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« Les mathématiques, disait Bertrand Russell, sont une science où on ne sait pas de quoi on parle, ni si ce qu'on dit est vrai» ?

Extrait du document

« INTRODUCTION.

— Pour le vulgaire, le mot de savant évoque le physicien ou le naturaliste grâce auxquels progresse la connaissance du monde dans lequel nous vivons et notre maîtrise sur lui.

Les philosophes, au contraire, considèrent la physique, la biologie et en général toutes les recherches fondées sur la méthode expérimentale, comme des sciences de seconde zone; pour eux, le type de la connaissance scientifique idéale est celle du mathématicien qui ne se borne pas à constater ce qui est, mais comprend pourquoi cela est ainsi.

Auguste COMTE exprime M bien la pensée commune chez eux : « C'est par l'étude des mathématiques, et seulement par elles, que l'on peut se faire une idée juste et approfondie de ce qu'est une science.

» Aussi est-il assez étrange d'entendre un grand mathématicien qui se pique en même temps d'être quelque peu philosophe, l'Anglais Bertrand RUSSELL, lancer aux admirateurs des mathématiques cette réflexion qui, à première vue, fait l'impression de n'être qu'une boutade ; « Les Mathématiques sont une science où l'on ne sait jamais de quoi l'on parle ni si ce que l'on dit est vrai.

» Faut-il se contenter de hausser les épaules, traitant cette affirmation comme un paradoxe qui ne se discute pas, ou bien la boutade de Bertrand RUSSELL contient-elle quelque vérité qu'un peu de réflexion ferait apparaître ? I.

— ESSAI DE JUSTIFICATION. Il faut bien le reconnaître, les mathématiques se distinguent des autres sciences par leur objet qui est, non pas le monde réel, mais des notions abstraites de ce monde.

C'est là le fondement de la remarque de RUSSELL. A.

Et d'abord, il résulte de ce fait que, dans un certain sens, les mathématiques sont une science où l'on ne sait jamais de quoi l'on parle Quand on multiplie 4 par 6 et qu'on trouve 24 au total, on ignore quelles sont les réalités représentées par ces chiffres.

De même lorsqu'on étudie les propriétés des surfaces ou des volumes on ne s'inquiète pas de connaître la nature des choses ainsi étendues et volumineuses.

A plus forte raison quand on parle de la quatrième ou de la n dimension ne se représente-t-on rien de concret. Sans doute, abstraites du monde réel, les notions mathématiques semblent bien conserver toujours quelque référence à lui.

Mais les images du monde sensible qui lestent en quelque sorte la pensée du mathématicien restent fort confuses et plutôt virtuelles qu'actuelles : le géomètre serait bien en peine de préciser si la sphère concrète dont l'image sous-tend la notion qu'il s'en fait, est en pierre ou en verre et même d'indiquer sa couleur ou son diamètre approximatif.

Dans ce sens, il ne sait pas de quoi il parle. B.

Il ne sait pas non plus si ce qu'en mathématiques il dit est vrai.

En effet, le monde dans lequel on opère n'existe que dans l'esprit.

On affirme seulement que si ce monde était donné, on observerait en lui les propriétés qu'on établit par déduction.

Mais un monde de ce genre existe-t-il quelque part ? Y a-t-il, en dehors de la pensée, un pentagone répondant exactement à la définition de cette figure ? un espace à deux, à trois, ou à quatre dimensions ? On l'ignore.

Aux sciences de la nature de s'occuper de ce qui est.

Les mathématiques se cantonnent dans le domaine du possible; aussi n'apprennent-elles pas si ce qu'on y dit est vrai, c'est-à-dire conforme au réel. II.

— CRITIQUE. Cette affirmation n'en reste pas moins une boutade, et, si on la prenait au pied de la lettre, elle constituerait une insulte gratuite à l'égard des mathématiciens et impliquerait une méconnaissance totale de la science incriminée. Qui parle sans savoir de quoi il parle ? L'ignorant infatué de lui-même; ou encore le fou incapable de fixer son attention et de diriger sa pensée.

Qui affirme sans savoir si ce qu'il dit est vrai ? Le passionné, l'arriviste pour qui tous les moyens sont bons, s'ils réussissent, et qui se désintéressent de la vérité.

Inutile de le Souligner, nous sommes aux antipodes de l'esprit mathématique. A.

Non seulement en mathématiques on sait de quoi on parle, mais il n'est pas de science où on le sache aussi bien : des définitions rigoureuses établissent le sens des termes : les hypothèses ou données sont si précises que précision mathématique est synonyme de précision absolue; par ailleurs, les objets étudiés en mathématiques sont faciles à connaître parce que simples, l'esprit n'ayant conservé du réel d'où les notions sont abstraites que quelques éléments. Sans doute, étant donné le caractère abstrait et général de ces notions, les termes qui les expriment conviennent à une infinité d'objets différents et, cependant, n'en désignent aucun.

Ainsi, à tous les corps qui ont la forme sphérique je puis appliquer le mot de sphère; mais ce mot ne peut servir à désigner quelqu'une de ces sphères précisément parce qu'il convient à toutes.

Le mathématicien qui traite de la sphère ne sait pas de quel objet sphérique il parle.

Mais cette imperfection de la pensée abstraite — qui d'ailleurs, loin d'être propre aux mathématiques, est commune à toutes les sciences — le mathématicien ne l'ignore pas.

Il sait fort bien que ses démonstrations portent, non pas sur les choses, mais sur des notions; ces notions peuvent être réalisées hors de son esprit, mais c'est elles qu'il fixe et non les objets extérieurs qui les réalisent.

Il arrive au vulgaire, au philosophe et même au physicien, de réaliser des abstractions.

Le mathématicien ne tombe pas dans cette illusion, puisqu'il considère l'abstraction comme son domaine propre.

Mieux que quiconque, il sait de quoi il parle. B.

En mathématiques on sait aussi que ce qu'on dit est vrai, et il n'est pas de science qui parvienne à un si haut degré de certitude : « certitude mathématique » est synonyme de « certitude absolue ». Sans doute, on ignore s'il existe un monde qui réalise les conditions supposées par les données de départ, ou plutôt on se désintéresse de cette question.

Tout ce qu'on affirme c'est que, si ces conditions étaient réalisées, ce monde serait soumis aux lois établies par déduction à partir des principes arrêtés au départ.

Les mathématiques ne sont qu'hypothético-déductives, le mathématicien ne l'ignore pas; mais il sait aussi que, l'hypothèse posée, la conclusion s'ensuit nécessairement, parce qu'elle est impliquée dans l'hypothèse. Ainsi, la vérité obtenue en mathématiques l'emporte sur celle qu'obtiennent les autres sciences.

Les sciences expérimentales n'aboutissent qu'à une très grande probabilité équivalant à une certitude pratique : c'est la certitude absolue que donnent les mathématiques.

Les sciences de la nature n'aboutissent qu'à des jugements assertoriques, c'est-à-dire affirmant comment sont, de fait, les choses; les conclusions mathématiques sont apodictiques, affirmant un rapport nécessaire.

Les premières se contentent le plus souvent de constater ce qui est; les secondes font connaître pourquoi cela est ainsi.

Aussi n'est-il aucune science qui donne l'impression de vérité qu'on éprouve en mathématiques. CONCLUSION.

— Le mot sur lequel nous avions à nous prononcer est donc avant tout une boutade.

Le grand mathématicien anglais n'a voulu que surprendre son lecteur et tout au plus l'amener à réfléchir au caractère idéal ou « idéel » de l'objet des mathématiques.

Son intention n'était point de déprécier la science dont il est un représentant illustre.

Lui-même d'ailleurs a porté sur elle un jugement qui rejoint celui d'Auguste COMTE et permet de clore le débat : « L'amour du système, de la cohérence interne, qui est peut-être la nature la plus profonde de la tendance intellectuelle, trouve à se satisfaire librement en mathématiques, et là seulement.

» (!).. »

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