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Les hommes désirent-il que ce dont ils manquent ?

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« VOCABULAIRE: BESOIN: Ce qui est nécessaire à l'existence, à la conservation ou au développement d'un être vivant. En dehors des besoins strictement vitaux (boire, manger, dormir), on peut identifier chez l'homme des besoins spirituels et moraux (aimer, être aimé, être reconnu, etc.) dont semble dépendre son épanouissement. DÉSIR : Tension vers un objet que l'on se représente comme source possible de satisfaction ou de plaisir.

Comme objet, c'est ce à quoi nous aspirons; comme acte, c'est cette aspiration même. Le désir se distingue de la volonté, qui n'est pas un simple mouvement mais une organisation réfléchie de moyens en vue d'une fin.

Le désir peut aller sans ou contre la volonté (un désir, par exemple, que je sais interdit et que je ne veux pas réaliser); la volonté peut aller sans le désir (la volonté d'ingurgiter un médicament quand, pourtant, je ne le désire pas). Finalement, on peut dire que vouloir, c'est désirer au point d'agir effectivement pour atteindre ce qu'on désire.

C e qu'on veut, c'est toujours ce qu'on fait, de m ê m e q u e ce qu'on fait, c'est toujours ce qu'on veut.

On peut finalement considérer la volonté comme une espèce de désir, c'est-à-dire comme le désir dont la satisfaction dépend de nous. Toutefois, soutenir que nous ne désirons que ce dont nous avons besoin, c'est peut-être se laisser abuser par la ressemblance structurelle que l'on peut observer entre l'état de besoin et celui de désir : s'il faut bien d'une part remarquer que l'état de besoin comme le désir s'apparentent en cela qu'ils sont tous les deux l'effet d'un manque par rapport à une fin, rien n'indique d'autre part que l'apparentement soit total, rien n'assure que par-delà cette ressemblance, les fins propres à l'état de besoin coïncident avec celles propres au désir.

Ce pour quoi je désire est-ce aussi ce pour quoi je suis dans l'état de besoin? Ce qui me manque et provoque en moi l'état de besoin, est-ce aussi ce qui me manque en déterminant mon désir? Rien n'est moins sûr. Que le désir soit l'effet d'un manque par rapport à une fin n'implique nullement que le désir soit à ce titre engendré par l'état de besoin. Tout au contraire, on peut soutenir que ce sont nos désirs qui parce qu'ils sont l'effet d'un manque créent un état de besoin.

Le désir, non seulement peut se distinguer de l'état de besoin, mais en outre, il peut aussi être premier et déterminer l'état de besoin, le provoquer. C'est parce qu'on a des désirs qu'on a des besoins, et non l'inverse.

C'est parce que je désire être heureux que j'ai des besoins, que j'ai besoin des belles et bonnes choses qui me rendront heureux et non l'inverse.

L'état de besoin apparaît ainsi comme la conséquence du désir.

Ce qui signifie que ce que je désire, je n'en ai pas besoin, du moins je n'en avais pas besoin avant de le désirer.

Ces belles et bonnes choses, je pouvais m'en passer, ne pas en avoir besoin, tant que je en les désirais pas ou, ce qui revient au même, je pourrais m'en passer si je ne les désirais pas.

Elles ne me deviennent nécessaires que parce qu'il se trouve que je désire être heureux. Ce qu'il faut soutenir donc, c'est que je ne désire pas que ce dont j'ai besoin, mais à l'inverse que j'ai besoin de ce que je désire parce que je le désire et seulement pour cela.

Le désir est premier et c'est par rapport à lui que l'état de besoin surgit.

C'est cet état qui est subordonné au désir en réalité et non l'inverse.

Paradoxalement, la confusion qu'on peut observer entre l'état de besoin et le désir en fournit une confirmation : on la comprenait comme la preuve d'une identité entre le désir et l'état de besoin, mais confondre besoin et désir indique au moins autant que nos désirs peuvent engendrer des besoins.

Si j'ai besoin d'être aimé ou reconnu, c'est d'abord parce que je désire l'être et que ne l'étant pas ou pas assez, j'ai fini par en avoir besoin.

De plus, comment expliquer autrement l'existence de besoins dits sociaux, c'est-à-dire de besoins qui nous sont inspirés non pas par notre nature biologique, mais par notre appartenance à la vie sociale et économique et à l'offre d'objets, si ce n'est par le désir de les posséder? Puisqu'avant de nous être offerts, on pouvaient vivre sans ces objets, c'est donc que nous n'en avions pas besoin, mais puisqu'une fois qu'ils le sont, nous nous découvrons le besoin de les posséder, c'est donc que nous les avons désirés de telle sorte qu'ils ont fini par engendrer un état de besoin.

On pourra toujours trouver de tels désirs vains, comme le fait Epicure lorsqu'il distingue les désirs nécessaires et naturels des désirs non nécessaires et non naturels, comme le désir de faire bonne chère, ils n'en sont pas moins des désirs et des désirs qui finissent par engendrer des besoins en créant un état de manque.

L'état de besoin est l'état dans lequel nous plonge un désir exaspéré, frustré.

La nécessité de faire cesser l'état de besoin n'est pas biologique, elle est engendrée par un désir. Allons plus loin : si le désir est premier et engendre un état de besoin, c'est-à-dire un état de manque par rapport à une fin déterminée par le désir lui-même, il n'est peut-être pas exact de réduire le désir à l'effet d'un manque, comme le fait Platon.

S'il peut être pertinent de le penser de cette manière, il apparaît néanmoins qu'il déborde le cadre fixé par le couple de notion manque et finalité.

Ce qui signifie que loin d'être toujours l'effet d'un manque, il semble surtout être la cause d'un état de manque qui coïncide précisément avec l'état de besoin.

Mais dans ce cas, on peut expliquer le désir indépendamment d'un état de manque, on peut dire que le désir n'est pas lié à un manque par rapport à une fin imposée par ma nature d'homme ou par des exigences sociales, mais qu'il est souverain, qu'il fixe ou pose souverainement les fins qu'il vise.

Or, précisément, cette nouvelle définition du désir est celle qu'en donne Spinoza, dans L'Ethique.

Si je désire quelque chose, ce n'est pas parce que je juge la chose que je désire bonne en ce sens qu'elle m'est utile pour être heureux ou en ce sens qu'elle me fait défaut, mais c'est parce que je la désire que je la juge bonne.

Le désir est souverain, c'est lui qui détermine la valeur des choses : il en accorde à celle qu'il vise et en refuse à celle qu'il dédaigne.

De ce point de vue, il est possible de radicaliser ce que nous soutenions précédemment : si le désir est souverain, il ne se définit pas comme l'effet d'un manque, mais au contraire provoque cet état de manque qui a pour autre nom l'état de besoin.

C e n'est que par rapport à lui qu'il y a besoin et finalité et relativement à un désir qui lui est entièrement maître des fins ou des objets qu'il vise. Qu'est-ce que cela change de déclarer le désir souverain et non déterminé par un manque? Cela implique que les fins du désir ne sont pas nécessairement centrée sur mon être, m a personne, qu'elles peuvent être d'un tout autre ordre que des fins internes, qu'elles peuvent être externes, sans rapport avec moi.

Or, n'est-ce pas ce qu'on observe? Si le désir est bien souvent désir d'être heureux, il peut aussi bien être désir de changer le monde, de créer une oeuvre, de conquérir de nouveaux espaces, mais aussi désir de l'impossible, de retrouver une jeunesse ou une santé qu'on a perdu pour toujours, de rencontrer un prince charmant, de gagner au loto sans jouer...

Les fins que le désir peut poser souverainement sont libres de toute limitation au point de sembler parfois totalement folles.

Mais qu'est-ce que ce genre de fins? Quelles sens ont-elles? Ces désirs visent tous des fins qui sont au-delà du présent, du monde tel qu'il est, du possible même.

Ce qui signifie que si elles ne proviennent pas d'un état de manque ressenti par le sujet qui désire, elles s'expliquent toutefois toujours par l'idée de manque : ce qu'elles indiquent, ce qu'elles expriment, c'est que le monde qui nous entoure manque de quelque chose, qu'il n'est conforme à ce qu'on attendait de lui.

S'il y a manque ici, c'est du côté du monde et non en le sujet qu'il se trouve.

Ces désirs visent par-delà ce qui est, un autre chose qui n'est pas ou pas encore et qui semble manquer à ce qui est, lui faire défaut.. »

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