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Les mathématiques sont-elles la science de l'intuition ?

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Quel est le rôle de l'intuition dans les mathématiques ? Et d'abord que faut-il entendre par ce mot ? Est-ce le secours que je puis trouver au cours d'un problème dans tel ou tel élément sensible : ensemble de la figure ou ligne de construction que j'ai l'idée de mener ? Est-ce encore cette vue directe de la solution qui semble s'imposer à moi avec les caractéristiques de l'évidence ? C'est ce que nous essaierons de préciser dans un exemple concret très simple, celui de la démonstration du théorème suivant lequel la somme des angles d'un triangle est égale à deux droits.

« Quel est le rôle de l'intuition dans les mathématiques ? Et d'abord que faut-il entendre par ce mot ? Est-ce le secours que je puis trouver au cours d'un problème dans tel ou tel élément sensible : ensemble de la figure ou ligne de construction que j'ai l'idée de mener ? Est-ce encore cette vue directe de la solution qui semble s'imposer à moi avec les caractéristiques de l'évidence ? C'est ce que nous essaierons de préciser dans un exemple concret très simple, celui de la démonstration du théorème suivant lequel la somme des angles d'un triangle est égale à deux droits. Soit donc le triangle A BC .

Pour peu que je sois habitué à la technique des démonstrations mathématiques, j'aperçois aussitôt la solution qui consistera à mener en C la parallèle à AB et à prolonger BC , ce qui me permettra d'utiliser les propriétés des parallèles coupées par une sécante - angles alternesexternes A et A', angles correspondants B et B' — ce qui fait que la somme des angles C + A' + B' est évidemment un angle plat. La réflexion discursive, c'est-à-dire médiate, qui utilise des jugements liés entre eux par des rapports logiques d'équivalence ou d'identité, joue un rôle dans cette démonstration puisque je suis obligé de faire appel aux propriétés des angles déterminés par une sécante à des parallèles. Mais on peut parler bien davantage d'intuition intellectuelle : d'abord, une vue directe de la solution s'est imposée à mon esprit dès que je me suis trouvé en face de l'énoncé ; je puis même dire que cette « vue directe » a guidé mon raisonnement et m'a permis d'organiser ses étapes logiques. En analysant mieux l'exemple choisi, je découvre d'ailleurs les traces d'un autre type d'intuition intellectuelle.

Pour opérer ma démonstration, j'ai utilisé un certain nombre de définitions, celle de la droite et de l'angle en particulier, et pendant toute la démonstration ces définitions ont eu le même sens, c'est-à-dire ont contenu leurs propriétés que je me suis trouvé expliciter — par exemple lorsque j'ai prolongé le côté BC du triangle pour obtenir un angle plat.

On peut parler ici d'intuitions intellectuelles puisque tout se passe comme si je raisonnais sur un « être logique s caractérisé par une évidence ,que je mets en lumière et qui m'aide à en trouver une autre. Au cours de la même démonstration, j'ai utilisé aussi des postulats, en particulier eut suivant lequel des parallèles prolongées indéfiniment ne se rencontrent pas.

Enfin, pour parvenir à ma conclusion, je me suis servi d'axiomes, d'équivalences ou d'identités — par exemple l'angle A' égal (c'est-à-dire superposable) à l'angle A. Toute ma démonstration se présente dune comme une suite d'intuitions intellectuelles ramassées à l'extrême dans l'intuition que j'ai eue de la solution et que je me suis borné à expliciter et à développer. Mais si l'on donne au mot intuition le sens qu'il a plus généralement en philosophie, lorsqu'on l'accompagne de l'adjectif sensible, la question posée a encore plus de sens car elle concerne le rôle que joue le donné dans la construction mathématique. Tout d'abord, pour retrouver ma démonstration, qui est cependant fort simple, j'ai été obligé de tracer une figure.

On répète volontiers aux élèves en mathématiques qu'une figure bien faite met sur la voie de la solution, et la chose est évidente, car une figure mal faite oriente vers des solutions fausses que l'esprit essaye en vain de légaliser. Il faut noter aussi le rôle joué par les droites auxiliaires que je me suis vu autorisé à mener et qui m'ont aidé à matérialiser en quelque sorte ma démonstration : dans une certaine mesure, le problème a été pour moi - à partir d'un angle plat donné qui vaut, je le sais, 180° - de trouver des angles semblables à l'angle A et à l'angle B dans le secteur déterminé par BC et Cx. Dans les problèmes plus complexes, telle ligne auxiliaire oriente sur la voie d'une solution que les données du problème ne laissent pas entrevoir.

Mais, si la figure et les lignes auxiliaires jouent un tel rôle, c'est que la démonstration n'est pas une opération purement intellectuelle et ne se réduit pas à des rapports abstraits.

Tout d'abord, notre esprit est ainsi fait qu'il peut raisonner abstraitement sans une référence, même minime, à un donné sensible Sans doute, la pratique permet-elle aux spécialistes de se passer aisément de figure mais, quand il s'agit de problèmes difficiles, ce besoin se fait sentir de nouveau. Néanmoins, même pour les plus agiles à se déplacer dans l'abstrait, la référence au sensible existe sous une autre forme, comme l'a bien vu Kant.

C'est, en effet, que les concepts les plus abstraits, celui de droite ou de point par, exemple, sous-entendent une réalité sensible qui, pour être omise, n'en reste pas moins toujours présente en filigrane.

A cause de cela, raisonnant il est vrai dans le cadre des mathématiques cartésiennes et de la physique de Newton, Kant s'était cru autorisé à poser l'existence de « formes pures a priori de la sensibilité » : le temps et l'espace.

V oilà pourquoi les mathématiques, science en apparence abstraite, s'adaptent au réel en ce qui concerne leurs résultats. L'histoire des mathématiques, d'autre part, ne permet pas de croire à l'existence de « formes pures » du type kantien, ni davantage de croire que les mathématiques sont une science de l'intuition intellectuelle.

Elle montre, au contraire, que notre notion d'espace, par exemple, a suivi une évolution constante.

L'espace mathématique n'est pas une intuition intellectuelle : le concept abstrait d'un espace infini et homogène vient de la physique et correspond à l'état de la physique à l'époque de Newton.

A utrement dit, les définitions, postulats et axiomes qui ont l'aspect d' « êtres logiques », créés par l'esprit, renvoient en fait à une étape historique des sciences de la nature.

C elles-ci, dans leurs progrès, modifient ces définitions et leur font subir parfois une transformation radicale puisqu'on peut raisonner logiquement, soit en acceptant le cinquième postulatum d'Euclide, soit en le rejetant.

Cela ne veut pas' dire que les constructions mathématiques ont seulement une vérité logique.

Les différents espaces qui se trouvent ainsi définis correspondent à des réalités, l'espace euclidien à notre monde physique, l'espace non euclidien au monde astronomique. Il ne faut donc pas limiter le rôle de l'intuition dans les mathématiques à cette évidence un peu mystérieuse qui s'impose à l'esprit.

Sans doute elle existe. Sa clarté, sa distinction confèrent aux mathématiques ces qualités de précision et d'exactitude qui font que les autres sciences tentent de s'aligner sur elles.

Mais pour étudier plus complètement le rôle de l'intuition dans les mathématiques, il ne faut pas oublier que le terme « intuition » renvoie au monde sensible et au réel. Le réel, même s'il n'y paraît pas, joue un rôle prépondérant en mathématiques.

C'est à partir de lui que les définitions se trouvent avoir été « abstraites » (c'est-à-dire « tirées de » au sens étymologique).

Elles né sont pas « arbitraires » mais « conventionnelles » et comme toutes les conventions, elles se transforment à partir du progrès de notre connaissance du monde.

Mais c'est là dire que les sciences mathématiques dans leur évolution sont étroitement liées aux progrès de la science de la nature.

Comme l'affirmait Langevin : « Les sciences physiques restent la pierre de touche des mathématiques.

». »

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