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L'historien peut-il établir avec certitude les causes d'un événement ?

Extrait du document

« Position de la question.

Expliquer un fait, c'est en donner les causes.

Mais comment s'applique cette notion de cause en histoire, comment s'y effectue la recherche des causes et quelle certitude peut-elle présenter ? I.

La causalité en histoire. A.

— Remarquons d'abord que le problème de la causalité se pose, en histoire, d'une façon toute spéciale Le fait historique est un fait singulier et daté : c'est un événement, et non, comme le fait scientifique, un phénomène général : « L'histoire, a écrit Paul VALÉRY, est la science des choses qui ne se répètent pas.

» — Il s'agit donc, en histoire, de déterminer da cause (ou les causes) d'un fait singulier.

Même si l'on considère, non un fait isolé, mais tout un ensemble d'événements, voire toute une période historique : la Révolution française, par exemple, ce qu'il s'agit d'expliquer, c'est une série d'événements situés dans le temps et acceptés avec toutes les particularités qui leur donne précisément leur couleur locale et historique. B.

— Or, la notion de cause a-t-elle encore un sens, si l'on fait abstraction de toute idée d'une relation générale P « L'établissement d'un lien causal, écrit le sociologue SIMIAND, implique une relation stable, une régularité.

Il n'y a cause, au sens positif du mot, que là où il y a une loi ».

En ce sens, le fait unique « n'a pas de cause, n'est pas scientifiquement explicable ». C.

— Les historiens, qui ne se résignent pas à ce que leur discipline ne soit qu'un tableau ou un récit, mais la veulent explicative, se sont efforcés cependant de donner un sens à la notion de causalité historique.

Ils ont été amenés de la sorte à établir certaines distinctions.

C'est ainsi qu'Henri BERR (La Synthèse en histoire, éd.

de 1953, p.

43 et suiv.) distingue : 1° la « causalité brute» qui porte sur les « faits contingents » : ceux-ci ne sont pas sans cause ; mais, comme ils ne se reproduisent pas identiquement, le rapport de cause à effet n'y est pas «instructif », il n'apprend rien pour les autres cas ; ces faits peuvent cependant être euxmêmes des causes et jouent un rôle important en histoire (Ouv.

cité, p.

52-53) ; — 2° la causalité légale » qui est la causalité scientifique et qui aboutit à des lois nécessitantes ; là seulement, on peut dire que «la répétition des causes entraîne la répétition des effets » ; mais cette causalité légale ne donne que le comment, non le pourquoi, et elle « escamote le nouveau », c'est-à-dire l'historique, plutôt qu'elle ne l'explique (Ibid., p.

46-48) ; — 3° la « causalité logique » dont le principe est « la tendance à être » ou « l'épanouissement de la vie, par la science, dans la Raison » ; elle fait appel à l'idée de valeur et seule elle nous donnerait vraiment le pourquoi, la raison des faits (Ibid., p.

218-221).

La synthèse historique devrait, selon H.

Berr, faire appel à ces causalités diverses et tenir compte de l'interaction (Ibid., p.

222) de ces causes.

— D'autres (par exemple, J.

WiLBOis, dans la Revue de Métaphysique et de Morale, 1929, p.

503) observent que le mot « cause » peut ici désigner : des éléments matériels, simplement conditionnants et, si l'on peut ainsi dire, «possibilisants » ; des éléments psychologiques, qui sont proprement causants ; des formes sociales, qui sont tantôt conditions, tantôt causes ; enfin des faits déclanchants, qui sont les faits historiques proprement dits et qui agissent en faisant cristalliser des tendances déjà prêtes.

— Il est impossible de ne pas remarquer le vague et l'arbitraire de ces distinctions.

Qu'est-ce, par exemple, que cette « tendance à être » dont parle 11.

Berr ? Pourquoi, selon J. Wilbois, les éléments matériels sont-ils de simples conditions, et les éléments psychologiques seuls de vraies.

causes ? Les deux seules notions claires qui nous paraissent ici à retenir, sont : 1° celle de ces « causes générales » dont parlait déjà MONTESQUIEU dans La Grandeur des Romains et qui l'amènent à affirmer, dans L'Esprit des Lois, l'existence de certains « rapports nécessaires » ; c'est ce qu'H.

Berr nomme la « causalité légale » ; 2° celle de certains « faits déclanchants » qui déterminent l'action de ces « causes générales » à un moment déterminé de l'histoire.

— Reste à savoir comment ces relations causales peuvent être découvertes et prouvées. II.

La recherche et la détermination des causes. A.

— Ici il faut avouer l'indigence des indications qui nous sont données pas les historiens.

Lorsqu'on affirme que les «faits contingents » jouent un rôle important en histoire, on ne nous dit rien des procédés grâce auxquels on pourrait établir ce rôle. Lorsqu'on nous parle de « faits déclanchants », on ne précise pas comment l'action de ces faits peut être décelée. B.

— Seul R.

ARON (La sociologie allemande contemporaine, p.

114 et suiv.), commentant les vues du sociologue allemand Max Weber, nous fournit ici quelques indications précises.

« L'histoire, écrit-il, n'atteint son but que si elle relie à une constellation unique le fait singulier que nous voulons expliquer.

A cette fin, une sélection parmi les conséquents et un découpage des antécédents sont indispensables.

» Ainsi, « la condition première d'une causalité historique, c'est la sélection ».

Cette sélection s'opère selon le schéma suivant : « Pour établir l'efficacité qu'il faut attribuer à un antécédent quelconque, nous le supposons par la pensée autre ou totalement disparu.

Nous tâchons alors d'imaginer, conformément à nos connaissances générales, ce qui se serait passé dans cette hypothèse.

Si le phénomène dont nous étudions la cause doit être conçu dans cette hypothèse comme transformé dans telle ou telle de ses parties qui nous intéressent, nous imputerons à l'antécédent considéré ces parties de l'effet. » Par exemple, si nous recherchons la signification de la bataille de Marathon, nous tâcherons d'imaginer ce qu'eût été l'évolution de la Grèce si les Grecs n'y avaient pas vaincu les Perses.

— Ainsi, ce serait par une simple expérience mentale qu'on pourrait parvenir, en histoire, à établir la liaison des causes et des effets.

Tout au plus ajoute-t-on que cette construction de l'imaginaire est rendue possible par «la méthode comparative » (Ouv.

cité, p.

116).

Mais, dans les sciences, l'expérience mentale sert uniquement à élaborer une hypothèse, et cette hypothèse est toujours soumise à vérification.

Ici la vérification fait totalement défaut.

On comprend que R.

ARON pose cette question : « [Ici] disposons-nous de règles d'expérience qui confèrent à nos constructions une probabilité suffisante ? » (Ouv.

cité, p.

118). C.

- En réalité, la méthode comparative doit être ici bien plus qu'un procédé auxiliaire : elle est la seule méthode d'établissement et de vérification des hypothèses causales dans les domaines où l'on ne peut pas expérimenter.

Mais elle aboutit à la « causalité légale », et H.

BERR lui-même (ouv.

cité, p.

113) reconnaît que celle-ci relève de la sociologie plutôt que de l'histoire. Conclusion.

L'établissement des causes et, par suite, l'explication, dans l'histoire proprement dite, — l'histoire événementielle, comme l'appelait P.

LACOMBE, — et même dans l'histoire des moeurs, des institutions, etc., relèvent davantage de l'intuition propre à l'historien que de procédés scientifiques : sa certitude n'est jamais parfaite.

La diversité des interprétations proposées par les historiens suffirait d'ailleurs à nous en convaincre.. »

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