l'étranger est-il un autre que moi ?
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Introduction
-Par définition, l'étranger est ce qui n'est pas moi, sans quoi il ne serait précisément par un étranger pour moi.
-Or, l'étranger n'est pas non plus un autre radicalement extérieur à moi, sans quoi il ne saurait non plus être jugé
comme étranger : en effet, un chien n'est pas jugé comme étranger par rapport à un homme, parce qu'il est
précisément radicalement autre, humainement parlant, par rapport à cet homme.
-Ainsi, comment définir l'étranger, s'il n'est ni le même que moi, ni un autre radicalement autre par rapport à moi ?
L'étranger, en raison précisément de cet entremêlement irréductible du même et de l'autre, ne constitue-t-il pas
précisément cela même à l'épreuve de quoi chaque individu peut mesurer sa propre humanité ? L'étranger n'est-il
pas, en vertu de son altérité constitutive même, la mesure de ma propre identité ?
I.
L'étranger est un étranger pour moi : il constitue l'altérité (Hegel).
La conscience, en tant que conscience pour soi, se pose comme négation de
ce qui n'est pas elle : elle se pose en s'opposant.
Ainsi, au début de son
mouvement dialectique, la conscience se pose comme pure négativité, elle
est une pure puissance de négation de ce qui n'est pas elle.
Ainsi, tout ce qui
n'est pas la conscience, c'est-à-dire précisément tout, puisque la conscience
ne constitue qu'une puissance de négation sans positivité propre, figure-t-il
l'étrangeté radicale par rapport au pour soi : ce qui n'est pas soi est autre
que soi.
-Cette figure de la conscience, ainsi analysée sur le plan strictement logique,
se retrouve sur un plan plus largement anthropologique : toute conscience va
considérer comme étrangère toute conscience extérieure à elle ; et cette
"étrangeté" va s'accompagner d'une considération de rejet : tout ce qui n'est
pas moi vaut moins que moi, pour prendre à rebours la fameuse réplique du
personnage de Victor Hugo, Hernani.
II.
Si l'étranger n'est que l'autre, il n'est même plus comparable à moi
(Lévi-Strauss).
-Toute civilisation, toute culture particulière est naturellement portée à juger
une culture étrangère à la sienne comme barbare, en tant précisément qu'étrangère.
Un village peut considérer les
habitants d'un village étranger mais situé à proximité comme des non-hommes, en raison de leur caractère
d'extériorité : l'inhumain constitue alors ce qui est extérieur à une communauté donnée.
L'étranger, comme autre et
comme rien d'autre que tel, est dépossédé de son humanité même : c'est là que prend son sens le terme de
"barbarie" pour juger l'étranger.
-Or, tout jugement de barbarie révèle une vision extrêmement ségrégative et exclusive, en ce qu'elle rejette comme
nulle toute perspective étrangère à la sienne ; en ce sens, le vrai barbare, c'est celui qui accuse l'étranger de
barbarie.
La tolérance constitue la médiation par laquelle on peut faire le deuil de notre tendance naturelle à la
barbarie.
L'étranger n'est donc barbare que si l'on est soi-même assez barbare pour croire que l'étranger est un
autre radical par rapport à soi : la barbarie, c'est faire le deuil en soi de la possibilité de s'identifier à ce qui n'est pas
moi, de considérer l'étranger autrement que comme autre.
«Habitudes de sauvages», «cela n'est pas de chez nous», etc.
Autant de réactions grossières qui
traduisent ce même frisson, cette même répulsion en présence de manières de vivre, de croire ou de
penser qui nous sont étrangères.
Ainsi l'Antiquité confondait-elle tout ce qui ne participait pas de la culture
grecque (puis gréco-romaine) sous le même nom de barbare ; la civilisation occidentale a ensuite utilisé le
terme de sauvage dans le même sens.
Or, derrière ces épithètes se dissimule un même jugement : il est
probable que le mot barbare se réfère étymologiquement à la confusion et à l'inarticulation du chant des
oiseaux, opposées à la valeur signifiante du langage humain ; et sauvage, qui veut dire «de la forêt»,
évoque aussi un genre de vie animale par opposition à la culture humaine.
Dans les deux cas, on refuse
d'admettre le fait même de la diversité culturelle; on préfère rejeter hors de la culture, dans la nature, tout
ce qui ne se conforme pas à la norme sous laquelle on vit." Claude Lévi-Strauss, Race et histoire (1970),
Unesco.
Ce que défend ce texte:
Claude Lévi-Strauss tente de montrer dans ce texte que la notion de « sauvage » qu'on oppose traditionnellement à
celle d'« homme civilisé », n'est qu'un mythe.
Certes, ce terme, qui dérive du latin silva, signifie au sens
étymologique « qui vient de la forêt », et évoque le genre de vie animale, comme dans l'expression « bête sauvage
», par opposition à la vie de l'homme dans des sociétés organisées par la culture.
Mais le mot « sauvage » fait l'objet d'un emploi révélateur qui ne concerne ni la vie animale ni même celle des
premiers hommes préhistoriques.
Il est utilisé en tant qu'il porte en lui un jugement de valeur péjoratif que l'on
retrouve également dans le mot « barbare »..
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