Les hommes doivent-ils travailler pour être humains?
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Se demander si les hommes doivent travailler pour être humains revient à se demander si le travail n'est-il
qu'une activité permettant la subsistance de l'homme, c'est-à-dire une annexe dans son existence, ou bien s'il
représente-t-il l'activité par excellence à laquelle l'homme se livre ? Ainsi, quel rôle le travail joue-t-il pour
l'humanité, autrement dit pour la définition de l'homme ?
Cela nous amène à considérer la valeur du travail en lui-même : possède-t-il une valeur positive, alors que
souvent il est conçu comme pénible, voire harassant ? Cependant, il nous faut définir plus avant ce que l'humanité
recouvre : qu'est-ce qu'être « humain » ? Cela s'oppose-t-il à l'idée d'un travail qui implique l'effort ? En somme, si le
travail peut être perçu comme exigeant, n'offre-t-il pas toutefois les conditions mêmes de l'humanité ? Dans ces
conditions, si le travail peut apparaître comme une activité dont l'homme se passerait volontiers, n'est-il pas malgré
cela ce qui fonde son humanité ?
I – La valeur du travail
Dès les premières lignes de la Genèse, le travail apparaît comme une sanction infligée à l'homme par Dieu :
oisif dans le jardin d'Éden, d'où le péché originel le chassera, l'homme se voit obligé de travailler la terre pour assurer
sa subsistance.
La béatitude de l'âge d'or, état premier de l'humanité, tranche avec son destin futur et sa condition
laborieuse (de labor, travail).
Le travail n'est ainsi que déchéance pour l'homme ; les Grecs illustrent encore cette position, puisque le
citoyen se veut oisif, tandis que l'esclave travail.
Il ne s'agit pas tant de ne rien faire, que de s'occuper des affaires
de la Cité (politique, économie, philosophie, etc.).
En ce sens, la pensée ne peut véritablement fonctionner que si
elle se trouve libérée des servitudes de la matière.
De ce point de vue, le travail ne fait qu'apporter son lot de peine : il n'est pas en soi enviable.
Si je
travaille, je ne peux pas faire autre chose : je suis asservi.
Certes, je récolte sans doute quelque chose (par
exemple, le fruit de mes cultures, si je travaille la terre), mais au détriment de quelque chose d'autre : le repos.
Ainsi, comme l'indique son étymologie latine (tripalium = instrument de torture), le travail ne serait que
supplice et châtiment.
Cependant, remarquons au moins que la vie exempte de travail correspond à un état quasi
divin – une vie d'ange dans le jardin d'Éden – la chute et l'obligation de travailler advenant en propre à l'homme ;
mieux, l'homme devient homme (mortel et laborieux) en chutant hors du paradis.
II – La dialectique du maître et de l'esclave : le travail selon Hegel
Dans la Phénoménologie de l'esprit, Hegel prolonge cette idée que le
travail, bien que pénible, permet l'avènement de l'humanité des hommes.
Pour
cela, il convoque ce qu'il appelle la dialectique du maître et de l'esclave et qui
lui permet de mettre au jour la double fonction du travail.
Cette dialectique
exprime la lutte pour la reconnaissance qui s'établit entre un maître et son
esclave.
Alors que le maître reste oisif et se contente de tirer sa subsistance
du travail fourni par l'esclave, celui-ci prend conscience de ses capacités en
contemplant le résultat de son travail.
L'esclave objective son esprit, c'est-àdire que ses capacités intellectuelles apparaissent dans les objets qu'il
façonne, et le maître devient dépendant de son esclave.
Il est désormais
obligé de le reconnaître comme un être à part entière.
Il y a donc bien là un double mécanisme lié au travail : 1° alors que le
maître ne fait rien et n'est reconnu en tant que maître par la soumission de
l'esclave, l'esclave se reconnaît comme capable en reconnaissant son esprit
dans les objets qu'il fabrique ; 2° le maître est contraint de reconnaître
l'esclave, puisqu'il en vient à dépendre de lui ; maître et esclave sont alors
sur un pied d'égalité.
Le travail permet donc une double reconnaissance : celle de l'homme
par lui-même et celle de l'homme par les autres.
Dans les deux cas, c'est
l'esprit – la liberté de l'homme – qui s'exprime dans le fruit du travail.
Pour que
l'esprit de l'homme soit libre, c'est-à-dire conscient de lui-même, il doit se
reconnaître et se faire reconnaître.
Le travail accomplit donc l'essence de l'homme, il nous apporte l'humanité.
Prétendre ainsi que le travail libère, c'est se placer dans une perspective proprement humaine, qui consiste à mettre l'accent sur ce que le
travailleur retire de son travail plutôt que sur le produit lui-même de son travail.
Cette prise de position ne va pas de soi, parce qu'après tout
le mot « travail » renvoie apparemment de façon indistincte à l'activité et au résultat de cette activité.
Le mot « travail » en français confond
donc l'activité et le résultat, que les deux substantifs anglais « labour » et « work » distinguent.
Toute la question ici est bien de savoir
jusqu'à quel point on peut appeler « travail » une activité qui n'a pas de résultat visible, comme par exemple l'entraînement d'un athlète ou d'un
gymnaste : pour pouvoir dire que le gymnaste travaille, il faut que la notion ne soit pas réductible au résultat, même si la perspective du
résultat n'est jamais radicalement absente.
Donc, tant que l'on prend le mot travail au sens de l'activité distincte du résultat, il est possible de
maintenir la position selon laquelle le travail est humain et libérateur.
Cette perspective est-elle pourtant longtemps tenable ?
Tout l'effort de la pensée de Marx, se focalise sur cette question.
Au début du « Capital », et dans la lignée de l'optique hégélienne,
Marx définit le travail en marquant la spécificité humaine de la notion, et en défendant cet aspect.
La spécificité du travail, c'est de renvoyer à
l'homme, parce que les activités animales en sont fondamentalement différentes : « ce qui distingue dès l'abord le plus mauvais architecte de.
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