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Les passions ont-elles leur langage ?

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« Introduction Sans doute une passion veut-elle se dire : la colère a ses cris, l'amour ses déclarations, le chagrin ses plaintes.

Loin que ces manifestations soient subsidiaires, ce sont elles qui, souvent, entraînent le sentiment ou au contraire le répriment : la promesse soutient l'amour aussi sûrement que les pleurs soulagent la peine.

Pourtant cette adéquation ne se vérifie pas toujours et, parfois, à vouloir dire sa passion, « on s'expose à jouer de mauvais personnages' ».

Le paradoxe veut alors que l'on cherche ailleurs le langage qui convient : Alceste recommande à Oronte, plutôt que son sonnet, une « vieille chanson », de propriété publique, dont le style est certes discutable, mais où, dit-il, « la passion parle [.:.] toute pure ».

Toutefois, rien n'est sûr encore ; l'« atrabilaire amoureux » finit en amant éconduit et non en Dom Juan.

Les passions ressurgissent, en négatif, et restent en souffrance sous un masque extérieur.

Les passions ont-elles, dès lors, leur langage ? Le problème est en réalité multiple.

Le possessif, « leur », répondant au pluriel, « les », rappelle que l'on peut entendre la question en un sens distributif ou non : à chaque passion son langage ou à toutes les passions un langage ? La difficulté se divise encore puisqu' il s'agit ensuite de savoir soit ce qui permet, dans la première hypothèse, de conserver un nom commun (« passions ») aux différents idiomes, soit à quel autre type de langage s'opposerait, dans la seconde hypothèse, le langage des passions.

Même la réponse négative ne lève pas les difficultés, puisqu'il faudrait encore décider si les passions sont condamnées au mutisme ou si un langage, possible et impersonnel à la fois, leur est malgré tout offert en partage. 1.

L'échec d'une grammaire pure des passions A.

« déchiffrer » les passions Toute passion induit une sorte de structure grammaticale : il y a en elle un sujet, un objet et un mouvement que peut définir un verbe (aimer, haïr, vouloir, espérer, etc.).

Mais, dira-t-on, que faire d'une grammaire dont aucun terme n'est fixé ? De fait, le sujet est soumis aux aléas de sa « constitution » et de son « éducation' », qui le font varier, l'objet n'a rien de déterminant (le mondain aime la compagnie des hommes autant que le misanthrope la rejette) et la copule n'a de valeur que si elle relie deux termes bien précis dans un ordre donné (tout amant n'est pas aimé).

Ainsi, malgré les apparences, il peut sembler difficile de fonder ici une quelconque logique.

Cela dit, la grammaire habituelle n'est pas plus formée à partir d'éléments fixes et invariables ; elle définit un rapport plutôt qu'un état.

Or, comme tel, le concept de grammaire s'applique bien à l'analogie que l'on constate entre les diverses passions.

Hobbes estime donc que les passions constituent un langage qu'il convient de « déchiffrer » pour comprendre la nature du genre humain : chacun (et tout particulièrement celui qui gouverne) doit agir à l'égard de celles-ci comme un néophyte confronté à une langue qu'il ignore.

Il faut en conséquence apprendre à « comparer » les diverses passions entre elles, pour ne pas s'exposer à « déchiffrer sans clé » leur langage, et pour finalement « découvrir » la nature de celui-ci.

Il s'agit là d'un véritable travail de traducteur, qui est une « tâche plus ardue que celle consistant à apprendre quelque langue [...] que ce soit! ». B.

L'ordre du discours La passion, toutefois, n'est pas tant soumise à un discours qu'elle n'en définit encore l'ordre.

Loin de favoriser un langage inarticulé, c'est elle qui distribue les propos qui la portent.

De fait, si on appelle « discours mental » « la succession d'une pensée à une autre », force est de constater qu'il existe deux types de « suites » : celle qui n'est pas « ordonnée par une pensée passionnée » et celle qui, s'appuyant sur les deux passions primitives que sont le désir et la crainte, se développe en un enchaînement logique de moyens à fins.

De plus, les rapports de la passion au langage opèrent aussi dans le « discours verbal », qui transforme l'enchaînement des pensées en suite de mots. Car si les hommes peuvent, suivant l'usage signifiant des mots, dirent ce qu'« ils conçoivent ou pensent », ils peuvent « aussi » exprimer ce qu'ils « désirent, craignent et toute autre passion qu'ils éprouvent ».

Passion et langage ne sont donc pas antithétiques ; il y a bien plutôt réciprocité de l'un à l'autre.

Mais puisque la réciprocité exclut l'univocité, Hobbes ne pas jusqu'à penser que tout langage est, en son objet, passionné.

La crainte et le désir se disent, certes, mais ils ne constituent pas à eux seuls tout le langage, qui sert aussi à concevoir et à penser.

Ce n'est qu'une certaine « sorte de paroles », et non n'importe laquelle ou toute, qui peut signifier « les inclinations, aversions et passions humaines ».

Il faut donc s'appliquer à délimiter le champ d'action de la raison d'une part et des passions d'autre part, qui diffèrent autant que s'opposent le calcul général et impartial et le calcul d'intérêt.

Les passions, qui sont un mouvement naturel et volontaire trouvant son origine dans l'imagination, requièrent donc un vocabulaire, une syntaxe, une grammaire qui leur sont propres. C.

L'alphabet des passions Sitôt dit cela, Hobbes affirme pourtant que « les manières de dire par lesquelles les passions sont exprimées sont pour une part les mêmes et pour une part différentes de celles par lesquelles nous exprimons nos pensées' ».

Certes, l'indicatif convient à toutes les passions, le subjonctif marque, lui, la délibération, l'impératif le désir et l'aversion, l'optatif la vaine gloire, l'indignation ou encore la rancune, et enfin, la forme interrogative traduit le désir de savoir.

Mais tous ces modes ne sont pas réservés au langage des passions, puisque la pensée rationnelle s'accommode également de certains d'entre eux.

Où se trouve dès lors la spécificité de l'hypothétique langage des passions ? Sans doute ce langage n'est-il, pour Hobbes, qu'une certaine modulation du langage en général.

La différence est alors minime et « les meilleurs signes de la présence des passions sont dans l'attitude, les mouvements du corps, les actions, les fins, les buts ».

Ces signes, il est vrai, sont depuis longtemps reconnus comme le véritable et seul discours des passions : la Première Renaissance déjà, sous l'impulsion d'Alberti, demandait aux peintres de rendre les mouvements de l'âme par les mouvements du corps.

Mais ce simple précepte ne suffit pas plus à l'affaire : toutes les figures archétypales que l'on peut proposer pour traduire les passions de. »

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