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l'État restreint-il la liberté individuelle ?

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« 1.

INTRODUCTION Il est difficile d'apprécier le rôle de l'État à partir des seules invectives du discours politique, sans s'interroger sur sa raison d'être.

Tantôt exalté, tantôt vilipendé, l'État fait l'objet des accusations les plus diverses, des louanges et des critiques les moins nuancées.

Gardien des libertés grâce à l'ordre qu'il maintient, ou au contraire fossoyeur de celles-ci pour la même raison, l'État semble présenter un double visage.

Peut-on s'en tenir à cette apparence contradictoire, qui fait de toute critique ou de toute apologie de l'État quelque chose d'ambigu ou d'abstrait, puisqu'on ne semble retenir alors qu'un cas de figure pour fonder le jugement de valeur ? Au-delà des circonstances particulières qui déterminent cette vision changeante ou incertaine des choses, et les opinions qui s'y attachent, la philosophie invite à examiner les questions à partir d'une réflexion sur les fondements de l'État, référant ainsi tout jugement porté sur lui à ce qui définit sa raison d'être, ou à ce qui devrait la définir, ce qui est souvent très différent.

Dans cette perspective, elle permet de situer rigoureusement l'une des questions les plus fréquentes et les plus essentielles : l'État restreint-il la liberté individuelle ? 2.

DÉVELOPPEMENT • Première partie : analyse du sujet Un examen de la formulation de la question fait apparaître d'emblée un statut différent des notions en jeu, telles qu'elles sont situées l'une par rapport à l'autre.

L'idée que l'État puisse restreindre la liberté individuelle présuppose que celle-ci existe, ou pourrait exister, avant l'intervention de l'État.

Si tel est le cas, comment la définir ? Par ailleurs, le caractère très général de la question permet d'envisager deux points de vue distincts.

On ne dit pas : «L'État restreint-il nécessairement (toujours) la liberté individuelle ?» ou encore «Tout État restreint-il la liberté individuelle ?» ; car alors serait en jeu une seule interrogation : celle qui porte sur l'essence de l'État et ses implications en ce qui concerne la liberté individuelle.

On ne dit pas non plus «Certains États restreignent-ils la liberté individuelle ? », car alors l'interrogation porterait seulement sur certaines réalités de fait, envisagées dans leur discordance par rapport à une réalité de droit, celle d'un État agissant conformément à son fondement, c'est-à-dire légitimement.

L'ambiguïté de la question conduit donc à une prise en charge des deux cas de figure, c'est-à-dire à la mise en oeuvre de la distinction du droit et du fait. Bien sûr, c'est de la définition même de l'État, et de la nature des exigences auxquelles il doit répondre que dépend pour une large part la réponse à la question.

Ensemble d'institutions et d'organes de pouvoir qui se tient (latin = stat) en face de la société civile, l'État est en effet l'objet de perceptions diverses qui faussent souvent la définition qui peut en être donnée, notamment à la faveur d'une confusion fréquente entre le droit et le fait : tantôt pensé comme la forme même que prend la communauté humaine lorsqu'elle se saisit dans son unité et sa nécessaire cohérence, tantôt appréhendé comme instance «extérieure» qui s'imposerait à la société sans procéder d'elle.

L'opposition de ces deux «figures» ne relève-t-elle pas d'un processus à expliquer ? Quant à la liberté individuelle, elle doit être envisagée elle aussi en sa spécificité.

Pouvoir d'agir reconnu en droit et/ou effectivement mis en oeuvre, la liberté peut se dire d'un individu ou d'un groupe, mais aussi se diversifier en fonction des types d'action en cause : liberté de penser, de se déplacer, de s'exprimer, de décider de ce qui importe à la conduite de l'existence en étant son propre maître.

La liberté individuelle est propre à l'individu en tant que tel, c'est-à-dire en tant que sujet unique reconnu irremplaçable, auteur singulier de ses pensées et de ses actes, pour lesquels il dispose d'une sphère personnelle.

Affirmer la liberté individuelle, c'est se référer à cette sphère d'action propre à l'individu, et en poser la valeur distinctive.

Comment la délimiter, et dans le cadre de quelles exigences ? Question décisive impliquée dans le sujet. Esquissons la démarche de réflexion.

Il faudra, dans un premier temps, se demander quelle peut être cette liberté individuelle qui préexiste à l'intervention de l'État, et réfléchir sur ses éventuelles limites, voire sur le sens problématique qui peut être le sien.

Dans un deuxième temps, les fondements de l'État seront envisagés en relation avec les analyses précédentes, et dans la perspective d'une éventuelle redéfinition de la liberté individuelle.

Dans un troisième temps, la distinction du fait et du droit sera mise en oeuvre pour savoir si la réalité effective des États correspond toujours à la fonction idéale qu'ils sont censés remplir.

Dans cette perspective, on se demandera ce que devient la liberté individuelle lorsque l'État usurpe ses fonctions et ne joue pas le rôle qu'il devrait jouer. • Deuxième partie : quelle peut être cette liberté individuelle «préexistant» à l'État? La première détermination qui survient est celle d'un individu ne rendant de comptes qu'à lui-même, et disposant d'une sphère d'action limitée par les seules bornes de ses propres forces.

Mais est-ce bien une référence pour la vie sociale? Dans l'hypothétique état de nature ou dans la configuration imaginaire de ce que peut faire un individu, le droit de faire se confond avec le pouvoir effectif de faire : chaque individu dispose d'une liberté strictement proportionnelle à sa force. Besoins et désirs individuels trouvent à se satisfaire dans les limites ainsi définies.

On saisit tout de suite les «avantages» et les «inconvénients» d'une telle condition, à supposer qu'elle ait existé.

La «loi de la jungle» permet au plus fort de s'affirmer, tant du moins qu'il peut faire valoir sa force ; elle met le plus faible à la merci des autres.

Les seules «libertés individuelles» pouvant s'accomplir dans un tel contexte sont celles de certains individus.

Elles sont d'ailleurs elles-mêmes précaires dans la mesure où elles relèvent d'un rapport de forces dont rien ne permet de dire qu'il se perpétuera indéfiniment.

Rousseau soulignait, dans le livre I du Contrat Social (chapitre 3) les contradictions de l'expression «droit du plus fort».

Hobbes, quant à lui, essayant d'interpréter en en déployant les implications la figure d'une liberté individuelle naturelle, pensait qu'à l'état de nature, la tendance dominante est celle de l'affrontement permanent des forces individuelles, état intenable de guerre de «tous contre tous» où le plus fort lui-même n'est jamais certain de maintenir indéfiniment sa domination.

Quelles que soient les caractérisations de cette condition (insuffisance des forces individuelles isolées pour subvenir aux besoins ou insécurité permanente) elle ne peut se perpétuer telle quelle.

Ses «limites» obligent à concevoir une autre situation et du même coup à redéfinir, sans doute, la liberté individuelle.. »

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