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L'État est-il nécessaire parce que les hommes manquent de morale ?

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« [Introduction] Parce que nous en connaissons quotidiennement la présence, nous oublions volontiers que la construction de l'État est historiquement tardive.

Mais, une fois établi, l'État a trouvé de nombreux théoriciens, pour le justifier et montrer à quel point il est nécessaire à la vie harmonieuse des hommes.

Parmi ses justifications possibles, on peut se demander si sa nécessité est due à l'absence de morale des hommes.

L'État, en effet, marque sa présence par des institutions, en particulier juridiques, qui sont faites pour protéger et, éventuellement, sanctionner.

Cela suffit-il pour moraliser les hommes ? Et la morale ainsi produite est-elle suffisante ? [I.

Amoralité première de l'homme] Admettre que l'État serait nécessaire parce que les hommes manquent de morale, c'est admettre qu'initialement, l'homme est mauvais.

Inutile de se poser la question rituelle « Est-il bon ? Est-il méchant ? », elle est déjà tranchée : il est méchant. C'est bien une telle conception que l'on rencontre chez Hobbes, et elle aboutit en effet à considérer que l'État, en tant que structure qui écrase les désirs ou rancoeurs des individus, est absolument nécessaire à l'établissement de la pure et simple paix civile.

Pour Hobbes, l'homme « naturel » n'est animé que de pulsions profondément égoïstes qui génèrent des conflits constants avec les autres.

Laisser cet homme obéir à de telles impulsions ne peut le mener qu'à sa propre disparition, puisque le jeu des haines, des jalousies, des vengeances, la concurrence permanente dans la quête des tous les « pouvoirs » possibles, n'en finissent pas de multiplier les conflits.

C'est pourquoi une « communauté » doit remettre sa survie entre les mains du pouvoir le plus fort possible, dont le premier effet est d'instaurer une égalité radicale en faisant disparaître la possibilité des revendications individuelles.

Mieux vaut alors, pour Hobbes, le pire des tyrans, et le plus injuste, qu'un État accordant à ses sujets le moindre soupçon de liberté : ils en profiteraient pour retomber aussitôt dans l'alternance des guerres privées. La moralisation est ici élémentaire, mais d'une importance capitale puisqu'en son absence, aucune concorde n'est possible : elle consiste simplement à amener les hommes à coexister paisiblement sous l'autorité de l'État. À cette version très pessimiste et favorable aux pouvoirs les plus absolus, Mandeville ajoute, avec sa Fable des abeilles, une variante plus souriante.

Admettant, comme Hobbes, que l'homme n'est d'abord animé que de passions mauvaises, il conçoit que ces dernières peuvent cependant produire des résultats positifs si elles sont correctement orientées.

i ' appartient alors au pouvoir de décider de cette orientation en mettant en place une bonne organisation du travail et des échanges : l'égoïsme de chacun sera satisfait dès lors que la production et le commerce pourront se développer, et les pulsions malsaines seront converties en vecteurs de progrès collectif.

Autrement dit, c'est la ruche qui civilise les abeilles.

Cet éloge de l'échange généralisé préfigure sans doute les théories de l'économie libérale, mais surtout, il articule adroitement égoïsme et vie collective, en sorte que l'homme se trouve amené, pour ainsi dire sans le vouloir, à se comporter comme il faut pour le bien de tous.

L'État apparaît ainsi comme structurant les initiatives : non seulement il impose la paix mais, de surcroît, il favorise l'enrichissement, qui constitue sans doute un objectif suffisant pour que chacun comprenne qu'il a intérêt à respecter les lois. [II.

Amoralité constante de l'homme] En effet, l'État n'est peut-être pas seulement nécessaire pour moraliser initialement les hommes.

Encore faut-il garantir que leur conduite soit en permanence conforme au « bien ».

Or, toute collectivité voit se développer en elle des comportements irréguliers ou illégaux : il y a toujours des « hors la loi », et il semble qu'aucune société ne puisse se vanter de l'in-existence, en elle, de délits multiples.

De ce point de vue complémentaire, l'Etat a l'avantage de mettre au point une institution juridique ayant précisément pour fonction de garantir le respect des lois, ou, dans les cas où elles sont transgressées, de punir ceux qui ne les respectent pas. Cela indique que ce n'est pas l'existence même de l'État qui moralise suffisamment les hommes, dans la mesure où il est nécessaire de confirmer en permanence cette moralisation, qui apparaît en effet fragile et toujours susceptible de faire défaut.

C'est que peut-être, comme le souligne Georges Bataille, toute loi appelle d'elle-même sa propre transgression. Affirmer, même avec l'autorité de l'État, que tel comportement est admis alors que tel autre ne l'est pas, c'est susciter le désir d'enfreindre l'interdit, qui définit de lui-même la possibilité de sa transgression. Dans de telles conditions, l'État est nécessaire pour réprimer.

Sa loi, qui vaut pour tous ses membres, ne supporte par nature aucune exception, et l'institution juridique punit au nom de l'État, c'est-à-dire au nom de tous les citoyens réunis par leur égalité devant la loi.

Mais on sait que l'opération doit être inlassablement répétée, parce que renaissent inlassablement d'autres délinquants. Quant à ceux qui se comportent respectueusement par rapport à la loi, il resterait à prouver qu'ils agissent bien de la sorte par volonté morale. Kant signale que, du point de vue de la moralité, il est toujours difficile de savoir si un individu agit « par devoir » ou, plus simplement, « conformément au devoir ».

Sa remarque est aussi valable dans le cadre de la loi de l'État : est-ce par respect de la loi que j'attends au feu rouge, ou par simple « peur du gendarme » ? Est-ce parce que je sais que l'État attend de moi le respect de la propriété privée que je ne suis pas cambrioleur, ou, moins noblement, parce que j'ai peur de me faire prendre sur le fait alors que je ressens fortement l'envie de visiter sans invitation la propriété de mon riche voisin ? L'État n'a sans doute pas à se soucier de telles distinctions : ce qui lui importe, c'est que chacun, vu de l'extérieur, respecte la loi, même si ce n'est que par un conformisme qui suffit en effet pour garantir la possibilité et le maintien de la vie collective.. »

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