devant qui s'incliner.
(Les Frères Karamazov, V, 5).
Il
parlera explicitement de «ce fardeau terrible : la liberté de choisir».
• D'un fardeau, on se décharge si on le peut.
N'y aurait-il pas, par exemple, des bulletins de vote qui permettraient
de laisser à d'autres le soin de nous diriger ? Être conscient des sacrifices qui ont été faits pour acquérir cette
liberté politique ne devrait pas faire oublier que Rousseau voyait dans l'aliénation de la souveraineté du peuple
(l'élection du représentant détenant le pouvoir législatif), une menace permanente pour la liberté des citoyens : le
souverain (le peuple) «ne peut pas dire : «ce que cet homme voudra demain, je le voudrais encore., puisqu'il est
absurde que la volonté se donne des chaînes pour l'avenir.» (Contrat social, II, 1).
Sur le plan social et sur le plan politique, on peut ainsi soupçonner l'homme de préférer à une liberté qui pèse, la
dépendance à autrui, si son poids est moindre.
Ce ne serait pas la liberté qui serait toujours recherchée.
mais
«l'inquiétude» qui serait fuie.
La liberté peut être ce fardeau inquiétant que nous ne voulons pas porter.
On dit en ce
sens : « Il faut prendre ses responsabilités».
C'est qu'on n'y tient pas toujours.»
2.
La liberté, un fardeau métaphysique ?
Rousseau liait la liberté du citoyen à son humanité même : «renoncer à sa liberté, c'est renoncer à sa qualité
d'homme, aux droits de l'humanité, même à ses devoirs» (Contrat social, I, 4).
Se décharger du fardeau de la liberté
en désirant être dominé serait de la sorte abdiquer son humanité.
Doit-on dire de celle-ci qu'elle est un fardeau ?.
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